Une revue bimestrielle, exigeante et accessible, au croisement entre le monde de la recherche et les associations de terrain.
Novembre 2010. Une délégation de jeunes Européens de 12 à 16 ans remet au président du Conseil européen, Herman van Rompuy, très ému, la charte des responsabilités des enfants du monde : « Prenons soin de la planète ». Affirmant leurs responsabilités à l’égard de la planète, ils déclarent : « Si on ne le fait pas maintenant, alors quand ? Si nous ne le faisons pas nous-mêmes, alors qui ? » Et ils invitent les autres acteurs, les « puissants » de ce monde, responsables politiques nationaux, journalistes, élus locaux à assumer leur propre part de responsabilité.
Juin 2012. Bérézina politique et diplomatique au sommet de Rio+20. Les chefs d’État du monde entier ou leurs représentants approuvent un texte de cinquante pages, ritournelle rituelle sur la nécessaire sauvegarde de la planète, sans prendre aucun engagement précis, et sans remettre en cause le sacro-saint principe de la souveraineté des États.
Le contraste est cruel. Ceux que l’on dit sans pouvoir proclament leurs responsabilités à l’égard de l’avenir. Ceux dont les actes ont un impact sur le monde entier et sur les équilibres fragiles dont dépend un avenir commun nient les leurs…
Comment en est-on arrivé là ? Depuis quarante ans, depuis la première conférence mondiale sur l’environnement, à Stockholm en 1972, l’insuffisance des deux piliers de la communauté internationale, posés au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, la Charte des Nations unies et la Déclaration universelle des droits de l’homme, est notoire. Rien n’y est dit sur les interdépendances entre les sociétés, ni sur la sauvegarde de la biosphère. Bien sûr, ce n’était pas la préoccupation de l’époque. Mais, dès lors, il était indispensable de doter la communauté internationale d’un troisième pilier. Celui-ci ne pouvait résulter que d’un vaste dialogue interreligieux et interculturel. Le temps n’est plus où les vainqueurs occidentaux de la guerre mondiale pouvaient se prévaloir de l’universalité de valeurs issues de leur propre tradition et de leur propre histoire. Ce fut le sens des multiples tentatives de rédaction d’une « charte de la Terre » lors de la préparation du premier sommet de la Terre de 1992. Mais Maurice Strong, le secrétaire général du sommet, n’a pu obtenir des chefs d’État l’adoption d’une telle charte. Il est vrai qu’à l’époque sa rédaction était trop exclusivement centrée sur les questions environnementales pour avoir une portée générale et universelle. La question cependant est restée posée : les sociétés humaines peuvent-elles se mettre d’accord sur des valeurs communes, trouvant un écho profond dans leurs traditions respectives, pour gérer ensemble notre unique et fragile planète ?
Cette question a été au cœur de la démarche de l’Alliance pour un monde responsable et solidaire, dynamique citoyenne internationale née en 1993 du constat des limites du sommet de la Terre. Dès 1995, s’est formé en son sein un groupe de travail interreligieux dont la mission était de répondre à la question des valeurs communes. Une valeur s’est imposée comme répondant à tous les critères recherchés : celle de la responsabilité. D’abord, parce que le principe de réciprocité est bien au cœur de toute construction sociale : il y a communauté dès lors que chacun assume les impacts de ses actes vis-à-vis des autres. Ensuite, parce que la responsabilité, étendue cette fois à l’ensemble de la planète, est la contrepartie du caractère global des interdépendances. En troisième lieu, parce que la responsabilité est au fond la face cachée des droits : à quoi bon proclamer sans cesse de nouveaux droits s’ils ne sont opposables à personne, si personne n’a la responsabilité de les rendre effectifs ? Enfin, parce que c’est sur l’équilibre entre droits et responsabilités que se fonde une véritable citoyenneté. Bien d’autres réflexions menées à la même époque, par exemple par l’InterAction Council, initié par l’ancien chancelier Helmut Schmidt, ou par le Collegium animé par Michel Rocard, avec la déclaration d’interdépendance, sont arrivés à la même conclusion, avec une démarche plus centralisée, des groupes de personnalités éminentes prenant la parole ensemble.
L’éthique doit prospérer à trois niveaux : celui des convictions personnelles, celui des références collectives, celui des normes et du droit.
Une assemblée mondiale de citoyens, organisée à Lille en 2001, a adopté la « charte des responsabilités humaines ». Mais adopter un texte est une chose, le faire vivre en est une autre. L’éthique doit prospérer à trois niveaux : celui des convictions personnelles, celui des références collectives, celui des normes et du droit. D’où la démarche adoptée après Lille : la mise en débat de la charte dans différents contextes culturels, pour vérifier qu’elle trouvait un écho dans les cœurs, non comme la révélation d’un principe nouveau mais plutôt comme le miroir de valeurs déjà présentes dans la société ; le développement de dynamiques collectives au sein de différents milieux socioprofessionnels – scientifiques, militaires, pêcheurs, habitants, migrants, cadres d’entreprises, journalistes, etc. – pour donner un sens concret au principe de responsabilité dans les situations professionnelles les plus variées ; la traduction, à terme, des grands principes de la charte dans le droit international. Le Forum éthique et responsabilité rend compte de ces différentes démarches.
