Une revue bimestrielle, exigeante et accessible, au croisement entre le monde de la recherche et les associations de terrain.
Fin août, le sommet de Johannesburg sera l’occasion d’une vaste confrontation autour du développement durable. Il fournira à de nombreux acteurs de la société civile un lieu de débats importants. Mais il n’est pas sûr que les Etats abordent cette rencontre avec des idées bien claires et la volonté d’aboutir à des conclusions. Les voies d’un partenariat renouvelé se cherchent, qui ne seront pas la simple prolongation ou la correction des modèles précédents, mais l’exploration de formes de solidarité. Car c’est bien notre monde en développement qui se découvre aujourd’hui comme un « bien commun », non pas seulement la circulation de produits et de services, non pas seulement, non plus, le souci humanitaire de corriger les défauts de la globalisation.
Ce dossier souligne la nécessité de croiser désormais les deux approches : celle du développement durable et celle des rapports Nord/Sud. La première renvoie à l’idée de bien public, de sécurisation du processus de croissance. Pendant vingt ans, le modèle libéral de développement s’est imposé, l’ouverture générale devait permettre à tous de profiter des échanges et de participer progressivement à la croissance. Les failles sont apparues de plus en plus criantes. D’autres modes de régulation sont à inventer, moins mécaniques, plus coordonnés, au plan local comme au plan international. La deuxième approche concerne les rapports Nord/Sud. Ils ont été pensés, d’abord, sous forme d’une aide au développement : le Nord imaginant faire profiter le Sud de ses réussites, le Sud rappelant au Nord la dette qu’il lui devait. Voici que le bien fondé de cette aide est mis en question, comme si un soutien matériel suffisait à ouvrir l’accès des pays les moins avancés à la croissance. La fracture Nord/Sud revient sur le devant de la scène, non plus comme il y a trente ans comme un affrontement pour partager les ressources, mais par la prise en compte de la logique d’un développement commun, qui ne se réalisera qu’appuyé sur des cohérences locales, régionales...
La première partie de ce dossier rappelle comment les problèmes d’équité internationale reviennent au premier plan – témoins les sommets de Durban, de Monterrey, le Forum de Porto Alegre –, avec insistance mais de manières différentes. Parler alors de développement durable, ce n’est pas uniquement parler du climat ou des Ogm, mais d’une solidarité plus large. L’accroissement du capital humain (de l’accès à l’alimentation, à l’instruction, à la santé), comme la construction d’assises sociales et politiques sont aussi importants que la croissance du Pnb. Il ne s’agit pas d’imposer une formule unique à l’échelle de la planète, mais de poser ensemble des problèmes qui ont aussi une dimension éthique, d’équité, de précaution... Au-delà d’une globalisation, l’enjeu est celui d’une durabilité partagée, qui suppose de soutenir des formes de régulation et des politiques publiques (infrastructures, système de santé...).
La deuxième partie s’interroge sur la cohérence entre les différents niveaux de cette régulation. A côté du théâtre des négociations internationales, l’important est de diffracter ce souci du « bien public » dans chaque pays, auprès de chaque acteur. Il y a un lien entre leurs conduites quotidiennes et les biens mondiaux. Le développement commun les invite à une approche plus systémique. Parmi ces acteurs (consommateurs, industriels, transporteurs, agriculteurs, urbanistes, etc.), l’exemple des syndicats nous a paru éclairant. La défense de l’emploi à long terme passe pour eux aujourd’hui par une responsabilité à l’égard de problèmes pluridimensionnels (économiques, écologiques, sociaux, internationaux) abordés à l’échelle de territoires, des régions, des bassins d’emploi. Réciproquement, les modes d’une cohérence plus globale ne pourront faire l’impasse sur cette construction par chaque société. Il ne suffit pas d’exiger que celle-ci s’ajuste à des mécanismes décidés de l’extérieur.
L’Europe a sans doute un rôle exemplaire à jouer, malgré ses pesanteurs, dans cette exploration des voies d’un développement partagé. C’est à elle, par exemple, d’imaginer d’autres rapports avec les pays de la Méditerranée, entre elle et l’Afrique. Et de mettre en harmonie ses choix (pour l’agriculture, la politique d’immigration...) avec cette vision d’une solidarité ouverte. Alors les réponses au défi de l’humanisation de la mondialisation se traduiront par l’élargissement de l’espace d’espérance qu’a représenté l’utopie européenne comme volonté d’un développement commun et durable.