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Tout un registre de vocabulaire qui visait à décrire la question sociale a disparu : où sont passées les classes sociales, à commencer par la classe ouvrière et plus largement les classes populaires ? Les thèmes de la réduction des inégalités et de l’exploitation semblent avoir disparu de la scène publique. Pour comprendre cette évolution, il faut la replacer dans le cadre plus général des transformations du capitalisme depuis les années 60 et des formes de représentations qui lui sont associées, dont l’apparition de la notion d’exclusion est l’un des multiples signes.
La thématique de l’exclusion est le fruit d’une situation historique inédite. Celle-ci est caractérisée par un capitalisme profondément renouvelé, qui s’auto-décrit avec la métaphore et le vocabulaire des réseaux et dont le redéploiement a été à la source de très nombreux dégâts sociaux. Elle coïncide en outre avec une crise sans précédent de la critique sociale forgée dans le creuset socialiste et marxiste. On peut en fait considérer la notion d’exclusion comme le premier pas vers la recomposition d’une critique sociale ajustée au nouveau monde.
Le renoncement aux thématiques classiques de la critique sociale (formulées en termes d’exploitation et de lutte des classes), très marquants dans les années 80 et 90, n’a pas signifié une adhésion unanime à l’ordre existant et l’abandon de toute espèce de critique. La catégorie d’exclusion a peu à peu pris en charge l’expression de la négativité sociale. Ce vocable renvoie à une nouvelle représentation de la société dont on peut identifier, chez différents auteurs, deux expressions, d’ailleurs compatibles entre elles.
La première prend appui sur une représentation de la société en réseau : est inclus celui qui est connecté, relié à d’autres par des liens multiples et diversifiés. Est, au contraire, exclu celui qui a vu les liens qui le rattachaient aux autres se rompre. Il a été ainsi rejeté aux marges du réseau, là où les êtres perdent toute visibilité, toute nécessité et, quasiment, toute existence. Ainsi, par exemple, dans l’élaboration par Robert Castel de la notion de désaffiliation, l’exclusion, comme son contraire, l’insertion, font indirectement référence aux formes du lien social dans un monde conçu sur le mode du réseau.
Dans une seconde interprétation de la notion d’exclusion, l’ancienne société de classes a été submergée par l’expansion d’une classe moyenne plus ou moins uniforme qui occupe la plus grande partie de l’espace social avec, à un bout, une très petite frange, supérieure sous le rapport de la richesse et du pouvoir, et à l’autre un ensemble d’exclus : des chômeurs de longue durée, mais aussi des hommes ou des femmes porteurs de handicaps sociaux ou naturels divers (enfants de familles marginalisées, mères célibataires, étrangers sans papiers, « inadaptés sociaux », etc.). Le travail social consiste alors à réinsérer ces « exclus », à permettre leur inclusion dans la grande classe moyenne en les aidant à surmonter les handicaps qui sont la cause de leur marginalisation mais que leur exclusion renforce.
Cette notion d’exclusion se présente, dans les deux cas, comme un dépassement de la représentation – classique pour les tenants de la critique sociale – de la société sous forme de classes conflictuelles. Elle fut d’ailleurs créée en partie en réaction aux insuffisances de la critique sociale. Pour le Père Wrésinski, fondateur d’ATD-Quart monde et l’un des initiateurs les plus remarquables de la problématique de l’exclusion, le terme d’exclu désigne précisément ceux qui sont laissés en marge, sans représentation aucune, abandonnés, y compris par les instances critiques issues des luttes ouvrières, et réduits à l’assistance, humiliante et inopérante.
Certes, l’exclusion est bien une notion critique (personne n’est pour l’exclusion) au même titre que celle de classe sociale qui, dans sa principale acception, est orientée vers l’exigence d’une disparition des classes. Mais, contrairement à ce modèle, dans lequel l’explication de la misère du « prolétariat » repose sur la désignation d’une classe (la bourgeoisie, les détenteurs des moyens de production, etc.) responsable de son « exploitation », le modèle de l’exclusion permet de désigner une négativité sans passer par l’accusation. Les exclus ne sont les victimes de personne, même si leur appartenance à une commune humanité (ou à une « commune citoyenneté ») exige que leurs souffrances soient prises en compte et qu’ils soient secourus.
