Do not follow this hidden link or you will be blocked from this website !
Logo du site

La Revue Projet, c'est...

Une revue bimestrielle, exigeante et accessible, au croisement entre le monde de la recherche et les associations de terrain.

Des entreprises affichent le souci de leur utilité sociale


Les engagements volontaires des entreprises en vue de progrès sociétaux laissent parfois sceptiques : quelles réalisations en découlent ? Pour quels résultats ? À cet égard, l’expérience d’une organisation internationale, le World Business Council for Sustainable Development, est intéressante. Basé à Genève et créé en 1995, dans la mouvance du sommet de Rio, il rassemble 190 entreprises internationales désireuses de répondre au défi du développement durable. Leurs PDG décident des priorités et des travaux de l’organisme. Plus de 60 conseils régionaux sont partenaires, dont les deux tiers dans des pays en développement.

Les membres ont développé une « Vision 2050 », qui explicite les enjeux les plus critiques, les changements radicaux indispensables à long terme et les pistes de solutions visant un développement soutenable pour 9 milliards d’habitants sur une planète aux ressources limitées. À court terme, le programme « Action 2020 » fixe des objectifs autour de neuf priorités : changement climatique, éléments nutritifs critiques, écosystèmes, exposition aux substances nocives, eau, besoins et droits fondamentaux, compétences et emploi, bien-être et modes de vie soutenables, alimentation et biocarburants. Le WBCSD a contribué à la Cop21 en instaurant des dialogues réguliers avec les gouvernements et une coopération avec l’Agence internationale de l’énergie et le Sustainable Development Solutions Network. 44 entreprises se sont aussi engagées à présenter des voies de solutions mesurables, pertinentes sur plusieurs continents, reproductibles par les entreprises ou les États et répondant à une logique de marché.

Le WBCSD permet aux entreprises de travailler ensemble à partir des enjeux de leur secteur (ciment, forêt, chimie, électricité, bâtiment, mobilité, infrastructure urbaine…). Ainsi, pour l’industrie du ciment, 24 entreprises (opérant dans 100 pays et représentant 30 % de la production mondiale) ont élaboré en 2002 une charte obligeant à publier sous trois ans des objectifs collectifs et individuels avec une centaine d’indicateurs de performance, concernant principalement la gestion des terres, l’énergie, les émissions polluantes et le CO2. Ces indicateurs suivent un protocole commun élaboré avec le World Resources Institute (WRI) et sont traités par un consultant tiers. Un audit de conformité est réalisé tous les quatre ans par un organisme indépendant (DNV GL). Le rapport de 2015 montre que, sur 17 sociétés auditées, une seule a tenu l’ensemble de ses engagements, et qu’aucune n’a réalisé les scores maximums de tous les indicateurs. Ces résultats ont montré qu’atteindre des objectifs ambitieux est possible, mais que des progrès restent à réaliser.

Ce mode de fonctionnement est pratiqué dans bon nombre d’autres secteurs. En témoignent les études d’impacts environnementaux menées depuis 2005 par les manufacturiers de pneumatiques (représentant 75 % de la production mondiale) ou le manifeste lancé en 2009 par des entreprises du bâtiment et signé par 142 entreprises, membres ou non du WBCSD.

La question de la mesure est centrale pour le WBCSD. En 2007 a été lancée une coopération avec l’ISO et le WRI pour promouvoir des normes de comptabilisation et de déclaration des gaz à effet de serre. Un effort particulier a été mené avec la création d’une base homogène de données sur les indicateurs liés au CO2 et à l’énergie (« Getting the Numbers Right »), qui compile et vérifie les données de 941 sites de production de tous les continents, assurant 21 % de la production mondiale. Selon le président du WBCSD, Peter Bakker, « il faut transformer radicalement le capitalisme pour mieux en équilibrer les dimensions financières, environnementales et sociales ; c’est le seul moyen d’assurer la pérennité de nos économies » et « mesurer et faire rapport sur la performance des entreprises sont des composantes essentielles de cette transformation ». Dans cet esprit, l’organisation a publié en 2013 un guide pour mesurer l’impact socio-économique des entreprises. En septembre 2015 a été lancé le « SDGs Compass » : un guide permettant aux entreprises d’aligner leurs stratégies et de mesurer leurs contributions aux objectifs de développement soutenable. Ce guide a été développé conjointement avec la Global Reporting Initiative (organisme de conseil en matière de développement durable) et le Global Compact (engagements d’entreprises sous les auspices des Nations unies).

Certes, les objections au WBCSD ne manquent pas : seules 190 entreprises en sont membres, certaines ont été mises en cause publiquement pour non-respect de principes fondamentaux, les engagements volontaires, pas assez radicaux, sauvegardent le business, les externalités négatives sont insuffisamment prises en compte, il n’existe pas de contrainte sur les résultats… Face aux grands défis du développement soutenable, il s’agit pour ces entreprises de s’inscrire dans la durée, avec des efforts de plus en plus rigoureux, vérifiés et publics. Leur impact n’est pas négligeable pour les centaines de millions de personnes que représentent les employés, les fournisseurs, les partenaires, les clients et les territoires concernés au plan mondial. Les rapports de progrès permettent de repérer les entreprises qui ne respectent pas leurs engagements ou ne parviennent pas aux résultats escomptés. Elles s’exposent ainsi à la pression des membres ou des parties prenantes. Les mêmes résultats n’auraient pas été atteints sans ce travail collectif, sans l’impulsion du WBCSD et sans la publicité donnée aux progrès accomplis ou à accomplir.

