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Dossier : Je suis débordé, donc je suis ?

Entreprise : faire place à l’important, un défi permanent

Inbox-Important © Tim Malabuyo/Flickr
Inbox-Important © Tim Malabuyo/Flickr
Table ronde – Au sein des grandes entreprises, la recherche constante du profit impose une pression permanente aux salariés. Comment s’extraire de l’urgence de l’instant pour retrouver du sens dans son travail ? Des responsables de ressources humaines partagent leurs expériences.

Sous quelles formes s’exercent les contraintes de « temps » au sein de l’entreprise ?

Claire Degueil - Que ce soit dans le temps court ou le temps long, on vit l’accélération dans l’entreprise. Dans la même minute, je peux recevoir des SMS, des messages sur WhatsApp, des emails, des appels… Et le tout pendant une réunion ! On subit une concentration incroyable des demandes dans une même minute. À l’échelle d’une année, le temps aussi s’est accéléré. Depuis quelques temps, nous avions pris l’habitude de revoir les objectifs et les critères de performance à la mi-année, alors que l’on était sur des cycles annuels. Après les dernières vacances, le rythme est devenu trimestriel, car nos résultats business n’étaient pas ceux attendus. Le critère économique et financier est sans doute celui qui met le plus d’urgence.

À plus long terme, l’accélération se manifeste aussi dans le champ de l’organisation et de la transformation culturelle de l’entreprise. Les projets de changement sont généralement de l’ordre de trois ans, mais comme ils sont de plus en plus fréquents, le premier n’est pas entièrement réalisé que le suivant démarre. D’où une superposition des transformations vécues par les salariés.

Fabienne Wigniolle - Je perçois davantage la dimension macro de l’accélération. La digitalisation et la mondialisation obligent les entreprises à aller beaucoup plus vite. Auparavant, on avait le temps de chercher l’information, de lancer les produits. Désormais, la pression de la concurrence demande de déposer un brevet dès que l’on innove. Elle met l’économie dans une certaine transe, qui se répercute sur les entreprises, où l’on croule sous une masse d’informations et que l’on a du mal à gérer.

Christophe Duval-Arnould - Je souscris à cela. Mais l’accélération vient aussi du côté du client. Moi-même, en tant que consommateur, je peux commander un livre sur Amazon et être livré le lendemain, ou bien l’acheter au libraire de mon quartier, fort compétent, mais qui ne le recevra que dans quinze jours… Il y a de vrais choix à faire. Dans la distribution de matériaux (un des métiers de Saint-Gobain), on constate la même exigence temporelle : nos clients veulent tout rapidement. De même, la rapidité de mise en œuvre des matériaux est un argument de vente : il faut que cela se pose vite, que ça sèche vite, etc. Dans certains secteurs, les acheteurs peuvent demander des réponses très rapides à leurs appels d’offres (quelques heures). Ces mêmes acheteurs ne réagiront pas forcément rapidement à la proposition, mais une réponse immédiate des fournisseurs leur permet de mettre en œuvre le processus de prise de décision. Cette tendance à gérer le temps par séquences met une pression. Tout cela, avec un arrière-fond où les marchés financiers attendent de l’entreprise qu’elle publie fréquemment ses résultats, et risquent de la pousser à une vision à court terme, car les investisseurs veulent des retours rapides sur investissement.

Comment cette contrainte affecte-t-elle les différentes catégories de personnel ?

C. Degueil - Le premier niveau managérial1 est le plus mis à mal. Ces encadrants connaissent les orientations à moyen terme et, en même temps, ils sont responsables de l’exécution court terme. Ils sont tiraillés entre par les transformations en cours et celles qu’il va falloir mettre en place. Ils doivent gérer les multiples attentes et sollicitations de leurs équipes et, en même temps, les nombreuses demandes de leur hiérarchie.

F. Wigniolle - Pour moi, cela relève plus de l’individu et de sa manière de gérer le temps que du niveau de responsabilité. Même si la contrainte est plus ou moins subie en fonction du niveau de maturité du poste, c’est aussi pour certains une question de choix.

