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Dossier : École catholique, école publique ?

La contribution de l’école catholique aux missions de l’école en France


L’enseignement privé sous contrat est tenu aux mêmes missions que le public : préparer à l’exercice de la citoyenneté, au vivre ensemble, à la vie professionnelle, tout en visant l’égalité. L’école catholique peut y ajouter des éléments spécifiques dus à son caractère propre.

« Instruire et éduquer la personne » pour qu’elle soit ceci ou cela. On ne saurait se limiter à ce niveau général. La description des objectifs de l’école et la réflexion sur la contribution de l’enseignement catholique méritent d’être conduites à un niveau plus précis. Il convient pour ce faire d’extraire du code de l’éducation des axes regroupant de façon structurée les objectifs énoncés et permettant une discussion plus précise et articulée. Je crois qu’on peut affirmer que l’école française a de fait quatre grands objectifs :

- transmettre et faire acquérir des connaissances,

- préparer à la vie professionnelle,

- éduquer les futurs adultes à être citoyens et à vivre ensemble,

- viser l’égalité entre élèves dans la réussite éducative.

Ces grands objectifs ne doivent pas être conçus comme indépendants les uns des autres, même s’il est commode d’y réfléchir séparément. Et encore moins comme antinomiques ou redondants : au contraire, ce sont tous quatre qu’il faut s’efforcer d’atteindre, car c’est à cette condition que tous les futurs adultes seront des « personnes libres, responsables et sachant vivre avec les autres ».

Transmettre et faire acquérir des connaissances

Les connaissances qu’il faut transmettre et faire acquérir résultent directement, en France, de trois éléments : les programmes d’enseignement, le socle commun de connaissances et compétences (« ce qu’il n’est pas permis d’ignorer ») et les horaires. Ils s’appliquent évidemment à l’enseignement sous contrat1. On se contentera de trois remarques.

D’abord sur le « statut » des disciplines. Sauf pour les futurs enseignants et les chercheurs, il faut considérer que les connaissances qu’elles recouvrent n’ont pas, ou guère, leur justification en soi. Elles sont essentielles beaucoup plus par les compétences ou capacités qu’elles permettent d’acquérir que par leur contenu propre. De tout temps, l’école française a donné de l’importance aux compétences derrière les connaissances. Par exemple, un savoir (géographie) servait surtout à apprendre un savoir-faire (savoir se situer dans l’espace) et un savoir-être (connaître et aimer la République). Aujourd’hui aussi, les connaissances valent surtout pour les compétences. Donnons quelques exemples concrets, fussent-ils un peu schématiques : le latin ou les mathématiques, pourquoi les enseigner ? Pour, entre autres, la rigueur de raisonnement qu’ils obligent à acquérir. Les sciences ? Pour apprendre à discuter rationnellement, échanger des arguments plutôt que des coups. L’histoire ? Toujours pour connaître d’où vient le monde et la communauté dans laquelle on vit, pour bien se situer dans le temps. Et jusqu’au français. Lire et écrire correctement, maîtriser la langue française sont certes des connaissances de la langue mais, en même temps, surtout des compétences : cela permet de bien s’exprimer et comprendre, etc. Les matières ou disciplines, loin d’avoir leur finalité propre, sont d’abord des truchements pour acquérir des savoir-faire et des savoir-être. Ce n’est pas dévaloriser les disciplines que de montrer les savoir-faire et savoir-être qu’elles permettent de maîtriser (et qui diffèrent d’une discipline à l’autre). C’est dire qu’elles sont indispensables dans l’enseignement : on n’apprend pas des compétences et des attitudes toutes seules, en l’air, mais précisément à travers une (ou des) disciplines, à travers des connaissances.

