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Dossier : Prisons, les verrous et le droit

Double mission pour les surveillants


Resumé Le condamné est soumis à réparation, à un « dam », un dommage, forme de dette qui contrebalance le dommage qu’il a commis. En prison, il est là pour payer cette dette. L’administration pénitentiaire est chargée de contrôler sa vie dans la prison ; et lui, doit y respecter les règles qui ne sont pas là pour empêcher son évolution, mais pour la favoriser. Elles aident le détenu à se structurer, à intérioriser une vie collective basée sur le respect de l’autre (surveillant et codétenus).

Pour légitimer l’action du personnel pénitentiaire, la règle s’appuie sur des raisons : organisation de la vie interne et communautaire de l’établissement, principe d’une cohabitation respectueuse des droits de chacun et de l’autorité du personnel. Elle légitime l’action du personnel pénitentiaire afin que celle-ci ne soit ni subjective, arbitraire et capricieuse, ni fonction des individus et des circonstances, même si elle est individualisée. Dans cette optique, il faut affirmer l’importance des règlements intérieurs précis et détaillés, qui donnent un cadre de travail aux personnels.

Nouveaux contenus du métier

Si le détenu doit devenir acteur de sa propre peine et se responsabiliser (être capable de répondre de soi) en vue d’une socialisation réussie, le surveillant doit lui-même adapter sa fonction à de nouvelles missions. Il ne saurait être simplement « gardien », chargé de faire appliquer le règlement (conçu comme un instrument de contrainte et de pouvoir), préoccupé de déjouer d’éventuels projets d’évasion. Sa parole avec le détenu doit être réévaluée et devenir centrale. Son autorité nouvelle exige une maîtrise des problématiques relationnelles et psychologiques. Sa formation initiale et continue aura à prendre davantage en compte l’aspect d’une autorité fondée sur un rôle socialisateur et d’accompagnateur. Son pouvoir n’est plus disciplinaire, de contrainte, mais pouvoir de réponse et d’information qui s’appuie sur la maîtrise de la parole.

Si le recours à la contrainte est toujours possible devant les détenus réticents à s’inscrire dans la règle collective et dans les inévitables situations de crise, il reste subordonné, quand il est nécessaire, à l’autorité reposant sur l’échange verbal et l’argumentation.

La situation présente est insatisfaisante : le surveillant a l’impression d’être dépossédé de la plus grande partie de son autorité. Confiné dans un rôle de « porte-clefs » sans possibilité d’initiative, il a une autorité au contenu exclusivement négatif, répressif et disciplinaire. Il a l’impression, à juste titre, que tout le côté gratifiant de la mission pénitentiaire a été confié aux intervenants extérieurs qui viennent animer des activités dans l’établissement. Ce sentiment a été accentué par la création d’une mission de réinsertion dévolue aux services pénitentiaires d’insertion et de probation (Spip), qui sont des entités autonomes dotées d’une direction propre. L’articulation entre la mission des Spip et celle du personnel de surveillance a-t-elle été vraiment réfléchie ? Si elle n’est pas repensée, l’image dévalorisée, de non reconnaissance, du personnel de surveillance sera encore aggravée.

Comment permettre au surveillant de combattre cette frustration, voire ce sentiment d’inutilité ? A son étage ou dans son unité de vie, les détenus ne le reconnaissent pas comme un interlocuteur : ils le court-circuitent et s’adressent, soit à la direction et à l’encadrement, soit aux travailleurs sociaux, avocats, ou associations extérieures qui s’intéressent aux prisons. Le personnel de surveillance, qui gère au quotidien la population pénale, peut-il redevenir un référent ? Si on ignore cette question essentielle, on laisse l’administration s’enliser dans la répétition annuelle de convulsions sociales souvent réglées – c’est le cas depuis dix ans – par des primes supplémentaires ou des saupoudrages d’effectifs, qui n’apportent aucune solution aux problèmes de fond, inhérents à la mission des surveillants.

Le droit d’expression et l’initiative du surveillant sont le corollaire du rôle socialisant de la prison et du droit du détenu. Même si la prison a été longtemps un lieu de silence et de non-dit, il importe de redonner la parole aux personnels. Le modèle d’autorité vis-à-vis des détenus (pouvoir d’injonction sans possibilité de contestation) n’est-il pas le même que celui appliqué, hiérarchiquement, de la direction vers les gradés et des gradés vers les surveillants ? Ces derniers doivent obéir sans remettre en cause les ordres reçus et ils ressentent leur rôle comme celui d’un exécutant subalterne, qui ne peut pas participer pleinement au projet d’établissement.