C. Duval-Arnould - La contrainte « temps » atteint le secteur des services, notamment administratifs, comme la comptabilité. Des efforts de rapidité et de production sont demandés, permis par des systèmes informatiques de plus en plus rapides. Cette contrainte est vécue comme une accélération, mais aussi comme une intensification du temps. On parle de pression plus que de vitesse. Personnellement, quand j’arrive devant ma boîte de réception d’emails, j’ai l’impression d’être un joueur de fond de court : je renvoie des balles et je me sens tranquille quand tous mes emails ont été traités. Ces sollicitations incessantes installent dans la réaction et peuvent faire perdre la visibilité à moyen ou long terme. Pour certains, elles peuvent être vécues comme agressives.

Au-delà de cette intensification du temps, est-il pertinent de parler de confusion des temps, avec l’effacement des frontières entre temps personnel et professionnel ?

F. Wigniolle - Il est de moins en moins facile de compartimenter vie privée et vie professionnelle, du fait de la masse d’informations qui arrive, et parce que l’on est multi-casquettes. On envoie des emails professionnels de chez soi tard le soir ou tôt le matin, on gère des urgences personnelles au bureau… Mais ce n’est pas forcément grave si on se trouve dans une organisation où l’on a la possibilité d’être soi-même, équilibré, et d’assumer ses différentes facettes (la sportive, le DRH, etc.) sans culpabilité.

C. Duval-Arnould - Pour moi, c’est au contraire préoccupant. En effet, le contrat de travail implique une subordination de son temps à l’employeur et suppose un certain abandon de ce que je peux vouloir, y compris concernant la finalité de l’organisation. Cela veut dire que je délègue en partie le sens de ce que je fais à quelqu’un d’autre (ce qui n’empêche pas de pouvoir être d’accord avec lui !). Il me paraît essentiel à l’être humain de préserver des plages à distance de ce lien de subordination, où il est face au sens qu’il veut donner à son temps libre et où il peut approfondir son engagement dans d’autres champs de l’existence. Il en va de sa capacité à prendre du recul, à réfléchir vraiment.

C. Degueil - J’estime que l’intensification est problématique, mais la confusion des temps n’est pas un problème pour tous. Les jeunes cadres s’en accommodent très bien. Dans leur école, ils avaient déjà la « junior entreprise » en même temps que le sport, les cours et les projets de voyages. Cependant, bien le vivre demande beaucoup de liberté. C’est vrai qu’il est plus difficile de compartimenter sa vie aujourd’hui, mais on peut aussi être beaucoup plus soi-même si on parvient à en tenir ensemble toutes les composantes.

Concrètement, comment mesurez-vous le phénomène de l’accélération au sein de l’entreprise ? Quels sont les signaux d’alarme ?

C. Degueil - Danone mène une enquête interne tous les deux ans auprès de l’ensemble de ses salariés sur leur vécu et leur perception. En parallèle, on guette les signaux faibles à travers l’absentéisme, les arrêts (courts ou longs) et les demandes de congé sabbatique, qui augmentent très fortement chez les cadres. Ces comportements sont souvent utilisés comme un frein face à la pression, une pause lorsque l’on n’arrive plus à tenir le rythme. On a aussi davantage d’agents de maîtrise qui, par usure ou lassitude, demandent à profiter de contrats à 32 heures, prévus par accord d’entreprise. L’augmentation de ces chiffres est un vrai signal.

C. Duval-Arnould - Je travaille dans un cadre assez préservé, mais je vois effectivement, chez des cadres intermédiaires, des sentiments d’épuisement et de grosse fatigue. Et ce n’est pas sans objectivité. Les organisations continuent à se réduire tandis que sont demandées des optimisations constantes de productivité.

La demande de sens dans son travail s’exprime-t-elle davantage aujourd’hui ?

F. Wigniolle - Je le constate dans les recrutements de la part des entreprises de taille intermédiaire et des sociétés à capitaux familiaux. Il y a quinze ans, on cherchait un beau CV : une grande école, un beau parcours, de belles entreprises. Aujourd’hui, on cherche à s’assurer que la personne se reconnaîtra au sein de l’entreprise, en accord avec ses valeurs, et que son engagement sera durable. Je constate aussi davantage d’attentes du côté des candidats, qui cherchent de plus en plus à vérifier que ce qui est affiché par l’entreprise correspond à ce qui est vécu.

C. Duval-Arnould - Depuis quarante ans, les entreprises françaises ayant mené nombre de plans de licenciement, les gens leur font moins confiance pour y vivre quelque chose dans le long terme. Moins de jeunes acceptent de rejoindre une grande entreprise à l’autre bout de la France. Ils ne croient guère en la promesse d’une carrière à long terme.

