Une revue bimestrielle, exigeante et accessible, au croisement entre le monde de la recherche et les associations de terrain.
Enceintes et cours grillagées, murailles et miradors, les prisons ne sont-elles pas toujours, dans nos têtes et dans nos villes, des forteresses ? Les images ont la vie dure : le cachot, l’enfermement, l’absence de lumière, l’humidité, la violence entre les détenus, entre détenus et personnels de surveillance... En face, les utopies s’effilochent : aux Etats-Unis ou en France, elles avaient fait tenir ensemble l’intérieur et l’extérieur. D’un côté, une société du progrès, intégratrice, promotrice de valeurs. De l’autre, un espace organisé, transparent, où le contrôle ne viendrait pas de l’exercice de la force mais de l’omniprésence des regards. Les prisons sont un monde clos, un monde à part.
Pourtant, leurs vies quotidiennes comme les grandes réformes qui épisodiquement les remodèlent, les inscrivent au cœur de nos cités. A côté des personnels de l’administration pénitentiaire, les acteurs qui en franchissent les portes sont nombreux : avocats ou juges, membres de services sociaux, éducateurs, formateurs, bénévoles, familles et amis des détenus, personnels soignants. Dans les grandes villes, le va et vient est fréquent ; ailleurs, il est plus réduit.
Les prisons évoluent au rythme de la société. Un événement, le travail de quelques parlementaires, la publication d’un témoignage de l’intérieur émeuvent l’opinion. Une fenêtre s’ouvre pour des réformes, pour une meilleure réinsertion sans renforcement des contraintes sécuritaires. Mais l’augmentation des délits, la montée du sentiment d’insécurité font craindre le pire. L’opinion, pessimiste, s’inquiète : elle demande de renforcer les murs et les grilles, d’allonger les peines et de les rendre incompressibles. La proximité des élections n’est pas propice. Les parlementaires se dérobent.
Ce lien inéluctable entre l’intérieur et l’extérieur doit-il être subi ? Ne peut-il pas être réassumé positivement ? La réforme du système de soins en a donné un exemple. Au lieu d’être le domaine d’une médecine d’exception, la santé en prison est devenue partie intégrante du dispositif hospitalier français. De même, les visiteurs bénévoles rappellent le caractère citoyen de leur présence. Leur engagement lie ceux du dedans et ceux du dehors. Sur le long terme, l’histoire même de la prison, de ses réformes et de ses utopies fait écho à la construction de l’Etat providence, à la mise en place d’une rationalité organisatrice qui définit le normal et circonscrit le pathologique ou le déviant. Michel Foucault l’avait démontré et les débats parlementaires plus récents s’inscrivent dans cette ligne. Seule une réflexion fondamentale sur le sens de la peine, sur la place des détenus dans la société, en amont de toute réforme, permettra de sortir de la fausse alternative entre sécurité et insertion.
Face à l’allongement de la durée des peines prononcées par les tribunaux, notamment en ce qui concerne les affaires de mœurs, à la part plus importante des jeunes et des délinquants sexuels au sein de la population pénale, aux revendications sécuritaires des syndicats des personnels de surveillance, face encore aux abus et violences dont peuvent être victimes les détenus, il importe de réfléchir au sens et à la place du droit en prison.
Ce dossier risque plusieurs pistes. N’est-ce pas aux élus de la Nation de définir les règles de vie de ceux qui sont placés à l’écart, en détention, au nom du peuple français ? L’administration pénitentiaire ne peut raisonnablement être l’auteur du droit qui régit sa vie quotidienne et celle des prisonniers sans risquer accommodements ou confusions. Comment appliquer et faire respecter le droit dans un espace clos, nécessairement soustrait à la pluralité des regards et des points de vue qui garantissent les libertés dans l’espace public ? L’entrée des avocats en prison, la mise en place d’une juridiction d’application des peines ou la définition de recours possibles vont dans le sens d’une plus grande ouverture et d’un plus grand respect. Plus fondamentalement, rappeler l’existence d’un droit commun, défini par ceux qui édictent les règles de la vie quotidienne de leurs concitoyens, c’est créer un pont et faciliter les passages entre la prison, les prisonniers et l’ensemble de la société. Associer de manière trop univoque sécurité et droit, d’une part, réinsertion et éducation des détenus, dispositifs sociaux et mesures d’accompagnement, d’autre part, contribue à creuser un hiatus artificiel. Retrouver sa place dans la société, après un temps de mise à l’écart, n’est-ce pas, d’abord, pour tout homme, redevenir pleinement sujet de droit ?