Il s’agit de redéfinir le modèle hiérarchique actuellement en place. Les surveillants souffrent de ne pouvoir exprimer leur avis et de ne pouvoir participer aux décisions des cadres de l’établissement. Certes, leur participation à la commission de discipline ou aux commissions d’application des peines va dans le sens d’une prise en compte de l’avis du personnel. Mais, pour favoriser la parole et la circulation des messages (de la direction vers les surveillants et des surveillants vers la direction), pourquoi ne pas organiser des réunions d’échange et d’information avec les surveillants en petits groupes ? La réunion annuelle de synthèse, où l’on convoque tout le monde, est à proscrire : ce type de réunion où les plus bavards et les plus hardis monopolisent la parole sert le plus souvent de déversoir à toutes les rancunes et ressentiments. Elle est inutile, sinon néfaste pour le climat d’un établissement. Des rencontres régulières des surveillants, par équipes ou par groupes restreints, supposent d’élaborer un ordre du jour thématique qui donne un canevas à la discussion. De même, des briefings entre gradés et agents de service permettent de commenter des notes de service et d’en expliciter le sens, de revenir sur les incidents et d’en tirer les conséquences (procédures de traitement, modalités d’intervention, prévention en amont), de faire remonter un avis sur la situation de la détention (les groupes dominants, l’ambiance générale, les points de crispation de la population pénale, les personnalités difficiles...), de faire part des préoccupations et de l’état d’esprit du personnel, etc. De telles réunions, limitées en temps et en nombre, favoriseront les échanges entre la base et les gradés, donnant un sens aux événements et à la vie interne de l’établissement.

Tout lieu de parole institué dans un établissement et rassemblant les différentes catégories et les différents corps de personnels sera toujours un atout. Il favorise le sentiment d’appartenance à une collectivité, l’appropriation des finalités et la reconnaissance des places différentes dans l’institution, une identité des personnels qui ont des repères et qui partagent leurs difficultés avec les autres. Il offre aussi une possibilité d’expression, au lieu de ressasser des frustrations ou des rancunes, trop facilement exploitées. Comme dans les autres administrations, il est nécessaire de s’interroger sur l’importance du temps de parole pour le personnel, pendant lequel les messages peuvent être passés, le sens des missions clarifié et précisé, les malentendus dissipés.

Changer d’image

Les personnels se sont installés dans une sorte de rivalité en miroir avec la population pénale, alimentée par l’idée « qu’on en donne plus » aux détenus qu’à eux-mêmes, « qu’on fait tout pour les détenus » et rien pour eux-mêmes. L’image est celle des vases communicants : ce qui est accordé à l’un est retiré à l’autre, ce qui avantage l’un désavantage l’autre. Alors que les améliorations de conditions de vie des détenus ont un effet direct sur l’amélioration des conditions de travail du personnel et réciproquement.

Les détenus ont montré la voie de la contestation du système pénitentiaire dans les années 70 (faisant suite aux mouvements de contestation sociale de mai 68 et des années suivantes). Les surveillants se sont alors aperçus qu’on pouvait faire évoluer l’administration par des mouvements violents et par l’insubordination. Ils ont pris le relais et, à partir des années 1988-89, ils ont pris l’habitude de manifester devant les portes et d’afficher ainsi leur mécontentement. Etranges comportements ! Leur intérêt, en réalité, n’est pas divergent de celui de la population pénale mais lui est étroitement corrélé. Car le personnel ne « s’oppose » pas à la population pénale qu’il prend en charge et accompagne.

Mais le personnel pénitentiaire se trouve compris par certaines catégories de la société dans le même rejet que la population pénale. D’où la volonté de s’en différencier. Il n’y parviendra pas en s’opposant à elle mais en affichant clairement la spécificité de sa mission. De même, quand le surveillant ne sait plus vraiment ce qu’on attend de lui, parce qu’il est soumis à une double injonction contradictoire (le double bind), il est mis dans l’impossibilité de remplir sa mission. D’un côté, il fait respecter la discipline et applique le règlement et on lui reproche amèrement ses lacunes. D’un autre côté, on lui demande de faire en sorte qu’il « n’y ait pas de problèmes » et de régler au mieux les situations conflictuelles. Acceptera-t-il d’affronter l’incident quand la situation l’exige – au risque d’être critiqué pour l’avoir mal négocié –, ou consentira-t-il à quelques entorses au règlement, se montrant plus complaisant pour que son service se déroule calmement, au risque de se voir soupçonné d’être trop laxiste et « social » avec la population pénale ? L’attente de l’administration à son égard n’est pas toujours claire et lisible ! On lui a dit qu’il concourait à la mission de réinsertion mais il ne sait pas selon quel contenu et par l’intermédiaire de quelles tâches. Doit-il être un surveillant « gardien » ou un surveillant « social » ?

Développer le tutorat

L’idée du surveillant accompagnateur et tuteur contribue à sortir de cette difficulté dans laquelle le surveillant perd de vue le sens de sa mission. Le tutorat permet de redonner un sens au métier de surveillant et de le responsabiliser. Au lieu d’être confiné dans un rôle passif d’exécutant qu’il ressent de plus en plus mal, d’autant que le niveau de recrutement s’est considérablement élevé, il devient un référent pouvant entreprendre des actions.

Le surveillant tuteur aurait pour tâche de responsabiliser un groupe de détenus par un travail sur la règle et la socialisation. La plupart des détenus commettent des incivilités. Il encouragerait l’apprentissage de la civilité – fondement d’une civilisation –, du vivre ensemble, pour ceux qui lui sont confiés. Il aurait un rôle de facilitateur et de médiateur auprès des différents partenaires pour tout ce qui concerne les démarches des détenus. Il favoriserait un retour réflexif sur tous les incidents qui émaillent leur parcours carcéral, afin d’en faire l’analyse et d’y remédier. Il présenterait les dossiers en commission d’application des peines pour l’octroi des mesures d’individualisation. Enfin, il aiderait et conseillerait le détenu dans l’élaboration d’un projet d’exécution de peine.