Avez-vous connaissance, à l’inverse, d’une transformation de l’entreprise à partir de la réflexion des employés sur sa finalité ?

C. Duval-Arnould - Ce qui peut rendre heureux au travail et donner du sens, c’est le quotidien, donc la communauté locale de travail, au niveau d’une usine par exemple. Cela peut-il influer sur les décisions au niveau de la direction générale d’un groupe ? Je pense à deux usines où les personnels avaient montré un fort engagement pour redresser des situations économiques graves. Dans le premier, leur attitude a incité la direction de l’entreprise à parier sur l’avenir de ce site et à y investir.  Dans l’autre cas, cela n’a pas pu empêcher la fermeture de l’usine. La communauté locale de travail pensait avoir retrouvé une stabilité pérenne, mais son temps de référence n’était pas celui de l’évolution du marché, qui déclinait. Nous savons bien que les entreprises fabriquent des produits et des services utiles et que, en même temps, elles sont adossées à la structure juridique de sociétés anonymes dont le but est de faire du profit. Il y a donc toujours un discours à double dimension avec lequel nous consentons de vivre plus ou moins consciemment. C’est pourquoi il est important de garder un échelon local de sens, avec une organisation locale du temps, du respect et de la relation.

C. Degueil - J’aime bien cette idée de l’échelle locale. Dans une usine de yaourts dans le Gers, les techniciens et les ouvriers, qui savaient leur usine ne pas être la mieux placée sur les itinéraires logistiques, ont fait valoir leur maîtrise technique, leur engagement et leur performance sur les lancements de produits. Cela a encouragé la direction à faire des choix d’investissement et de modernisation qui n’étaient pas initialement prévus. La fierté, le sens du travail bien fait de ces salariés, ont rejoint un besoin d’innover de l’entreprise.

On peut avoir l’impression qu’au sein de l’entreprise, le sens est donné par la superstructure, voire par un petit groupe de dirigeants. Observez-vous des initiatives dans la manière d’impliquer davantage les salariés dans la définition du sens ?

C. Degueil - Chez Danone, il y a une mission très claire – apporter la santé par l’alimentation au plus grand nombre – qui peut donner du sens en soi au fait d’intégrer l’entreprise. Avec le comité de direction de notre filiale qui vend de l’eau en France, on a fait un travail ciblé pour s’approprier cette mission. On l’a travaillée avec la « leadership team »2 avant d’aller la porter devant l’entreprise, dans les différentes réunions d’équipes, jusqu’à la convention annuelle, pour qu’elle soit précisée. Cela donne du sens et oriente l’action, mais dès que l’on traverse des périodes de turbulence business fortes, la difficulté réside dans cette capacité à maintenir pour tous un lien entre le sens, cette mission, et nos tâches quotidiennes.

On essaie aussi d’avoir des lieux, des groupes où la construction de la dynamique de l’entreprise se fait avec des personnes de différents niveaux et différentes fonctions. Il faut se donner du temps. Et comme le temps, c’est de l’argent, maintenir ces espaces est un combat… Et c’est là qu’émergent les pratiques d’intelligence collective, qui permettent d’accélérer, au bon sens du terme, de trouver de meilleures solutions, plus vite, car ensemble. Je pense par exemple au format du World Café3.

F. Wigniolle - De mon côté, je constate que de plus en plus d’entreprises organisent des sessions d’équipes, qui peuvent regrouper jusqu’à 150 personnes, pour travailler sur leur identité de groupe et le sens que chacun retire de son travail. Il y a un effet démultiplicateur lorsque les gens ont l’impression de travailler pour eux tout en faisant vivre un projet commun.

C. Duval-Arnould - Le sens de notre travail s’exprime déjà dans la manière dont nous produisons les biens élémentaires. Il y a déjà du sens à l’œuvre dans la façon dont on collabore. L’objectif économique et social de l’entreprise est un deuxième aspect du sens, qui compte autant que la manière de travailler.

« Pour laisser la place à l’important et non à l’urgent, il faut l’avoir décidé à l’avance. » C. Degueil

Y a-t-il besoin de cadres, d’une forme d’institutionnalisation pour faire place à des temps plus gratuits ?