On peut penser que les normes et les règlements internationaux sont les seuls leviers robustes en matière de progrès social et environnemental. C’est le cas en de nombreux domaines. Mais le fait que des entreprises ou des États prennent des engagements volontaires ouvre la voie à de nouvelles solutions et peut être un puissant facteur d’émulation pour préparer les consensus nécessaires à l’élaboration des normes et règlements futurs. Le défi du WBCSD est sans doute d’inciter les entreprises à inclure davantage leurs parties prenantes dans l’élaboration du diagnostic de leur impact, dans la détermination de leurs objectifs et la réalisation de leurs travaux.



Un réseau indépendant de centres de recherche, d’experts et d’institutions techniques pour développer des solutions concernant le développement durable. Cette coopération s’est inscrite dans le cadre de la « Low Carbon Technology Partnerships Initiative », lancée à Lima lors de la Cop20 et visant à susciter des actions pour que le réchauffement climatique soit inférieur à 2°C.

Les résultats de cette charte de l’industrie du ciment ont été publiés dans un rapport après dix ans de travail, qui précise les progrès accomplis en matière de sécurité au travail, de protection du climat, d’émissions polluantes, d’utilisation du pétrole et des matières premières, d’impact local sur les communautés et les terres et de transparence.

Peter Bakker, « We need a revolution of capitalism to balance return on financial, natural and social capital », http://president.wbcsd.org, 19/12/2012.

J'achète Le numéro !
À l’heure des multinationales, le retard du droit ?
Je m'abonne dès 3.90 € / mois
Abonnez vous pour avoir accès au numéro
Les plus lus

Les Marocains dans le monde

En ce qui concerne les Marocains, peut-on parler de diaspora ?On assiste à une mondialisation de plus en plus importante de la migration marocaine. On compte plus de 1,8 million de Marocains inscrits dans des consulats à l’étranger. Ils résident tout d’abord dans les pays autrefois liés avec le Maroc par des accords de main-d’œuvre (la France, la Belgique, les Pays-Bas), mais désormais aussi, dans les pays pétroliers, dans les nouveaux pays d’immigration de la façade méditerranéenne (Italie et ...

L’homme et Dieu face à la violence dans la Bible

Faut-il expurger la Bible ou y lire l'histoire d'une Alliance qui ne passe pas à côté de la violence des hommes ? Les chrétiens sont souvent gênés par les pages violentes des deux Testaments de la Bible. Regardons la Bible telle qu’elle est : un livre à l’image de la vie, plein de contradictions et d’inconséquences, d’avancées et de reflux, plein de violence aussi, qui semble prendre un malin plaisir à multiplier les images de Dieu, sans craindre de le mêler à la violence des...

Le clerc en sursis ?

La plupart des confessions religieuses excluent les femmes des charges sacerdotales. Pour combien de temps ? Patriarcale au superlatif, l’Église catholique voit son modèle vaciller. Le patriarcat demeure la règle dans le monde religieux. Dans des contextes très différents, les trois monothéismes le pratiquent. Tous invisibilisent les femmes, contrôlent leur corps et les tiennent éloignées de la sphère publique. Circonstance aggravante, ce bastion bien défendu l’est par...

Du même dossier

Mondialiser les normes sociales et environnementales

En droit international, la protection de l’environnement et des droits de l’homme devrait prévaloir sur le droit commercial. Il n’en est rien. Le recours à l’arbitrage permet même aux multinationales d’attaquer les lois réduisant leurs profits. Plusieurs scénarios leur imposeraient au contraire de respecter les normes sociales et environnementales. La mondialisation exacerbe le dumping social et environnemental, créant une asymétrie entre la hiérarchie des normes de droit international : le droi...

Poursuites-bâillons : la liberté d’expression en procès

Journalistes, ONG, chercheurs… Quand ils critiquent les entreprises, ils deviennent la cible de procès à répétition. La justice, censée protéger la veuve et l’orphelin, devient l’instrument de puissants acteurs économiques, détournant les sentinelles des droits humains de leur affaire et encourageant l’autocensure. En ces temps où il est de bon ton de se gargariser des vertus de la liberté d’expression, force est de constater que les injonctions au silence se font nombreuses pour qui cherche à s...

Contrôle des sociétés transnationales : bilan d’étape

L’avènement de firmes internationales prolongeant l’exploitation coloniale eut tôt fait de susciter des résistances. L’espoir fut vite douché d’un nouvel ordre économique. De la contestation sont nés des principes directeurs, à l’Onu comme à l’OCDE, mais ils n’ont pas force de loi. Olivier De Schutter envisage l’étape d’après. Comment contrôler les sociétés transnationales ? Entre lois nationales et droit international, comment répartir la tâche ? Depuis la fin de l’époque coloniale, ces questio...

Vous devez être connecté pour commenter cet article

1 réactions pour « Des entreprises affichent le souci de leur utilité sociale »

Alain Vidal
18 August 2016

Merci pour ce très bon panorama sur les entreprises qui prennent au sérieux leur responsabilité sociale et environnementale. Vous y incluez à juste titre le WBCSD. Il me semble utile d'ajouter ici, puisque ce numéro de la Revue Projet évoque par ailleurs les questions liées à l'environnement et à l'agriculture, que c'est dans doute dans ces domaines que la question de la mesure est une des plus délicates.

C'est la raison pour laquelle le WBCSD s'est adjoint l'appui scientifique du CGIAR, partenariat international de recherche agricole, pour mettre en place des indicateurs de suivi des entreprises en matière d'impact de l'agriculture sur le climat. Une description (en anglais) de l'outil élaboré par le programme Changement Climatique, Agriculture et Changement Climatique (CCAFS) du CGIAR est disponible via https://ccafs.cgiar.org/csa-programming-and-indicator-tool.

* Champs requis
Séparé les destinataires par des points virgules