Quelle contribution l’enseignement catholique apporte-t-il à cette transmission ? À part quelques prises de position très isolées, il a la sagesse de considérer qu’il n’existe pas de « discipline catholique » ni d’« enseignement catholique » d’une discipline2. Il suffit d’ailleurs de se poser la question : que serait, par exemple, une géographie catholique ou un enseignement catholique de la géographie, pour en mesurer l’absurdité. Sur ce fond général, certaines inflexions se voient qui « colorent » la contribution de l’enseignement catholique. Ainsi, il y a, dans le cadre de l’enseignement précoce des langues vivantes, plus souvent de l’anglais et moins souvent d’autres langues vivantes dans les classes primaires catholiques que dans les classes primaires publiques : avantage ou inconvénient ? En tout cas, spécificité. Ou, dans un autre registre, le caractère propre des établissements catholiques peut les conduire (et les autorise) à créer des enseignements absents ou très peu fréquents dans l’enseignement public, ainsi un cours d’« histoire et vie des religions ». Enfin, il peut y avoir des cas-limites qui là encore demandent attention. La philosophie par exemple. Certes, Heidegger a dit, et avec raison, qu’« il n’y a pas plus de philosophie catholique que de mathématiques protestantes3 », mais il pourrait y avoir une tentation d’enseigner « chrétiennement » la philosophie4. Les sciences biologiques et humaines sont l’autre discipline pour laquelle il faut être attentif. L’enseignement du « créationnisme » tel qu’il existe dans certains établissements privés aux États-Unis n’a pas cours en France et ne saurait exister, en tout état de cause, en présence d’un contrat avec l’État. Mais les questions de l’origine (ou de la création) et de l’évolution de l’univers et de l’homme obligent les professeurs de sciences chrétiens à être subtils. Dans un esprit voisin, mais différemment, l’enseignement catholique a été parmi les principaux critiques de la théorie du genre, dès lors qu’on entendait considérer ses conclusions comme scientifiques et qu’on se proposait de les enseigner.

C’est bien des expérimentations « sur le terrain », dans les classes et établissements, que naîtront les réussites, et non d’instructions.

La troisième remarque porte sur l’acquisition des connaissances par les élèves. Il ne suffit plus en effet aujourd’hui de « transmettre » des connaissances, il faut les faire acquérir par les élèves, ce qui ne s’identifie pas. Favoriser cette acquisition par tous les élèves est difficile, plus difficile qu’autrefois, et recouvre des actions diverses : orientation du cours lui-même dans cette direction en développant des stratégies et des techniques pédagogiques orientées vers la réussite des élèves, accompagnement des élèves en dehors du cours, concentration sur les élèves en difficulté, reprise, mais autrement, des éléments du cours, exercices et leçons, évaluation des élèves, relations avec les parents au service de la réussite de leurs enfants, etc. Au-delà d’une vocation, être professeur est un métier : il ne s’agit pas seulement de savoir ce qu’on enseigne, il faut, peut-être surtout, savoir l’enseigner et savoir faire progresser tous les élèves jusqu’à ce qu’ils le maîtrisent. C’est ici le grand champ d’exercice de la liberté pédagogique des enseignants, liberté nécessaire et qui leur est reconnue par la loi. À mon avis, cette ambition de faire réussir tous les élèves requiert en réalité de modifier le métier d’enseignant, de définir et créer ce que j’appelle l’« enseignant du XXIe siècle », précisément pour intégrer explicitement ces aspects autres que le seul cours, mais en l’absence de cette transformation capitale, les fréquentes initiatives prises ici ou là, par les personnes individuellement ou par les équipes de professeurs, sont essentielles. Car c’est bien des expérimentations « sur le terrain », dans les classes et établissements, que naîtront les réussites, et non d’instructions. Dès lors, la chance, pour la France, de disposer de deux « segments » du système éducatif avec des pratiques pédagogiques partiellement différentes devrait être pleinement exploitée. Il y a là une double contribution potentielle importante, tant du public que du privé sous contrat : les échanges entre leurs initiatives et réussites éducatives devraient être la règle (aujourd’hui ils sont pratiquement inexistants) aux niveaux local (entre établissement), académique ou national (colloques, salons même où les pratiques pédagogiques seraient présentées et discutées, élaboration et large diffusion aux enseignants de « guides » d’expérimentations réussies, etc.). Tant pour enclencher le processus qu’en régime de croisière, les inspecteurs publics devraient être les acteurs principaux de ce recensement, de cette analyse et de cette diffusion des réussites ; mais cela n’exclut pas des actions et initiatives de l’enseignement catholique, surtout si, comme aujourd’hui, les inspecteurs exercent peu, trop peu, cette mission. Car on ne peut suivre les avis de ceux qui, prenant prétexte de la liberté pédagogique et de la spécificité de chaque classe, ne veulent pas d’une telle diffusion ou la jugent inutile. Au contraire, la liberté pédagogique, nécessaire, doit être nourrie, sous peine que l’enseignant, à force d’être isolé, ne s’étiole et ne sache pas comment faire réussir tous ses élèves. Dans aucune profession, quelle que soit la liberté qui y est laissée, on ne court ce risque de stérilité en demandant que les professionnels « recréent » quotidiennement et seuls leurs pratiques. Et il n’est pas vrai que chaque classe soit à ce point particulière que les réussites des autres ne puissent vous aider : non pas pour copier ces réussites, mais pour s’en inspirer et construire vous-même ce qui est adapté à votre classe. La liberté pédagogique ne sera pleinement efficace au service de la réussite de tous qu’autant qu’elle sera alimentée, et l’enseignement catholique doit ou devrait y contribuer pleinement5.