C. Degueil - J’ose espérer qu’il y a encore un peu de place pour la gratuité, qui ne se planifie pas ! Cela passe par le lien social, le fait de prendre des cafés ensemble sans regarder sa montre, en ayant le temps de se raconter son week-end le lundi matin. Mais pour lever la tête du guidon et réfléchir sur ce à quoi l’on contribue, oui, il faut du cadre, sinon, on ne le fait pas. Pour laisser la place à l’important et non à l’urgent, il faut l’avoir décidé à l’avance. En comité de direction, lorsque l’on a planifié depuis longtemps notre journée trimestrielle « au vert » par exemple, on sait qu’on la tiendra, en mettant de côté l’urgent.

Existe-t-il des initiatives innovantes pour endiguer ou vivre mieux l’accélération ?

F. Wigniolle - Une entreprise avait interdit les emails un vendredi par mois pour privilégier le contact humain. Au premier essai, tout le monde a rangé son bureau, pensant qu’il était impossible de travailler ! Cette initiative a permis une prise de conscience, sans empêcher que des gens travaillent le week-end. La loi nous dit également qu’il faut onze heures de pause entre deux journées de travail et un droit à la déconnexion est inclus dans la « loi travail ». Mais je pense que gérer son temps et ses priorités est encore une fois une question d’individus et que c’est plus facile quand la vision de l’entreprise est claire.

C. Duval-Arnould - Limiter les emails du week-end est une autre piste. Par exemple, travaillant souvent le samedi matin, j’avais pris l’habitude d’envoyer des emails à mon équipe ces matins-là. Malgré mon invitation à ne pas répondre, ils le faisaient néanmoins. Pour respecter leur week-end, sauf urgence, je mets maintenant ces emails dans un dossier « à envoyer lundi matin ». Car il peut être difficile à certains de se sentir libres d’attendre le lundi pour répondre.

Surtout lorsque l’on est dans des relations de pouvoir…

C. Degueil - Absolument. Notre directrice générale [DG] peut envoyer des emails à tout moment, sans nécessairement attendre de réponse, ce qu’elle affirme vraiment. Dans son idée, chacun est responsable et sait ce qu’il a à faire et quel est le rythme qui lui convient. J’ai fini par comprendre qu’il y a une question d’exemplarité : il est difficile de faire comprendre à tous les niveaux que si la directrice générale DG écrit à 23h30, elle n’attend pas de réponse, ni que l’on fasse pareil. Comme mon équipe poussait pour cesser les emails tard le soir, on a choisi d’établir des règles de fonctionnement entre nous, à notre échelle : nous nous sommes mutuellement engagés à ne plus nous envoyer d’emails entre 20 heures et 7 heures et le week-end. De fait, je continue à traiter mes emails après 20 heures, mais je les mets en brouillon et les envoie le matin. Je constate des bénéfices. Cela ralentit un peu l’organisation : mes emails sont prêts, mais mon équipe ne les verra que douze heures plus tard, au lieu de commencer à y répondre à 21 heures, que j’y re-réponde et que la machine s’emballe… Cela réintroduit un peu d’air dans la manière de traiter les sujets.

Qu’en est-il des initiatives en termes d’aménagement du temps de travail ?

C. Duval-Arnould - Le télétravail est intéressant car la distance permet de réaffirmer la confiance, et on économise souvent des heures de trajet. Cela arrange aussi les entreprises en sur-occupation de locaux.

F. Wigniolle - Pour moi, il est très important que les entreprises soient proactives et proposent des solutions d’aménagement du temps de travail : cela permet aux équipes de voir l’importance que l’entreprise accorde au bien-être au travail. Il me semble aussi que les cadres ont, de toute façon, la liberté d’utiliser leur temps au mieux et quand ils ont des difficultés à gérer cette organisation, un coaching est souvent proposé : j’ai de plus en plus ce type de demande. En ce qui concerne les non-cadres : au-delà du télétravail, je n’ai pas entendu parler de beaucoup d’initiatives et quelquefois, s’il si le télétravail n’est pas choisi par les salariés, pour certaines mères de famille dont les enfants rentrent à 16 heures à la maison, cette solution peut être une angoisse.

