Une revue bimestrielle, exigeante et accessible, au croisement entre le monde de la recherche et les associations de terrain.
La recherche destinée à appréhender l’impact de la judiciarisation, depuis l’« arrêt Perruche » 1, sur les pratiques des échographistes et des gynécologues obstétriciens ne permet pas de répondre de façon globale à la question de savoir en quoi le diagnostic prénatal constitue une « sécurité » 2. Que ce soit le cas d’un point de vue médical dans certaines situations paraît incontestable aux médecins que nous avons interrogés.
Le Président du syndicat des échographistes énumère ainsi en quoi consiste son métier, qu’il refuse de considérer comme l’instrument de l’interruption médicale de grossesse et qui doit au contraire viser, à son sens, une amélioration de l’état de santé des malades : « Mon métier, dit-il, sert à sauver des mamans, si on trouve un placenta qui est mal placé et que la mère risque de mourir à l’accouchement si on n’en fait pas le diagnostic, alors que si on fait le nécessaire, elle rentre chez elle en bonne santé avec un bébé qui va bien. Dans ce cas, on sauve des vies de mamans. Il sert aussi à sauver des vies de bébés. S’il casse sa courbe de croissance par exemple, ou dans d’autres cas, car il y a toute une série de situations où on peut intervenir pour que le bébé aille mieux. Si jamais on n’a pas de solution efficace, au maximum, si on a atteint un stade de développement suffisant, on peut extraire le bébé et le mettre en couveuse et les parents rentrent à la maison avec un bébé qui va bien au lieu d’avoir un bébé qui aurait souffert dans le ventre de la maman et qui aurait nécrosé ses cellules cérébrales, ou qui rentrerait avec les intestins ou le cerveau détruits. On sauve donc non seulement des vies de bébé mais aussi des organes de bébés. Et à ce titre, c’est un examen extraordinaire. »
Ces avantages n’annulent pas pour autant les questions d’ordre éthique soulevées par l’organisation en France du dépistage prénatal, dont l’échographie est le premier outil, et les appréciations de ces pratiques par les professionnels de la naissance sont parfois fort contrastées, voire divergentes.
Le dépistage prénatal est supposé prévenir le « risque » d’anomalies, il expose de ce fait les médecins au « risque médico-légal » en cas d’erreur d’interprétation des examens prénatals. Ce « risque » fait à son tour encourir le « risque » d’une désertification de la profession d’échographiste et d’obstétricien, dans la mesure où ces derniers ne veulent pas encourir un tel danger, à moins que, pour s’en prémunir, les médecins acceptent d’interrompre une grossesse au moindre doute sur la « normalité » du fœtus, ce qui exposerait alors la société entière au « risque » d’un eugénisme visant non plus seulement les enfants à naître porteurs d’anomalies graves ainsi que l’autorise le code de la santé publique, mais tout fœtus porteur de la moindre anomalie!
C’est tout au moins cet ensemble de « risques » que les représentants de ces professions médicales avaient souligné au moment de l’« arrêt Perruche ». Et c’est la raison pour laquelle nous avons voulu vérifier au cours d’une enquête, qui a duré trois ans, dans quelle mesure les effets annoncés de cette décision de justice ont été déjoués et dans quelle mesure, au contraire, ils se sont réalisés, malgré l’article 1 de la loi sur le droit des malades qui, affirmant que « nul ne peut se prévaloir d’un préjudice du seul fait de sa naissance », mettait théoriquement un terme à la jurisprudence Perruche 3.
Au cours d’un colloque de médecine fœtale, nous avons distribué un questionnaire auquel 147 praticiens ont répondu. A partir des réponses ainsi obtenues, nous avons réalisé 64 entretiens auprès de divers professionnels de la naissance, incluant non seulement des obstétriciens et des échographistes mais aussi des pédiatres, des sages-femmes, des psychologues et des psychiatres.
De ces entretiens, je voudrais tirer plusieurs éléments :
L’état des lieux que nous avons ainsi tenté de réaliser sur le dépistage prénatal en France fait apparaître de redoutables questions éthiques. En effet, l’inégalité d’accès aux investigations prénatales soulève des difficultés inédites puisque l’on en vient notamment à se demander si revendiquer l’égalité d’accès à ces investigations ne reviendrait pas à revendiquer une égalité dans le pouvoir de sélectionner les naissances ! Mais dans ce cas, notre société pourra-t-elle parallèlement accorder aux hommes et aux femmes qui ne sont pas nantis de facultés physiques ou intellectuelles intactes la place qui leur est due et qui est théoriquement affirmée par la loi sur l’« égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées. » 4 ?
Nous espérons donc ouvrir le débat sur des questions face auxquelles plusieurs médecins rencontrés se sentent très seuls.
Danielle Moyse
1 / Le 17 novembre 2000, la Cour de Cassation affirmait la nécessité d’indemniser Nicolas Perruche, né handicapé suite aux effets de la rubéole qu’avait contractée sa mère durant sa grossesse, au motif que celle-ci n’avait pu recourir à l’interruption médicale de grossesse autorisée par le Code de la Santé publique en cas d’anomalie incurable d’une particulière gravité. En effet , cette rubéole n’avait pas été diagnostiquée malgré les tests alors réalisés et Madame Perruche avait poursuivi sa grossesse alors qu’elle avait manifesté le désir de l’interrompre en cas d’infection rubéolique. Or, reconnaître la légitimité de cette indemnisation, c’était implicitement reconnaître qu’il aurait été préférable pour l’enfant de ne pas venir au monde et, par conséquent, qu’il vaut mieux ne pas naître que naître handicapé. Un tel présupposé déclencha de vives contestations parmi les médecins, les juristes et des associations de personnes handicapées et de leurs proches.
2 / . Voir Nicole Diederich et Danielle Moyse, Vers un droit à l’enfant normal ? , éd. Erès, 2006, ouvrage rédigé à la suite d’une recherche auprès de professionnels de la naissance.
3 / . Loi du 4 mars 2002.
4 / . Loi du 11 février 2005.