En outre, l’exclusion conserve une attache forte avec les propriétés négatives de ceux qui en sont victimes. Or c’est précisément ce lien entre la misère et la faute ou, plus exactement, entre la misère et des propriétés personnelles facilement transformables en facteurs de responsabilité individuelle, que la notion de classe et surtout celle de prolétariat étaient parvenues à briser.
L’exclusion ignore l’exploitation. Cet argument, souvent invoqué, joue aujourd’hui un rôle très important, parce qu’il brise le maillon qui, mettant en rapport le bonheur des riches et le malheur des pauvres, maintenait la référence à une balance de justice dans une société conçue comme un équilibre entre groupes socioprofessionnels sur un territoire national. Mais les sociétés occidentales, dont l’idéal de justice repose sur le principe d’une égalité d’essence de tous les humains, ne peuvent pourtant pas faire l’économie d’une justification des inégalités. Dès lors, le risque d’une régression vers des explications qui fassent uniquement appel aux capacités naturelles des personnes, aussi peu légitimes soient-elles, n’est pas à négliger : les uns ont su saisir les occasions que les autres, affligés de handicaps, ont laissé passer.
Doit-on en conclure que l’exclusion ne serait qu’une « idéologie » visant seulement à masquer la pérennité d’une société fondée sur l’exploitation de classes ? Nous pensons au contraire qu’il faut prendre au sérieux cette notion en tant qu’elle pointe vers de nouvelles formes de misère correspondant aux formations capitalistes qui ont émergé dans les années 80. Mais aussi qu’il convient d’en pousser l’analyse de façon à voir la manière dont elle se rapporte à certains dispositifs actuels de formation du profit. Dans le marxisme, l’exploitation est conçue par référence aux mondes industriel et marchand 1, dans lesquels le capitalisme du xixe siècle prend son essor. Mais il peut exister des formes d’exploitation différentes ajustées à d’autres mondes.
Nous développerons l’idée selon laquelle la notion d’exclusion est surtout pertinente par référence à une forme d’exploitation qui se développe dans un monde en réseau. Mais pour dégager cette forme d’exploitation connexionniste, il nous manque encore un élément. Il nous faut aussi définir la forme spécifique que prend dans ce monde l’égoïsme, puisque les théories de l’exploitation systématisent l’intuition qu’il existe une relation entre la misère des pauvres et l’égoïsme des riches.
Les nouveaux dispositifs en réseau favorisent l’apparition et le développement d’une forme originale d’opportunisme. Quelles sont les personnes à l’aise dans un monde connexionniste ? Ce sont, par excellence, des networkers, mobiles, légers, ayant l’art d’établir et d’entretenir des connexions nombreuses, diverses et enrichissantes, et la capacité d’étendre les réseaux.
Ces qualités sont habituellement présentées comme mises au service du bien commun. Mais cet idéal fait aussi apparaître en négatif un autre comportement possible selon lequel les personnes qui réussissent n’utiliseraient leurs qualités que pour servir leurs intérêts personnels de façon égoïste, voire cynique. Nous appellerons le personnage opportuniste qui, tout en possédant toutes les qualités requises dans un monde en réseau, en fait un usage purement égoïste le « faiseur ».
Soit un faiseur participant à une entreprise collective. Il a abandonné l’idée de carrière, sait que le dispositif auquel il participe est temporaire et n’ignore pas, par conséquent, qu’il sera amené, dans un avenir plus ou moins proche, à changer d’activité. Il doit donc multiplier à la fois les contacts et son employabilité en s’attribuant des réalisations. La bonne stratégie consiste pour lui, non pas – comme le lui recommandent les manuels de management – à mettre ses informations et ses liens en partage avec son équipe et à en faire bénéficier l’organisation dont il dépend mais, à l’inverse, à essayer d’acquérir une avance sur les autres membres de l’équipe (gardant pour lui ses contacts et ses informations), voire à tenter de les dépouiller en s’attribuant la réussite du projet en cours, ce qui lui permet de se déplacer sur un autre projet plus intéressant (laissant en plan ses anciens collaborateurs dont la compétence se trouve dévalorisée).
