Une revue bimestrielle, exigeante et accessible, au croisement entre le monde de la recherche et les associations de terrain.
Les promesses du rural. Après des décennies de lamentations, annonçant un déclin inévitable, voici que l’avenir s’y dessine en termes de projets. La population a cessé de décroître. Même dans le rural « isolé », elle a légèrement augmenté au cours des dernières années. Les enjeux du développement des territoires ruraux sont reconnus comme des priorités, portées par des initiatives à tous les niveaux : localement, les expériences des « pays » ou des communautés de communes les ont engagés dans une dynamique renouvelée ; le gouvernement dessine les axes d’une politique rurale, au-delà de son simple volet agricole ; l’Europe consacre, à travers les programmes Leader, les perspectives d’un développement intégré.
Ces promesses s’appuient sur des atouts réels, plus solides qu’on aurait tendance à le dire. La volonté de faire vivre un espace attractif. Un véritable attachement, « objet de passion » même, de la part de toute la société. Une proximité et un maillage institutionnel qui est resté plus solide qu’ailleurs. Le désir d’expérimenter des partenariats nouveaux entre acteurs locaux. Une richesse d’initiatives associatives, moins individuelles, moins consommatrices peut-être que dans le cadre urbain...
Mais les promesses resteront en pointillés, si tous les ruraux, anciens et nouveaux, responsables politiques et agriculteurs, ne parviennent pas à les nouer en une gerbe rassemblant des attentes diverses et dépassent les méfiances réciproques devant l’avenir. Les questions que soulève ce dossier sont renvoyées aux acteurs de cet avenir : les syndicats paysans, les associations, les élus. Le rural est à un carrefour.
Un carrefour d’abord, pour équilibrer une politique trop longtemps identifiée à un seul volet, de soutien à la production – le reste, le développement rural, en découlant par surcroît. Imaginer l’évolution de la Pac est aujourd’hui nécessaire. Ses dérives, son coût, les crises sanitaires ont affecté sa légitimité. La société a de nouvelles exigences, de qualité et de sécurité, d’aménagement de l’espace rural. Mais il ne s’agit pas d’exposer les agriculteurs européens aux contraintes d’une division internationale du travail, qui éliminerait six des sept millions de fermes. Les productions agricoles ne sauraient être gérées par la seule loi du marché, soumises à des mouvements erratiques. Une régulation est nécessaire. Mais les agriculteurs ne veulent être situés ni dans un cadre étatiste, ni dans un cadre libéral. Etre pleinement chef d’entreprise dans un marché régulé ? La même tension est au cœur de la crise d’identité d’autres professions, les médecins par exemple. Quand une aussi grande part des revenus provient de Bruxelles – ou de la Sécurité sociale –, on n’est pas simplement dans une économie de marché. Mais face à l’Etat, on est à la fois en position de demandeur et de contestation de son « savoir-réguler ». On en appelle à l’Etat, mais demandant que la gestion de cette régulation soit confiée aux représentants de la profession – à travers des organismes publics.
Les contrats territoriaux d’exploitation ont proposé l’amorce d’un système alternatif : favoriser une « agriculture de terroir », en accordant des aides sur la base du développement durable (en termes d’emplois, de respect de l’environnement, de qualité...) afin de permettre aux paysans de jouer sur le label, la certification, etc. Pouvait-on aller plus loin et faire coïncider cette politique avec les contrats de pays ? Etait-ce agiter le chiffon rouge d’un système collectiviste ?
Le deuxième carrefour est celui précisément du développement des « pays », quelle qu’en soit la forme institutionnelle. C’est soutenir la vitalité d’un territoire au-delà de la seule activité agricole. C’est bien sûr vitaliser un espace attractif, qui accueille des habitants et des emplois. L’emploi industriel occupe une place importante dans le rural, plus du tiers ! Mais comment s’appuyer pour cela sur une population active moins mobile et parfois moins formée que celle des agglomérations urbaines ? L’implantation de productions industrielles est liée, bien sûr, à celle des services (de transports en particulier). Ce peut être un atout de vivre et de produire à la campagne, mais cela suppose une vraie dynamique de la part des collectivités pour accompagner ces créations. Sinon, la délocalisation dans le rural ne sera qu’une étape avant celle dans le tiers monde, si l’environnement n’est pas un facteur d’équilibre.
L’avenir du rural passe aussi par le développement du « tourisme vert ». Les expériences de pays rapportés dans ce dossier y insistent toutes. Certaines années, le tourisme a contribué plus que l’agriculture à l’excédent de notre balance commerciale. La France est le premier destinataire touristique du monde, non seulement pour ses monuments, mais pour la diversité de ses paysages et de des propositions d’accueil. Le rural ne peut cependant y voir la seule panacée. Là encore, la concertation entre tous les acteurs d’un territoire est nécessaire.
Une nouvelle société rurale
Car, c’est le troisième carrefour pour que fructifient les promesses, y cohabitent désormais une diversité de ruraux. Les paysans se considèrent comme les « premiers ruraux », demandant que les projets soient construits autour de l’agriculture. Sont-ils prêts à engager une véritable coopération avec les autres, artisans, commerçants, associations, responsables politiques, pour penser l’avenir ? La fiscalité, par exemple, ou les prêts à l’installation, doivent-ils être orientés en fonction d’une catégorie prioritaire ? Dans l’élaboration d’une politique de pays, il n’est pas toujours facile d’engager des programmes qui soient le fruit d’un véritable partenariat entre le monde paysan et les autres porteurs de projets. La tension est souvent réelle avec les municipalités pour la gestion de l’espace.
Une nouvelle « société rurale » est pourtant en gestation. Les 36 000 communes sont autant de républiques « identitaires », patrimoniales : on « en est » parce qu’on y a ses biens et son caveau. Mais, au tournant du xxe siècle et au début du xxie, on observe une rupture dans le regard porté sur les espaces ruraux, des lieux de vie plus diversifiés. Ils vont retrouver en 2004, globalement, la population qu’ils avaient il y a vingt ans. Mais cette promesse de regain n’est pas celle d’un retour à la situation ancienne, elle est celle d’une figure nouvelle ; une société qui reconnaît d’autres acteurs, d’autres attentes, et qui ne rejette pas ceux qui n’en sont pas. Le rural doit être aidé dans ses capacités d’accueil et d’intégration : les processus de relégation n’existent pas que dans les quartiers, même s’ils y sont plus visibles. Le citoyen qui a dix générations derrière lui dans le village est-il plus légitime que celui qui n’est là que depuis deux ans ?
L’investissement, patrimonial, affectif, social, des paysans sur leur territoire a forgé l’identité des anciens. Mais ceux dont l’investissement est apparemment plus fonctionnel ne sont pas moins légitimes. La vitalité des multiples associations est un des leviers importants pour la rencontre : régies de pays, mouvements d’éducation populaire, associations pour la valorisation du patrimoine ou pour partager des services... L’avenir du rural peut mobiliser tous ses habitants.