Dans aucune profession, on ne court ce risque de stérilité en demandant que les professionnels « recréent » quotidiennement et seuls leurs pratiques.

Préparer à la vie professionnelle

Ce deuxième grand objectif recouvre en réalité deux aspects assez distincts. Il faut d’abord s’assurer de fournir des compétences, des qualifications, qui permettent une rapide insertion sur le marché du travail à la fin des études. Il faut en outre fournir des compétences pour faire face à ce que sera une carrière professionnelle, c’est-à-dire au changement.

Certes l’école ne doit pas d’abord et exclusivement préparer à un emploi, mais si les élèves qui ont réussi leurs études (en particulier ceux qui sont diplômés, même s’il s’agit d’un diplôme modeste) ne trouvent pas rapidement un emploi à la sortie, tous les autres objectifs de l’école sont discrédités, notamment aux yeux de leurs cadets. L’école n’est pas la seule, ni même la principale responsable, de l’énorme chômage des jeunes dans notre pays, en particulier des jeunes peu qualifiés et peu ou non diplômés. Mais elle ne saurait s’en dédouaner. Elle est tout de même en partie responsable, hélas, des sorties scolaires sans aucune qualification, ou sans aucun diplôme (ce qui n’est pas synonyme : c’est encore pire de n’avoir aucune qualification, et l’on peut être qualifié sans être diplômé, par exemple les apprentis qui à l’issue de leur apprentissage échouent à leur diplôme, CAP ou bac professionnel : cela ne les empêche pas de trouver un emploi, car sur le marché du travail, la qualification importe autant que le diplôme).

Sans pouvoir nous appesantir sur cet objectif, précisons que les capacités et attitudes aidant (au-delà des savoirs précis de tel ou tel métier) les jeunes à trouver rapidement un travail sont de deux ordres : il s’agit de former des esprits créatifs et capables de travailler avec les autres – tous les autres, collègues, hiérarchie, clients, fournisseurs, concurrents, etc. Quant à former pour toute la carrière, la compétence-clé est la capacité d’adaptation.

Ces trois exigences, assez nouvelles pour le système éducatif français6 posent des questions passionnantes à des pédagogues : comment forme-t-on un esprit créatif ? Comment éduque-t-on, dans un système qui ne peut être entièrement dénué de compétition, à travailler avec les autres ? Quant au souci de former des hommes et des femmes capables de s’adapter, il doit être bien présent à l’esprit des enseignants, mais en sachant qu’il y a une limite à l’« adaptabilité » ainsi recherchée : non pas former à s’adapter à n’importe quoi, mais trouver l’équilibre avec une certaine capacité de résistance, provenant de qualités personnelles (« éducables » elles aussi) : lucidité, éthique…

Ces défis immenses, il faut que les deux segments de l’école française les relèvent, chacun avec ses qualités (là aussi la liberté pédagogique doit être la règle, accompagnée de la diffusion et de l’échange des réussites).

