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Dossier : La presse sous pression

Des régulations pour la presse

©dpstyles™_Flickr/CC
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Resumé Assurer la liberté et la pluralité de la presse sans ignorer l’évolution du paysage médiatique.

Projet – Pour rendre effectif le principe de liberté de la presse, la France s’est dotée d’un certain nombre de dispositifs législatifs et réglementaires qui visent à réguler le marché. Quels sont actuellement ces grands modes d’intervention publique ?

François Devevey – Aides directes, aides indirectes et régulations économiques sont les trois modes d’intervention de l’Etat. Le premier a un caractère budgétaire : dans le projet de loi de Finances pour 2006, 280 millions d’euros sont alloués au secteur de la presse écrite. Le deuxième mode d’intervention est celui des aides dites indirectes, qui ne se traduisent pas par une inscription budgétaire mais par une moins-value de recettes. Celle-ci atteint près d’un demi-milliard d’euros par an selon les évaluations du ministère de l’Economie et des Finances. Enfin, troisième mode d’intervention : des dispositifs de régulations économiques, comme celui que traduit le statut des entreprises de groupage et de distribution. Ici la loi définit des modes de fonctionnement qui doivent permettre à tous les titres d’accéder au marché.

Les aides directes sont dans leur quasi-totalité allouées à des entreprises éditrices de journaux et de publications d’information politique et générale. Les autres formes de presse n’en bénéficient que de façon très marginale. Pour l’essentiel, ces aides font l’objet d’un versement direct à l’entreprise de presse, soit selon des critères objectifs d’application quasi mécanique, soit à partir de dossiers instruits par la puissance publique et donnant lieu à une appréciation d’opportunité. C’est certainement la grande novation qui a été introduite dans notre système d’aide ces dernières années. On est passé d’une ère de saupoudrage automatique à une aide ciblée et argumentée, notamment depuis l’instauration du fonds de modernisation, doté grâce à une taxe parafiscale sur la publicité hors média.

Le remboursement à La Poste par l’Etat de l’application d’un tarif postal préférentiel fait également partie des aides directes. D’ici trois ans, seuls bénéficieront d’un tarif postal préférentiel les journaux d’information politique et générale. Pour les autres titres, le tarif postal rejoindra, par paliers successifs, le tarif de droit commun, le tarif du marché. Ici encore, l’Etat, dans sa démarche budgétaire, vise à favoriser l’émergence, le développement ou la survie d’entreprises de presse dont il considère qu’elles sont le moyen d’animer la vie démocratique.

Dans les aides directes figure également la dotation de l’Etat pour les abonnements à l’AFP, qui a pour objectif de permettre l’accès égal de tous les journaux à l’information que peut diffuser une agence de presse. Il ne s’agit pas d’une subvention mais d’une contribution qui, à travers les abonnements souscrits par l’Etat pour ses services (administrations centrales, ambassades, préfectures…), représente environ 45 % du budget de l’AFP. Là encore s’exprime la volonté des pouvoirs publics de favoriser le pluralisme de l’information politique et générale

Les aides indirectes bénéficient, elles, à l’ensemble des formes de presse. La seule condition est que la publication ait subi un « examen de passage » auprès de la Commission paritaire des publications et agences de presse (CPPAP), sur la base de critères simples. Les deux aides principales sont une TVA à taux réduit et l’exonération de taxe professionnelle. En outre, les dispositions du code général des impôts permettent d’affecter les résultats de certaines entreprises de presse à des provisions pour investissement en franchise d’impôts.

La réglementation économique a pour objet de garantir à chaque éditeur la possibilité d’accéder au système de distribution de son choix. Soit il distribue par ses propres moyens, soit il passe par un système de groupage qui lui est obligatoirement ouvert. Cette réglementation traduit le principe selon lequel tous les éditeurs doivent être égaux face au système de distribution. Il ne peut y avoir de discrimination dans l’accès du public au journal de son choix à cause du système de commercialisation des publications. L’Etat prend ainsi la responsabilité de corriger certains mécanismes du marché pour assurer le pluralisme de l’information.

Il faut rappeler que l’ensemble du dispositif – aides directes et indirectes, régulation de la distribution – se développe dans le cadre général de la liberté de la presse, principe très ancien résultant de la Déclaration des droits de l’homme, qui a été développé et codifié par la loi du 29 juillet 1881. Elle est notre loi de référence : toutes les interventions de l’Etat ont pour objet de faciliter l’exercice de cette liberté.

Projet – Hors l’appréciation d’opportunité, comment sont attribuées les aides directes ?