Le développement de comportements opportunistes dans un monde connexionniste lèse à la fois les autres membres des collectifs de travail dont l’employabilité diminue et les institutions qui ont fourni au faiseur des ressources dont il n’a pas nécessairement acquitté le prix. Si la formule générale de l’exploitation est que la misère des pauvres est due à l’égoïsme des riches, sa traduction dans le monde connexionniste serait alors que l’exclusion est due à l’égoïsme des riches, sa traduction dans le monde connexionniste serait alors que l’exclusion est due au comportement de faiseurs adopté par les personnes ou les institutions.
Mais quelle est la part, soutirée aux petits, qui explique la force des grands dans un monde connexionniste ? En quoi les petits sont-ils utiles à la confection des liens profitables ? Ce que les faibles apportent a sans doute un caractère de visibilité limitée et ne fait pas l’objet d’une reconnaissance dans le cadre de ce monde : il possède une valeur médiocre (sinon, l’injustice dont ils font l’objet serait évidente). La contribution spécifique des petits à l’enrichissement dans un monde connexionniste et la source de leur exploitation par les grands résident précisément dans ce qui constitue leur faiblesse dans ce cadre : leur immobilité.
Dans un monde connexionniste, il convient de se déplacer sans arrêt afin de tisser de nouveaux liens. Mais une caractéristique de ce qu’on appelle aussi le capital social, par opposition par exemple au capital financier, est qu’il dispose d’une faible autonomie par rapport aux personnes. Il circule mal si les personnes ne circulent pas avec lui. L’accroissement du capital social se heurte à une limite temporelle. D’où le conseil donné par Burt aux investisseurs d’éviter la constitution de liens redondants 2.
Notre hypothèse est que la contribution spécifique que les petits apportent à la force des grands est, en demeurant sur place, d’y assurer la présence de ces derniers, qui ne peuvent être partout en même temps, et ainsi d’entretenir pour eux les liens qu’ils ont tissés. Grâce à eux, les limites temporelles (naturelles) qui s’opposent à l’extension du capital social peuvent être surmontées. Dans un monde connexionniste, les petits sont des doublures. Le grand établit un lien à distance. Il connecte une personne (qui peut être elle-même au centre d’une clique) et il choisit ou dépose, en cette place, quelqu’un pour entretenir ce lien. La doublure doit demeurer dans la place où on l’a établie. C’est sa permanence dans ce lieu du réseau qui permet aux autres de se déplacer. Sans son assistance, le grand perdrait, au fur et à mesure de ses déplacements, autant de liens qu’il en gagne. Il ne parviendrait jamais à accumuler. Le capital lui échapperait.
Dans un monde où la grandeur suppose le déplacement, les grands tirent une partie de leur force de l’immobilité des petits, qui est la source de la misère de ces derniers. Or les acteurs les moins mobiles sont un facteur important de la formation des profits que les mobiles tirent de leurs déplacements. Dans un monde où tous se déplaceraient, les profits apportés par le déplacement, particulièrement par la mise en connexion d’êtres ou d’univers distants parce que différents, tendraient à disparaître.
Si la mobilité procure des profits sans commune mesure avec ce que peuvent espérer ceux qui demeurent sur place, les immobiles sont exploités par rapport aux mobiles : leur rôle en tant que facteur de production n’est pas reconnu comme il le mériterait. Leur contribution à la formation de la valeur ajoutée n’est pas rémunérée au niveau où elle devrait l’être pour que le partage puisse être dit équitable.
L’inégalité apparaît plus forte encore si on l’envisage dans la durée, comme un processus cumulatif. Les moins mobiles ont toute chance de voir diminuer la part du profit qu’ils pouvaient attendre en début de période et de perdre, avec le temps, leur sécurité. Les liens ne sont pas éternels, les entreprises se succèdent, les projets changent. Les doublures deviennent inutiles, elles vieillissent avec les investissements en capital social dont leur position dépendait. Le lien dont ces acteurs assuraient, sur place, l’entretien, perd de son intérêt. Le commettant coupe les liens qui ne coûtent pas rien à entretenir. La doublure est déliée, mais sa force et jusqu’à sa capacité de survie diminuent d’autant. La doublure est poussée aux limites du réseau, entraînée dans un processus d’exclusion.