Éduquer à être citoyens et à vivre ensemble

Ce troisième objectif est au cœur de ce dossier de la Revue Projet. C’est l’ensemble des articles du sommaire qui permettent d’en prendre une vue générale, sur les deux plans : l’objectif lui-même (énoncé, légitimité, atteinte, etc.) et la contribution de l’enseignement catholique. Je me limite à quelques observations.

Soulignons, sinon sa totale nouveauté, du moins plusieurs aspects nouveaux. Car si depuis toujours l’instruction et même l’éducation civiques ont été au cœur de l’école, l’urgence d’apprendre à vivre ensemble (objectif plus large que l’éducation civique), d’intégrer la jeunesse à la Nation grâce à ce creuset qu’est l’école n’a jamais paru aussi grande, et les façons d’y parvenir aussi difficiles. La lutte déterminée contre l’échec scolaire (et particulièrement le grand échec scolaire) devrait y contribuer puissamment. Mais cela ne suffira pas. Il importe que les adultes en charge d’éduquer – au premier chef les enseignants et les chefs d’établissement – aient, eux-mêmes, une attitude indiscutable. Sur leurs attitudes, sur la conscience et la probité professionnelles, sur la façon de traiter les jeunes, sur les relations entre eux (et avec les parents), il est capital que ces « quasi-référents » soient exemplaires. « On n’enseigne pas ce que l’on veut, on n’enseigne pas ce que l’on sait : on enseigne ce que l’on est », disait Jaurès. Cette question de l’exemplarité concerne l’enseignement public et l’enseignement privé sous contrat, sans qu’a priori il faille faire de différences : la contribution de l’un comme de l’autre est capitale. Cette conception de l’éducateur peut sembler très exigeante – et elle l’est en effet. Et il serait alors bon que la société sache davantage reconnaître cette exigence qu’elle énonce à l’égard des adultes auxquels elle a délégué le soin très difficile d’éduquer la jeunesse.

Il est vrai que les adultes de notre société, et notamment ses élites, ne montrent pas toujours le bon exemple, et l’école peut, à bon droit, se plaindre. Comment pourrait-elle enseigner à vivre avec les autres, à respecter une morale, laïque ou non, dès lors que le mauvais exemple vient d’en haut7 ? Mais, précisément, c’est l’honneur de l’école que de s’élever contre ce qui, dans la société, lui semble nuisible ou néfaste, et donc de tenter de faire acquérir ce en quoi elle croit. Les valeurs de l’école ne s’identifient pas à celles de la société – surtout, bien entendu, lorsque cette dernière triche.

Une des plus grandes « tricheries » a trait à la violence. Elle augmente depuis deux ou trois décennies, à l’école notamment, et cette dernière doit lutter contre elle avec énergie. C’est là un des aspects capitaux aujourd’hui (et assez nouveau) de l’intégration. Réduire le grand échec scolaire, avoir un bon enseignement scientifique, développer le côté éducatif de la formation des jeunes, être en présence d’adultes exemplaires, développer les relations « coéducatives » avec les parents8, toutes ces nécessaires évolutions auxquelles l’enseignement catholique doit prendre toute sa part contribueront à maîtriser, voire à faire reculer la violence dans les établissements scolaires. Il y faut aussi des mesures spécifiques, peut-être dans tous les établissements, en tout cas dans certains d’entre eux. Et sur ce dernier point, la contribution de l’enseignement catholique risque d’être faible pour des raisons structurelles (j’y reviendrai) qu’il me semble nécessaire de faire évoluer.