François Devevey – Rappelons au préalable que sur les 280 millions inscrits au budget de l’Etat, la dotation pour l’AFP représente environ 108 millions, l’aide au transport de la presse d’information politique et générale versée à la Poste un peu plus de 70 millions. Il reste une centaine de millions qui sont les aides aux entreprises elles-mêmes : environ 8 millions pour les quotidiens à faibles ressources publicitaires, 8 millions pour les quotidiens départementaux, 31 millions pour le fonds de modernisation sociale, et 23 millions pour le fonds de modernisation de la presse quotidienne et assimilée. Pour ces derniers, les aides sont attribuées après examen des dossiers par une commission mixte. Ces aides directes ne vont qu’à la presse générale et d’information, à l’exception du fonds d’aide à l’expansion de la presse française à l’étranger et du fonds d’aide à la presse multimédia.

Cette intervention peut sembler troublante puisque le marché est privé. Nous sommes dans un cadre libéral que l’Etat ne considère pas suffisant pour assurer l’expression pluraliste des opinions. Il infléchit donc, en apportant son aide, les mécanismes du marché.

Projet – Les aides indirectes bénéficient, elles, à toutes formes de presse. Certains proposent de remettre en cause ce principe pour privilégier, là aussi, la presse d’information générale et politique. Qu’en pensez-vous ?

François Devevey – Contrairement aux aides directes, le taux très favorable de TVA (2,10 %) s’applique à toutes les formes de presse. De même, depuis 1945, le système de distribution est ouvert à tous sans distinction. Certains y voient une déviance par rapport aux objectifs initiaux puisque ce système bénéficie à des titres qui ne participent pas au débat d’opinion. Faut-il défendre la valeur du pluralisme par une aide publique quel que soit le support ? Car le coût raisonnable de ce système de distribution a fait apparaître sur le marché des produits qui n’ont plus grand-chose à voir avec la presse. Faut-il désormais être discriminant, sachant que dès lors que l’on décide de l’être, on risque de créer des problèmes de frontières insolubles ? De plus, l’autorité européenne de la concurrence surveille de près les relations entre l’Etat français et la presse écrite. On pourrait imaginer d’appliquer à la presse écrite une exception « informative » de même nature que l’exception culturelle : ne serait-il pas légitime alors que les relations de l’Etat avec son système d’information échappent à la régulation européenne en matière de concurrence ?

Projet – Certains plaident pour la création d’un grand service public de la distribution. Cette idée vous semble-t-elle pertinente ?

François Devevey – La notion de service public est déjà inhérente à l’accord presse-poste. La continuité territoriale est assurée à coût identique afin que chacun ait le même accès à la presse. Vous pouvez recevoir votre quotidien favori de la même façon et au même prix, que vous habitiez en banlieue parisienne ou dans un village reculé. Cette péréquation géographique est également de règle dans les sociétés de messagerie de presse : le coût facturé à l’éditeur est le même, que sa diffusion se fasse majoritairement en province ou en région parisienne. Faut-il accentuer encore le caractère de service public de ces moyens de distribution ? Lors du vote de la loi Bichet en avril 1947 sur le groupage et la distribution, la SFIO avait proposé que les messageries soient sous la coupe de la Poste. Un tel monopole, qui aurait terriblement fragilisé le système, aurait donné un poids considérable à la puissance publique, peu compatible avec l’idée d’une presse libre et concurrentielle. Ce qu’il faut sauvegarder à tout prix, c’est la couverture de tout le territoire. Cela n’empêche nullement la floraison d’opérateurs de distribution.

Projet – La publicité occupe une place croissante dans les ressources de nombreux titres. Les gratuits sont en plein développement. Cette dépendance vis-à-vis des annonces ne représente-t-elle pas un danger pour la liberté de la presse ? L’Etat ne devrait-il pas intervenir (certains proposent par exemple de taxer les annonceurs) ?

François Devevey – Si les ressources publicitaires ne sont pas limitées, ce n’est pas le cas de la superficie publicitaire : la CPPAP n’admet pas les publications y consacrant plus de 66 % de la surface imprimée. La publicité est un bon moyen de faire baisser le coût de l’accès à l’information. Aujourd’hui se développe la logique de la gratuité, financée par la publicité, suite logique de ce qu’on connaissait pour la radio et la télévision. Cependant, le financement exclusif par la publicité n’est pas envisageable pour toutes les formes de presse, notamment lorsqu’il s’agit de la presse quotidienne dite « de qualité » dont la valeur ajoutée rédactionnelle est incontestable. C’est, aujourd’hui, ce qui semble distinguer les deux formes de presse : d’un côté une presse d’accès facile, immédiat et gratuit, véhiculant une information un peu sommaire, de l’autre une presse plus ambitieuse, qui coûte au lecteur et, hélas, d’accès encore trop contraignant. Ce qui, soit dit en passant, nous oblige à repenser la distribution en termes de proximité. Quant au principe de taxer la publicité, je n’y suis personnellement pas favorable. Ce n’est pas de dispositifs fiscaux que viendra la rénovation de la presse quotidienne française.