Ainsi enrichi, le rôle du surveillant ne serait plus seulement négatif – celui qui interdit –, mais positif, celui du référent reconnu de la population pénale. Aujourd’hui, le surveillant est un spectateur non engagé des activités multiples qui se déroulent dans l’établissement. Il se sent d’autant moins concerné qu’on n’a pas imaginé sa contribution et sa participation à un tel dispositif. Il n’est en rien associé aux activités faites en direction des détenus. Il faut lui redonner une place par rapport à l’ouverture de la prison sur l’extérieur.

Rendre le détenu responsable par la possibilité de la parole et par la socialisation, c’est rendre responsable le surveillant qui exerce une autorité de tuteur. La reconnaissance de la population pénale passe par la reconnaissance du personnel de surveillance. Lui redonnera-t-on une position incontournable d’acteur de la vie carcérale ?

Les mots sont souvent révélateurs du sens que l’on donne aux choses ou aux personnes. Le nom de « gardien » demeure une survivance dont l’opinion publique, comme les médias, a du mal à se défaire. La surveillance a été associée à la garde. Aujourd’hui, on utilise le terme d’« agents pénitentiaires » afin de donner l’image d’un métier actif et pas seulement cantonné à la garde. Du terme de surveillance on peut retenir pourtant l’idée de la veille, d’une attention soutenue et d’un souci de la personne. Surveiller c’est garder, mais c’est aussi veiller sur. C’est le sens plein de surveillance qu’il faut retrouver et non seulement son sens restrictif. Il y a un grand besoin de reconnaissance des personnels pénitentiaires.

Méthodes de travail et management

La position statique du surveillant à l’étage ou en unité de vie (le surveillant à son poste) semble caduque quand les détenus sont de plus en plus hors de leurs cellules et vivent en groupe. Il serait plus judicieux de réfléchir à une méthode de travail privilégiant la surveillance mobile. Au lieu d’être attachés à un étage, ils travailleraient en binôme ou en trinôme (ce qui faciliterait l’intégration du personnel féminin) et circuleraient comme des îlotiers. Ce travail en équipe renforcerait les liens entre les agents et accroîtrait le sentiment de solidarité.

Une meilleure connaissance de la population pénale s’ensuivra si les surveillants exercent leur mission en fonction de l’emploi du temps des détenus, des secteurs occupés, des déplacements et de l’organisation de la journée de détention. Aujourd’hui, on trouve quelquefois un surveillant dans une unité de vie vide mais seulement deux pour surveiller 150 détenus aux ateliers.

Les équipes de direction doivent orchestrer cette nouvelle méthodologie de travail, comme les nouveaux contenus de mission. Elles animent, impulsent et coordonnent le travail dans le cadre de la définition des objectifs de l’établissement. Chaque équipe devra comprendre un directeur chargé des ressources humaines qui prenne en compte cette dimension essentielle de gestion des hommes. Il lui faudra être attentive aussi à l’information donnée aux personnels et à la population pénale. On est frappé par l’insuffisance flagrante de connaissance des personnels concernant les grands projets et réformes de l’administration pénitentiaire. Les personnels ne « savent pas où ils vont », et se situent mal par rapport aux lignes générales d’évolution de l’institution. Mais quelle est la motivation quand on a l’impression que les choses se décident en haut et que l’on n’en comprend pas vraiment le sens ? Ce souci d’une meilleure communication doit animer tous les échelons hiérarchiques (établissements, directions régionales et administration centrale).

Une meilleure connaissance des évolutions de l’institution permettra aux agents de se reconnaître dans leur administration, au lieu d’entretenir défiance et soupçon permanent, comme si les réformes se faisaient à leur détriment et se traduisaient toujours par un surcroît de travail. On ne s’approprie pas ce dont on ne saisit pas le bien fondé. Pour restaurer le sentiment d’une culture commune aux différents échelons de la hiérarchie, pour lutter contre les clivages séparateurs entre les différentes catégories de personnels ou les différents niveaux de décision, les objectifs doivent être partagés et appréhendés comme rassembleurs.

C’est là un véritable défi : passer d’une culture de la soumission à une culture de la responsabilité. L’administration pénitentiaire est au milieu du gué. Elle ne partage plus vraiment cette culture de l’ordre et de la soumission, sans porter encore celle de l’expression. Le dialogue au sein du personnel et entre les personnels et les détenus reste à construire. La parole n’a pas acquis définitivement droit de cité. Le schéma d’une autorité responsable et responsabilisatrice reste à trouver. L’équilibre ancien de la prison établi sur l’obéissance est rompu. Un nouvel équilibre, fondé sur la confiance et la parole, est à inventer : confiance des personnels en leurs cadres, confiance des détenus en l’administration pénitentiaire, confiance du pays dans son administration !


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