Le dernier volet de l’intégration, ou de l’éducation à vivre ensemble, porte sur ce qu’il est convenu d’appeler la « mixité sociale à l’école ». Faire en sorte que tous les jeunes de différents milieux sociaux étudient dans les mêmes établissements scolaires, tel est le sens d’une politique de la « mixité scolaire ». La carte scolaire, assouplie par les ministres de l’Éducation nationale du gouvernement de F. Fillon, et qui devrait être rétablie par V. Peillon, est ici l’outil principal. Mais cet outil n’est pas aujourd’hui optimal en raison d’effets pervers : dans un certain nombre d’endroits, la carte scolaire, appliquée strictement, produit l’inverse de la mixité : elle enferme des jeunes dans leur quartier et dans leur classe sociale ; elle crée des classes et des établissements trop homogènes9. Il faut reconnaître que l’enseignement catholique est, de fait sinon de droit, « utilisé » par de nombreuses familles pour contourner la carte scolaire, et ainsi éviter une mixité sociale qu’elles ne souhaitent pas. L’enseignement catholique joue un rôle de « refuge ». Dès lors, sa contribution est négative : son rôle effectif est opposé à l’objectif de faire de l’école un creuset. C’est là une question majeure, non seulement pour le système éducatif global, mais aussi, bien entendu, pour l’enseignement privé sous contrat.

Viser l’égalité entre élèves dans la réussite éducative

Cet objectif, transversal en quelque sorte, consiste à faire atteindre les trois premiers objectifs à tous les élèves, pour limiter les inégalités entre jeunes et contribuer à les réduire dans la société. Ces inégalités sont de quatre ordres : entre bons et mauvais élèves, entre garçons et filles, entre territoires (établissements scolaires, départements, régions), entre milieux sociaux. Ce sont ces quatre ordres qu’il faut avoir présents à l’esprit et pas seulement le quatrième. L’égalité, bien sûr, ne saurait être l’identité ou l’« égalitarisme » (rien ne serait plus erroné que de faire faire exactement la même chose à tous les élèves), il faut donc la définir. Elle ne saurait non plus se traduire par la recherche d’une égalité des moyens mis à la disposition des élèves : il s’agit bien de viser une « égalité de réussite ».

La première priorité est d’assurer à tous les jeunes au cours de la scolarité obligatoire la maîtrise d’un socle commun de connaissances, de capacités et d’attitudes, le socle des « indispensables pour réussir sa vie au XXIe siècle ». La première des inégalités devant l’école sépare, et même oppose, les 85 % de jeunes qui maîtrisent ce socle et les 15 % qui ne le maîtrisent pas. Non seulement ces derniers ne pourront donc pas a priori réussir leur vie, mais aussi cela nuit à notre compétitivité et à notre cohésion sociale. Le grand échec scolaire est désastreux pour ses principales victimes, mais aussi pour la société française dans son ensemble. Et, de fait, on réduira ainsi les inégalités entre sexes (ces 15 % de jeunes sont très souvent des garçons), sociales (ils sont issus des milieux populaires) et territoriales (ils sont très souvent issus de banlieues de certaines grandes villes).

Ensuite, il faut que le système de formation se diversifie davantage en écoutant les goûts et choix des jeunes, à condition de bien aider ces derniers à les faire naître et à les connaître, par une éducation aux choix. Un jeune ne réussira pas dans des études qu’il n’aura pas choisies, dans des matières qui lui déplairont, pour lesquelles il n’aura ni goût ni disposition. L’échec, qui résulte souvent d’une imposition excessive de l’« offre d’éducation » (c’est-à-dire les choix du système) sur la « demande d’éducation » (c’est-à-dire les souhaits éduqués des jeunes), est source de violence, de rancœur et d’inégalités.

Maîtrise par tous d’un bagage commun, diversification plus soucieuse des souhaits éduqués des élèves, telle devrait être une politique éducative soucieuse de réduire les inégalités de tous ordres. Une des conditions essentielles pour que cette politique réussisse, suppose, loin d’organiser une égalité de moyens entre tous les établissements scolaires, de concevoir et d’appliquer concrètement une « diversification équitable et maîtrisée ».

La réussite de tous les élèves est désormais un objectif indépassable et très difficile à assurer : ne pas y contribuer pèserait à terme sur la légitimité de l’enseignement catholique.