Il arrive, comme le dit l’évangile, que les graines tombent dans un terrain fertile et y prospèrent. Ce fut le cas au Brésil où la diffusion de la « charte des responsabilités humaines » a été portée par deux militantes de l’Alliance pour un monde responsable, pluriel et solidaire impliquées dans l’éducation à l’environnement, Isis de Palma et Rachel Trajber. Terrain fertile car au moment où commençait à se diffuser la charte au Brésil, le président Lula lançait de vastes consultations nationales. De cette coïncidence est née l’idée d’une Assemblée nationale des enfants du Brésil. Conçu selon de vraies modalités participatives, inscrit dans le programme des écoles, ce processus mobilise plusieurs millions d’enfants de 12 à 15 ans. Ils désignent leurs délégués, à l’échelle des écoles puis des États brésiliens, pour élaborer ensemble leurs réflexions sur l’avenir et leurs engagements. L’assemblée de 2005 fut à cet égard un modèle. Les délégués sont venus présenter au président Lula le texte qu’ils venaient d’adopter : « Prenons soin du Brésil ». Et le président leur avoua qu’ils étaient les premiers à venir le voir non pour revendiquer un avantage mais pour assumer un engagement.
Lula avoua aux enfants qu’ils étaient les premiers à venir le voir non pour revendiquer un avantage mais pour assumer un engagement.
Mais comment s’en tenir au Brésil ? Edith Sizoo, la coordinatrice de l’Alliance en charge de la charte fut si impressionnée qu’elle demanda aux délégués : « Pourquoi ne pas inviter vos collègues du monde entier à participer à cette réflexion ? » D’où l’idée d’une Assemblée mondiale des jeunes, conçue selon les mêmes modalités. La Fondation Charles Léopold Mayer, impliquée dès l’origine dans le développement de l’Alliance, fut séduite par cette audace : si les enfants d’aujourd’hui n’apprennent pas à dialoguer et à assumer ensemble leurs responsabilités vis-à-vis de la planète, comment pourraient-ils échapper à la schizophrénie galopante de la génération des adultes, empêtrés dans leurs contradictions, enfermés dans leurs logiques nationales et leurs intérêts à court terme, impuissants à réorienter une aventure humaine malgré la certitude d’aller vers la catastrophe ? Force est de le constater : les droits des générations futures sont objet de discours et non, comme ils le devraient, sources de droit universel. Au train où vont les choses, nos enfants et petits-enfants auront à subir les conséquences de notre propre irresponsabilité.
De 2005 à 2010, cette idée d’une Assemblée mondiale des jeunes a fait naître des dynamiques nouvelles ou fédéré des initiatives préexistantes. En juin 2010, la première conférence mondiale des jeunes réunissait à Brasilia cinquante délégations nationales, de tous les continents. Dix jours de rencontre. La même méthodologie, respectueuse de l’autonomie des enfants et adolescents. Les adultes accompagnateurs exclus des ateliers de travail des jeunes, animés par des facilitateurs de 20 ans. Témoin de cette assemblée, j’ai été conquis par l’incroyable mélange de sérieux et de musique, d’engagement et de rire, propre à cet âge. Seuls, peut-être, les jamborees des années 1930 du mouvement scout alors à son apogée ou, dans un autre registre, les Journées mondiales de la jeunesse de l’Église catholique, ont approché ce sentiment physique d’une communauté universelle, unie par une commune conviction et une commune espérance. La gravité joyeuse, le sentiment de vivre un moment exceptionnel et d’avoir le devoir, toujours périlleux, de rendre compte à tous les autres, à ceux qui sont restés au pays, de ce qu’ils ont vécu, fût-il pour une part indicible. De cette assemblée est née la charte : « Prenons soin de la planète ».
À son tour, comme un témoin qui se transmet, elle a donné naissance à des dynamiques continentales, comme celle qui a réuni à Bruxelles, en mai 2012, la conférence européenne des jeunes. Le temps n’est plus où les défenseurs des droits de l’homme pouvaient considérer que les faibles ne devaient que revendiquer des droits, la responsabilité étant réservée aux « puissants ». Les jeunes revendiquent le principe de responsabilité de chacun proportionnée à son savoir et son pouvoir. C’est la force de leur interpellation : nous sommes prêts, dès maintenant, disent-ils, à assumer nos responsabilités. Et vous ?
La Charte des responsabilités, extraits
« Nous, les jeunes du monde, vous invitons à partager nos responsabilités pour prendre soin de la Planète. Si on ne le fait pas maintenant, alors quand ? Si nous ne le faisons pas nous-mêmes, alors qui ? »
Quelques-unes des responsabilités et actions énumérées par la charte :
« Encourager les économies d’eau et sa réutilisation ; faire pression sur les gouvernements pour l’établissement d’une taxe liée à la pollution ; consommer des produits alimentaires locaux, en encourageant une économie sans exploitation sociale ; partager des vidéos, des chansons pour l’éducation à l’environnement pour tous ; boycotter les produits néfastes pour l’environnement ou qui violent les droits fondamentaux ; subventionner l’achat de voitures écologiques et promouvoir les Journées mondiales sans voiture ; créer des campagnes d’information dans les journaux, à la radio, à la télévision, sur internet. »
« Nous venons de différents pays et sommes de diverses cultures et, bien que séparés par les océans et les continents, nous sommes tous un, unis par un objectif commun : prendre soin de la Planète ! Pour cela nous avons besoin de mon aide, de votre aide, et de celle de tous. »
Brasilia, le 10 juin 2010