Projet – La presse écrite d’information est par ailleurs de plus en plus une activité annexe de groupes multimédias, eux-mêmes dans l’orbite de conglomérats industriels qui concentrent entre leurs mains l’essentiel du secteur. Ces mouvements de concentration ne représentent-ils pas une autre menace pour le pluralisme ?

François Devevey – La concentration ne s’oppose pas toujours à la liberté de la presse. Depuis 1945, la Grande-Bretagne a connu une forte concentration en cinq grands groupes : or la presse britannique comporte plus de 100 titres de presse régionale et une grande diversité de titres nationaux. Les lois anti-concentration ne garantissent absolument pas le pluralisme des titres et comportent même le risque de faire disparaître des titres qui ne peuvent survivre s’ils ne trouvent pas d’appuis financiers ! Si la faiblesse de fonds propres n’a pas d’importance quand tout va bien, elle est dramatique quand la situation économique générale est défavorable à la presse.

Bien sûr, les industriels qui investissent dans la presse écrite manifestent là des intérêts personnels. Mais ce n’est pas Edouard de Rothschild qui changera Libération ! Parce que le premier objectif de l’investisseur est de préserver son marché. Il est vrai qu’une multiplicité de titres – dans la presse quotidienne régionale, par exemple – ne signifie pas forcément un vrai pluralisme. Cependant, ce n’est pas en sortant du régime de liberté et en créant un service public de l’information que l’on résoudra ces questions. L’existence du marché est une garantie pour la liberté de la presse.

Projet – La multiplicité des titres n’est pas, en effet, une garantie de pluralisme. La nouveauté du contexte actuel n’appelle-t-elle pas tout de même l’invention de nouvelles régulations publiques du marché de la presse ?

François Devevey – Sans aucun doute. Mais la régulation de la concentration doit prendre en compte la multiplicité croissante des médias à côté de la presse écrite : radios locales, TNT, Internet… Cette diversification des supports est trompeuse car elle ne correspond pas à une diversification des sources d’information. Sur le net circulent autant de rumeurs que d’informations. La loi sur la presse de 1986 avait établi la règle des « trois sur quatre » : sur un territoire donné, une même entité ne peut détenir plus de trois médias dominants (presse écrite, radio, télévision, câble). Mais comment savoir aujourd’hui qui domine sur le net  ? Et quel contrôle opérer quand les supports sont disponibles à volonté (contrairement aux fréquences et aux canaux dont l’attribution permet l’exercice d’un contrôle) ? Nous devons réfléchir à d’autres systèmes de régulation. Les réponses sont du côté de la déontologie. Les éditeurs doivent être identifiables et accepter de se soumettre à un certain nombre de contraintes. L’avenir est sans doute dans les sites labellisés, garantie pour l’internaute. Quant à la presse écrite, elle doit pour durer faire preuve d’invention. Les quotidiens d’information générale évoluent tous vers une place accrue faite aux pages magazine et distraction. Les changements très récents du Figaro, puis du Monde, avec la segmentation en cahiers, en témoignent. Pour les plus petits, une solution réside dans la mutualisation des moyens existants. L’AFP fournit par exemple aux quotidiens des pages « magazine » clé en main. Le problème qui se pose alors est celui de l’uniformisation des contenus.

Je voudrais conclure en rappelant que, depuis la première aide postale du 4 Thermidor an IV pour l’acheminement de la presse en province, la presse écrite dans notre pays est bien vivante. Il se crée des journaux tous les jours, et il en disparaît autant ; 12.000 titres sont édités en France, dont 3.000 habituellement disponibles sur le marché font l’objet de transactions. En nombre d’exemplaires de magazines diffusés pour mille habitants, la France se situe au premier rang. Il existe 500 titres de presse d’information politique et générale. En France, nous ne connaissons pas ce qu’on appelle la « presse de caniveau ». Et c’est en France aussi qu’existe la plus grande diversité de titres quotidiens à diffusion nationale. Juger de notre système en oubliant cette réalité serait malhonnête.


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