En son sein, l’enseignement catholique paraît armé pour réussir un tel programme. On peut même soutenir qu’il est peut-être mieux armé que l’enseignement public. L’orientation plus délibérée des professeurs de collège et de lycée du privé sous contrat vers l’éducation et l’accompagnement des élèves est un facteur favorable à l’acquisition par tous d’un socle commun. Le caractère propre, d’autre part, représente une certaine souplesse pour aller vers une meilleure écoute des élèves, par exemple en proposant certains cours optionnels. Mais cette capacité de l’enseignement catholique ne s’exerce que sur ses élèves. Or, du fait de son implantation territoriale (et donc sociale), en raison aussi de la fonction de recours qu’il joue souvent, l’enseignement catholique n’a pas n’importe quels élèves. En particulier, il a proportionnellement moins d’élèves socialement défavorisés ou susceptibles d’être en grand échec. Cela limite et « biaise » son action vers l’égalité de réussite de tous les élèves de France. La réussite de tous les élèves est désormais un objectif indépassable et très difficile à assurer : ne pas y contribuer autant qu’il serait nécessaire pèserait à terme sur la légitimité de l’enseignement catholique. Non pas de chaque établissement pris séparément, dont le contrat avec l’État continuera légitimement à dire sa participation au système éducatif, mais de l’enseignement catholique pris globalement. Je pense enfin que l’État lui-même devrait favoriser cette évolution, qui me semble en ligne directe de la loi Debré (et même s’il rencontre une certaine résistance dans le public).

Car cette capacité de l’enseignement catholique à « bien traiter » l’échec scolaire ou à faire advenir les élèves défavorisés à la réussite est peut-être réelle. Il y a vingt ans, une étude comparée faisait sensation : venant de deux professeurs de sociologie de l’université, peu suspects de complaisance, elle tendait à montrer que dans l’enseignement catholique, les enfants de milieux populaires (employés et ouvriers) réussissaient mieux que dans l’enseignement public10. Comme toute étude, celle-ci demande à être critiquée, complétée par d’autres, reprise avec des méthodologies d’aujourd’hui. L’enjeu est capital pour mettre à jour les conditions auxquelles la réussite scolaire des élèves en grande difficulté ou socialement défavorisés est atteinte : par l’accueil et l’encadrement des élèves (exemple : externat ou internat, de quel type ?), par l’interaction des familles avec l’établissement.

L’enseignement catholique pourrait, sur le grand échec scolaire, du fait de sa position, expérimenter plus librement des façons de faire. Je pense en particulier au fait, souvent souligné mais rarement pris en compte, que le grand échec scolaire est d’abord celui de garçons d’origine populaire, souvent d’immigration récente, peut-être aussi vivant dans une famille monoparentale. Quelle serait alors, sinon une politique, du moins une panoplie d’actions destinées à les faire réussir, qui tienne compte explicitement de leurs caractéristiques ? Que signifierait, par exemple, une série de mesures adaptées à des garçons ? Ou à des garçons vivant avec leur mère ? Il y a là tout un champ d’expérimentation, que sans doute l’enseignement catholique, s’il s’en saisissait lui-même, ou si la puissance publique le souhaitait, au moins implicitement, serait à même d’explorer.

Quand il est presqu’à égalité numérique avec l’enseignement public (Bretagne, Pays-de-la-Loire), ou quand il est très minoritaire (pratiquement toutes les autres régions, sauf le Nord-Pas-de-Calais, intermédiaire), l’enseignement privé sous contrat exerce des fonctions en partie différentes. Mais dans tous les cas, il fait intégralement partie du système éducatif français, tout en ayant des spécificités. Comment tirer le meilleur parti de ces deux caractéristiques ? En contribuant au maximum à l’atteinte des missions de notre système éducatif, et en même temps en mettant à profit pour cela ses spécificités. Et le système lui-même doit organiser la circulation des réussites pour que le bénéfice des réussites dans le public, comme dans le privé sous contrat, profite à tous. Il y a pour atteindre cet objectif un certain chemin à parcourir de la part des différents acteurs. Mais la réussite éducative des jeunes est si nécessaire, et si difficile aujourd’hui, qu’elle devrait faire l’objet d’un engagement public des responsables, au premier rang desquels les politiques, engagement face auquel les difficultés, issues de l’histoire entre enseignements public et privé sous contrat, devraient absolument disparaître.