Dans un monde d’exploitation en réseau, chacun vit ainsi dans l’angoisse d’être déconnecté, laissé pour compte, abandonné par ceux qui se déplacent. L’enracinement local, la fidélité et la stabilité constituent aujourd’hui, paradoxalement, des facteurs de précarité et sont d’ailleurs de plus en plus vécus comme tels.
Ce qui est dénoncé habituellement comme l’une des sources actuelles d’inégalités, à savoir, alternativement, le pouvoir des marchés financiers ou la mondialisation, ressortit bien au différentiel mobile/immobile tel que nous l’avons analysé.
Les marchés financiers sont les premiers exploiteurs, car les plus mobiles, d’une longue chaîne d’exploitation en cascade. Leur logique d’action incite en effet celles de leurs victimes qui le peuvent à devenir aussi flexibles que les capitaux sont mobiles pour conserver une plus grande part de la valeur ajoutée, déclenchant en retour d’autres phénomènes d’exploitation : chacun étant, à l’exception de ceux qui sont situés aux deux bouts de la chaîne, à la fois exploiteur et exploité.
Les marchés financiers déplacent des capitaux sur un pays (achat de devises, prêts à l’Etat, prise de participation dans des entreprises locales, etc.) mais peuvent les retirer à tout moment (cette possibilité étant exigée comme condition d’investissement). Le pays affecté, quant à lui, n’a pas cette mobilité. Il a besoin de cet argent pour se développer et le retrait brutal le plonge dans une crise. D’où la hausse des taux d’intérêt, pour que les investisseurs acceptent de ne pas retirer tous leurs fonds. Celui qui peut décider de se retirer unilatéralement impose son prix, son taux d’intérêt, à celui qui reste en place, qui est « collé », selon l’expression même utilisée par les opérateurs financiers.
Cette mobilité extrême des investisseurs constitue aussi une menace permanente pour les entreprises, dont le capital n’est pas, comme on dit, « verrouillé ». Si l’entreprise ne leur sert pas la rémunération qu’ils attendent, ils la vendent éventuellement à un démanteleur. S’ils ont le sentiment qu’elle pourrait être mieux gérée, son cours peu élevé la rend potentiellement victime d’une Offre publique d’achat (OPA). L’industriel qui doit investir à long terme, qui possède des actifs peu mobiles, des usines, des machines, craint en permanence de perdre le soutien de ses financiers, de ne plus pouvoir procéder à l’augmentation de capital ou à la levée d’emprunt qu’il souhaite réaliser, ou de les payer très cher.
En réponse à cette pression, les firmes se mondialisent pour devenir incontournables. Partout où vont les investisseurs, ils retrouvent toujours les mêmes acteurs, les mêmes marques, les mêmes produits. Sur chaque marché, ils n’auront bientôt plus le choix qu’entre 4 ou 5 entreprises. Leur mobilité en est réduite d’autant. En devenant gigantesques, les entreprises se libèrent de la tutelle des marchés car, à partir d’une certaine taille, aucun postulant n’est assez gros pour les acheter, en sorte que le risque d’OPA s’éloigne.
Les multinationales, certes moins mobiles que les marchés financiers, ne sont guère plus fidèles à un pays, une région, une implantation. Pour les retenir ou les attirer, les Etats, ou les collectivités locales, sont prêts à payer, à offrir les terrains, à réduire les impôts, etc. Le plus mobile impose son prix mais il ne s’engage pas vraiment à rester. Il est toujours sur le départ.
