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Dossier : Religions et violence

De Saint-Ambroise à Saint-Bernard


Resumé Comment l'Eglise de Paris a vécu l'occupation des lieux de culte.

Le 23 août 1996, à 7h30 du matin, les forces de l’ordre en grand nombre prennent d’assaut l’église Saint-Bernard-de-la-Chapelle dans le 18e arrondissement de Paris. A coups de hache, les portes sont forcées ; 228 grévistes de la faim, Africains demandeurs d’une régularisation de leur situation administrative, qui occupaient l’église depuis le 28 juin, en sont expulsés.

Dès le premier jour, le curé, le Père Henri Coindé, avait exprimé sa réprobation devant l’occupation de son église. Mais, en accord avec les responsables diocésains, il décidera de les soutenir et refusera de signer la réquisition, c’est-à-dire de s’en remettre aux pouvoirs publics pour faire évacuer l’église. Dans son homélie de la messe du 15 août, il disait : « Quand à la suite de Marie, nous chantons le Magnificat, nous sommes mis en demeure de changer nos façons de voir, de juger et d’agir. C’est un appel pressant à rendre concrète la justice de Dieu pour ceux qui sont victimes de l’injustice ».

En France, mais plus encore à l’étranger, dans ces pays d’où viennent ceux qui espèrent trouver en Europe les moyens de survivre, d’échapper à la guerre ou à la dictature, les images de l’événement, largement diffusées, provoquent une émotion considérable. L’image de notre pays comme terre d’asile est sérieusement écornée… Comment en est-on arrivé là ? Comment l’Eglise de Paris a-t-elle vécu ces événements ?

Les faits

Lundi 18 mars 1996 au matin, trois cents Africains, dont une centaine d’enfants, occupent l’église Saint-Ambroise dans le 11e arrondissement, pour réclamer la régularisation de leurs papiers. Le curé est absent. Très vite, nous prenons la mesure de la situation et apprécions tous les risques inhérents à la présence d’un aussi grand nombre de personnes, dans une église peu chauffée, sans sanitaires ni points d’eau suffisants, avec un nombre élevé de femmes et d’enfants en bas âge. Ce sont de pauvres gens…des familles originaires de quelques villages de la même région de Kayes au Mali. Leur porte-parole, Mamadou Sambaké, est un chef coutumier. Avec lui, assez vite, nous parviendrons à un accord : 50 hommes seront accueillis dans un local mieux adapté (l’Aumônerie des Africains, près de la Porte des Lilas) où nous nous engageons, au nom de l’Eglise de Paris, à leur apporter toute aide nécessaire.

Alors que le départ s’organise, dans le courant de l’après-midi, tout va soudain basculer. Devant les caméras de la télévision, le responsable d’une association, extérieure aux Africains, déclare que ceux-ci refusent la proposition de l’Eglise, « car c’est un piège ». Le bruit s’est répandu parmi les familles que les CRS les cueilleraient dès la sortie du métro…Tout est remis en cause. Très vite, la situation se durcit : des associations, dont certaines très politisées et agressives, contrôlent l’accès de l’église et prétendent parler au nom des sans-papiers, tandis que les humanitaires s’efforcent de leur venir en aide.

Banderoles et slogans couvrent les grilles de l’église, au milieu desquels on peut lire en bonne place la récente déclaration de Jean-Paul II pour la Journée mondiale des migrants 1996 : « Dans l’Eglise, nul n’est étranger et l’Eglise n’est étrangère à aucun lieu… Pour le chrétien, le migrant n’est pas simplement un individu à respecter selon des normes fixées par la loi, mais une personne dont la présence l’interpelle et dont les besoins deviennent un engagement dont il est responsable. « Qu’as-tu fait de ton frère ? » La réponse ne doit pas être donnée dans les limites imposées par la loi, mais dans l’optique de la solidarité ».

A l’intérieur comme à l’extérieur de l’édifice, la situation est devenue intenable, et le dialogue à peu près impossible. Quelques associations ont pris le contrôle du dispositif, jouent manifestement l’épreuve de force, tout en multipliant les déclarations aux médias. Le curé est maintenu à l’écart, alors que, affectataire des lieux, il porte seul la responsabilité civile des conséquences éventuelles de la situation. Dans l’intérêt même des familles, il n’y a plus d’autre issue possible que celle de l’évacuation par les forces de l’ordre, après demande de réquisition signée. Le 22 mars, au petit matin, l’évacuation a lieu, sans heurts.

Violemment, l’Eglise de Paris et son Archevêque – reçu quelques jours plus tôt à l’Académie française – sont pris à partie dans la presse, accusés d’avoir demandé l’expulsion et donc de se solidariser avec l’action répressive mise en œuvre par l’application des lois Pasqua. A la télévision, le cardinal Lustiger, visiblement en colère, dénoncera le 24 mars « l’inconscience et le mépris des Africains, de la part de gens qui ont d’abord une stratégie politique en tête ».