Pour aller plus loin :

Claude Thélot, "Quelles missions pour l'école en France ?", Revue-Projet.com, 8 avril 2013.



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1 « Dans les classes faisant l’objet du contrat, l’enseignement est dispensé selon les règles et programmes de l’enseignement public », article L. 442-5 du code de l’éducation.

2 De même d’ailleurs, je le dis en passant, qu’il n’y a pas de « façon corse » ou « bretonne » ou « alsacienne », etc., d’enseigner les disciplines.

3 Cité par Jean-Luc Marion, La rigueur des choses. Entretien avec Dan Archib, Flammarion, 2012.

4 Voici à ce propos une petite anecdote vécue. Il y a vingt ans, lorsque l’afflux des candidats au baccalauréat a conduit à se poser la question, d’une part, de faire composer dans des locaux de l’enseignement privé sous contrat, d’autre part, de faire corriger des copies par les professeurs de Terminale du même enseignement privé sous contrat, certains hauts responsables du ministère de l’éducation se sont explicitement interrogés : peut-on envisager de faire passer l’examen à certains lycéens sous un crucifix ? Peut-on faire corriger des copies de philosophie à des professeurs du privé sous contrat ? Minoritaire, l’expression de cette double inquiétude était néanmoins significative d’un certain état d’esprit. Le ministre a eu la sagesse, bien entendu, de passer outre et depuis vingt ans, les choses se passent normalement, montrant que ces craintes étaient vaines (et même s’apparentaient à un procès d’intention).

5 On rejoint ici la conclusion de Bernard Toulemonde (op. cit.) : en regard des trois grands avantages que la loi Debré a permis d’atteindre, il déplorait que le quatrième, espéré par la loi, le rapprochement des établissements publics et privés, ne se soit pas réalisé : « Force est de constater que les échanges restent très limités, comme si l’ignorance réciproque était plus confortable, comme si la crainte de la contagion suscitait toujours une méfiance instinctive. Et pourtant, la réussite de tous les élèves ne mériterait-elle pas que les uns et les autres échangent leurs réflexions et leurs méthodes d’enseignement et d’éducation ? » On ne peut qu’acquiescer à cette demande pressante.

6 Il ne favorisait guère, autrefois, la créativité, mais plutôt la méthode ou la rigueur, lesquelles ne lui sont pas incompatibles mais ne s’y identifient pas. Il était, ou est encore parfois, plutôt individualiste que collectif, etc.

7 Et cela vaut incidemment pour le respect de la grammaire et de l’orthographe : si la société ne les respecte plus, par exemple les journalistes, l’école est assez démunie…

8 Le mot « coéducatif », à vrai dire discutable, figure dans le projet de loi du gouvernement, et c’est pour cette raison que je l’emploie ici.

9 Ce thème de l’enfermement territorial de certains jeunes défavorisés et de la nécessité de lutter contre est souvent mis en avant, avec raison, par le prêtre salésien Jean-Marie Petitclerc, par exemple dans son ouvrage, Lettre ouverte à ceux qui veulent changer l’école, Bayard, 2007. Sur la question de la mixité sociale et la politique qu’elle appelle, qui n’est pas traitée ici, on se reportera avec profit au rapport de la Commission du débat national sur l’avenir de l’école, chapitre IV : « Favoriser la mixité sociale sur tout le territoire » in Claude Thélot (dir.), Pour la réussite de tous les élèves, La documentation française/CNDP, 2004.

10 Gabriel Langouët et Alain Léger, Public ou privé ? Trajectoires et réussites scolaires, Publidix, 1991. C’est dans le chapitre III de l’ouvrage (pp. 63-88) que cette analyse et cette conclusion figurent.


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