Et parmi les entreprises, les multinationales utilisent leur différentiel de déplacement pour faire pression sur des firmes au départ plus petites. Elles ont la capacité financière de fermer une usine quelque part et de la recréer ailleurs, d’en vendre une à un endroit pour en racheter une autre dans un autre pays. La délocalisation laisse sur le carreau tous ceux qui vivaient de l’usine fermée : ses salariés, ses sous-traitants, et tous ceux qui tiraient leurs revenus de ces derniers (commerces, fournisseurs de fournisseurs, etc.). C’est ainsi une part de réseau qui meurt, asphyxiée.
L’important mouvement d’externalisation et de mondialisation peut s’interpréter, au moins en partie, comme le résultat de la volonté d’être léger pour se déplacer plus vite. Une entreprise intégrée, qui possède tous ses sous-traitants, réfléchira à deux fois avant de délocaliser. La difficulté est réduite quand on achète, où que l’on soit, 70 % de son chiffre d’affaires à des fournisseurs divers.
Le consommateur est une autre source d’instabilité. Comme l’actionnaire anonyme, il décide d’acheter ou non et ne s’impose aucune fidélité. Les firmes ont voulu atteindre un niveau de mobilité ajusté à la volatilité supposée de son désir. Elles travaillent en juste-à-temps de façon à ne pas prendre le risque de rester avec des invendus. Elles produisent juste ce qu’il veut quand il le veut, performance qu’elles ne peuvent réaliser qu’en lestant la mobilité des sous-traitants, qui ont le plus souvent des stocks plus élevés que leurs clients, et qui mettent en œuvre des processus plus exigeants en main-d’œuvre (plus de personnel pour moins de chiffre d’affaires). Ces sous-traitants eux-mêmes vont chercher à s’alléger, c’est-à-dire à lester d’autres acteurs du poids d’immobilité minimum nécessaire à la réalisation des affaires. Car il faut bien des lieux affectés d’un minimum de stabilité, où installer des usines pour produire, ou des centres de commercialisation ancrés dans un territoire. Dans ces implantations relativement stabilisées, il faut trouver du personnel local, au moins pendant la période où elles sont en activité. Mais moins ce personnel est capable de mobilité, moins il peut aller s’employer ailleurs et plus on pourra lui imposer un statut précaire, de façon à pouvoir réduire l’activité de l’implant du jour au lendemain sans licenciement, sans plan social, simplement en n’utilisant plus les intérimaires du pays ou de la région où il a été installé.
On ne peut donc regrouper dans la même catégorie la flexibilité et la précarité de l’intérimaire et la mobilité du consommateur ou de la multinationale. Dans un cas, la mobilité est choisie, elle est source de force. Dans l’autre, la flexibilité est imposée et se révèle être tout le contraire d’une liberté. La mobilité de l’exploiteur a pour contrepartie la flexibilité de l’exploité. Cantonné dans une précarité angoissante qui ne lui donne pas la liberté d’être mobile et qui ne lui permet pas de développer sa capacité à l’être quand elle ne la détruit pas, le travailleur flexible est candidat à l’exclusion au prochain déplacement du plus fort (à la fin de son contrat d’intérim par exemple) comme le sont les salariés qui, pour des raisons de santé par exemple, ne peuvent plus suivre le rythme insoutenable qu’on leur impose.
Les entreprises cherchent donc à réduire chaque jour un peu plus ce qui pourrait les attacher à un territoire, à un personnel. Leurs efforts portent sur la production avec le développement de l’externalisation et des équipements légers et modulaires, mais aussi sur la distribution dont on essaie de réduire les implantations physiques.
L’enjeu est d’être plus mobile, moins lourd que son client ou que son employeur, alors seulement le rapport de forces se rééquilibre. Le spécialiste que tout le monde cherche a l’embarras du choix. Il peut partir et retrouver du travail le lendemain ; sa menace de départ lui permettra d’obtenir une rémunération importante. Le salarié qui apprend facilement les langues et se reconvertit sans trop de difficultés peut accompagner son employeur dans sa mobilité, il fait corps avec l’entreprise et a moins de chances d’être laissé sur place. Sur tous les autres pèse la menace d’être déliés, laissés en plan. On leur extorque un moindre salaire et on les condamne à supporter, eux, les derniers maillons de la chaîne, les aléas des marchés.