C. Degueil - Je parlais tout à l’heure de congés sabbatiques : on voit de plus en plus de salariés prendre quelques mois de pause entre deux postes, y compris dans la même entreprise. On voit également une recrudescence de temps partiels qui permettent aux salariés de s’engager ailleurs que dans l’entreprise, de se former, de respirer… Je pense à un collègue qui, pendant un ou deux ans, a travaillé à 50 %, sur un rythme de deux mois en entreprise, deux mois à l’extérieur pour voyager, expérimenter autre chose… Je suis persuadée qu’il y a beaucoup de voies à explorer pour plus de flexibilité dans le rapport au temps de travail et plus de fécondité.

Vous semblez faire un lien entre la confiance et la possibilité de se réapproprier du temps. Quelles pistes explorer de ce côté ?

C. Duval-Arnould - La littérature managériale dit souvent que le manager a du pouvoir et délègue des responsabilités, mais on devrait dire l’inverse : le manager prend les responsabilités et délègue du pouvoir. Cette inversion est nécessaire car elle donne de la sécurité et de l’initiative. D’ailleurs, quelques entreprises ont une bonne culture de subsidiarité. Le sens s’élabore collectivement et cela passe par une réflexion sur l’apport possible de chacun ; le management doit toujours aller vers plus d’écoute et de respect et favoriser la reconnaissance de chacun dans sa singularité (et non pas seulement de ses compétences ou de ses résultats).

F. Wigniolle - La qualité du manager joue à 70 % sur l’engagement des personnes dans l’entreprise. La confiance réciproque est un levier important. Elle passe par une autonomie donnée à l’équipe, par un temps laissé à la prise de position, en misant sur les forces plutôt qu’en minimisant les faiblesses. Si j’ai confiance dans la vision, dans mon manager, dans mon équipe, je suis plus à même de me réapproprier du temps.

«

Si j’ai confiance dans la vision, dans mon 'manager', dans mon équipe, je suis plus à même de me réapproprier du temps

. »

F. Wigniolle

C. Duval-Arnould - L’important est de verbaliser : la confiance se redonne par là. Il faut pouvoir se sentir en sécurité, même si régler les problèmes demande du temps et parfois du courage. Si cette culture de la confiance et de la parole dans l’entreprise n’est pas là, le risque, pour beaucoup, est de vivre cette accélération dans la solitude, voire la détresse.

F. Wigniolle - C’est vrai, et beaucoup d’entreprises profitent de leur image extérieure. Quand tout le monde vous envie d’être dans une entreprise où l’on se sent mal, comment se reconnaître libre d’agir dans son intérêt : ce ne serait pas compris et l’on n’ose pas en parler en interne.

Que peut changer le format de l’entreprise dans les possibilités de gestion du temps, d’encadrement de l’intensité et de la vitesse ?

C. Degueil - Les start-up sont sans doute plus flexibles. Certaines se réorganisent en fonction des projets. Il n’y a donc pas de places définies dans l’organisation. Chacun donne son temps pour un projet auquel il a choisi de contribuer. On peut donner un week-end si besoin et être moins présent après. Il y a de la flexibilité dans la façon de s’organiser dans le temps, mais aussi entre les personnes et les compétences. Mais attention, cela peut aussi être sans limites : on peut sans cesse trouver un nouveau projet à développer !

L’entreprise a-t-elle un rôle à jouer sur la dynamique macro-économique de l’accélération, par exemple en proposant des régulations pour affronter le problème des demandes de rendement à très court terme ?

C. Duval-Arnould - Les entreprises doivent pouvoir proposer un projet économique et social qui est à plus long terme que le court terme des marchés, sans ignorer ceux-ci. C’est difficile pour elles.

C. Degueil - Étant donné le nombre de citoyens engagés par la vie d’une entreprise, les salariés et leurs familles, les clients et fournisseurs, les consommateurs… les entreprises ont assurément un rôle à jouer. Cependant, les jeux de contraintes et d’équilibres sont tels que l’on ne peut pas le faire seuls. Les associations et les petites entreprises ont elles aussi un rôle crucial à tenir.

Propos recueillis par Grégoire Catta et Marie Drique.



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1 Ces managers sont sous la responsabilité d’un autre manager et ils encadrent des personnes qui n’ont pas de responsabilité d’encadrement [NDLR].

2 Les n-1 et n-2 du comité de direction.

3 Cette méthodologie de discussion importée des États-Unis consiste à réfléchir sur un thème donné et par petits groupes, dans une ambiance conviviale, afin de faire émerger des propositions partagées par tous [NDLR].


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