Réfugiés dans un gymnase du 11e arrondissement dont ils sont expulsés également, les Africains seront accueillis par le Théâtre de la Cartoucherie de Vincennes. Sa directrice, Ariane Mnouchkine, constitue alors un collège des médiateurs comprenant 26 personnalités françaises indépendantes, conduites par l’ambassadeur Stéphane Hessel. Noël Copin, Paul Bouchet, Henri Madelin, André Costes, Jean-François Berjonneau (Secrétaire du Comité épiscopal des Migrants) en font partie. Ce collège se met aussitôt au travail et publie en juin une adresse au gouvernement dans laquelle il demande « un renouvellement complet de la politique à l’égard des étrangers », dénonçant les lois actuelles comme « archaïques et répressives » et surtout… inefficaces.

Les Africains s’installent alors dans des entrepôts de la Sncf, rue Pajol dans le 18e. Une longue attente commence. Le gouvernement a promis aux médiateurs que les demandes de régularisation seraient examinées avec « bienveillance ». Le 26 juin, la réponse du ministère de l’Intérieur est enfin publique : sur 205 dossiers examinés à nouveau par ses services, 22 seulement sont retenus, pour lesquels il octroie une carte de séjour d’un an. Les autres demandeurs ont un mois pour quitter le territoire... Après tant d’efforts de toutes parts, la déception est immense. Les manifestations de soutien se succèdent. Une nouvelle occupation est largement prévisible : ce sera Saint-Bernard.

L’engagement de l’Eglise

Même s’il est placé là de manière provocante, le message de Jean-Paul II, placardé par les associations aux portes de Saint-Ambroise, dit bien la réalité d’un engagement réel auquel l’Eglise de France ne s’est jamais soustraite. En 1993, après la Réforme du Code de la nationalité par les députés, et à quelques jours de l’examen par le conseil des ministres du projet de loi Pasqua sur l’entrée et le séjour des étrangers en France, Mgr Joatton, évêque de Saint-Etienne, Président du Comité épiscopal des Migrants, publie le 20 mai un « Message de solidarité aux immigrés » pour leur « témoigner sa solidarité au moment où les nouvelles dispositions légales les concernant peuvent donner l’impression qu’on les désigne comme la cause de tout ce qui ne va pas dans notre pays ». Comme le rappelle André Costes, l’Eglise a toujours été présente dans les débats sur l’immigration depuis 1946 (in Migrations et Pastorale, n°53, sept.oct. 1997). Il faut bien sûr distinguer ici les niveaux d’intervention, entre celui de Rome ou de la Conférence épiscopale, et celui, bien concret, de l’engagement des chrétiens dans les structures ecclésiales ou associatives.

Ainsi, fin avril, les évêques d’Ile-de-France adressent une lettre aux députés et sénateurs de leurs diocèses dans laquelle ils se déclarent «eux-mêmes témoins de situations particulièrement graves, par exemple, quand des familles sont disloquées… » Largement, ils se réfèrent au document «  Un peuple en devenir » publié quelques mois auparavant par la Pastorale des Migrants. En juillet, le Conseil des Eglises chrétiennes publie une déclaration commune dans laquelle les signataires affirment que « ce recours aux églises témoigne de la confiance et de la solidarité qui, depuis longtemps, se sont forgées dans les engagements qui ont placé côte à côte des étrangers, des chrétiens et leurs partenaires associatifs, pour qu’en toutes circonstances les droits de la personne humaine soient respectés ». Dans le même temps, 11 familles de Saint-Ambroise, soit 40 personnes, ont choisi de faire confiance à l’Eglise. Hébergées dans des locaux paroissiaux, prises en charge par des chrétiens, accompagnées dans leurs démarches par le Secours catholique, elles seront toutes régularisées au terme de longs mois d’effort.

Une situation inédite

Depuis toujours, l’engagement des chrétiens auprès des immigrés s’est situé au niveau de la médiation, ce qui n’a pas exclu, au contraire, un travail solidaire en partenariat avec de nombreuses associations compétentes et efficaces, dans le respect des options des uns et des autres. Sans chercher à le faire savoir, mais avec ténacité, de nombreux chrétiens ont appris à se repérer dans le dédale des lois et des procédures, pour préparer et soumettre des dossiers, accompagner enfin la personne convoquée pour une interminable attente en Préfecture.

L’occupation de Saint-Ambroise a créé une situation nouvelle, qui, pour tout dire, nous a pris de court : la médiatisation prenant le pas sur la médiation, certaines associations n’ont pas hésité à utiliser l’Eglise, ses édifices, mais aussi ses références spirituelles. Avant d’être jugée, voire discréditée, elle s’est trouvée prise au piège d’un jeu biaisé dans lequel les sans-papiers n’étaient que le prétexte d’un autre combat.

« Dans sa rencontre avec les étrangers, l’Eglise s’appuie sur deux convictions essentielles : d’une part, elle sait que sa mission passe par la reconnaissance des identités. D’autre part, l’Eglise sait que le péché fondamental consiste à refuser l’autre et à nier la différence qui permet l’échange. Dans la force de l’Esprit du Christ, elle ne cesse de redire qu’une identité ne peut se construire que dans la rencontre de l’autre » ( Un peuple en devenir, éd. de l’Atelier, 1995, p.47).


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