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Dossier : La recherche, l'heure des choix

Recherche et fuite des cerveaux, l'exemple américain ?


Resumé Pourquoi les universités américaines attirent étudiants et chercheurs.

De nombreux articles de presse s’émeuvent de la fuite des cerveaux et cherchent à comprendre les raisons qui poussent un chercheur français à s’expatrier. Mais faut-il vraiment s’alarmer ? N’est-ce pas une étape d’un processus normal de formation, comme en d’autres temps le compagnonnage ? 95 % des Français expatriés reviennent en France dans les cinq ans ; le savoir-faire qu’ils rapportent est une source de richesse. Le problème tient à l’absence de flux inverse. Très peu d’étudiants et de chercheurs viennent en France. Pourquoi les étudiants et chercheurs du monde entier préfèrent-ils les Etats-Unis à la France ? Les grandes écoles françaises et les grandes universités américaines, institutions prestigieuses et à la pointe, devraient exercer un attrait similaire. Des pistes de compréhension peuvent être suggérées en examinant l’exemple de l’Université de Stanford, passée en moins de cinq décennies du statut de petite université régionale à celui de pôle majeur de création de connaissance et d’innovation.

C’est parce qu’elles mettent la recherche en première position que les universités américaines attirent les étrangers. Deux chiffres traduisent cette importance : 30 % des étudiants des grandes universités américaines sont des doctorants (environ 10 % dans nos grandes écoles) ; près de 40 % des ressources de Stanford proviennent de la recherche 1.

Comment ne pas être séduit par un système universitaire qui fait de la recherche sa priorité ? Tous ceux qui ont passé du temps aux Etats-Unis le soulignent : il n’existe pas d’équivalent en France. Par une visite directe, on prend la pleine mesure de l’avance des universités américaines. Elle se traduit par des bibliothèques parfaitement équipées 2, des installations informatiques de pointe disponibles en permanence, un campus ouvert et actif et un environnement très soigné 3.

La principale contribution de l’université de Stanford au développement de la Silicon Valley ne réside pas dans le transfert de connaissances vers l’industrie locale, mais dans l’attraction d’un vivier d’étudiants et de chercheurs, souvent étrangers, de qualité 4. Nombre d’entre eux s’installent dans la région et fournissent un réservoir de matière grise aux entreprises locales. Celles-ci comprennent l’intérêt d’embaucher des doctorants formés aux technologies de pointe. D’ailleurs, l’Etat américain favorise l’installation des étrangers qualifiés via les visas de travail H1B (réservés aux employés de haut niveau) et les cartes vertes.

Les mythes sur l’Amérique

Si l’on met volontiers en avant les conditions de travail exceptionnelles, les responsabilités confiées aux chercheurs, la perspective de participer à une recherche de pointe, les salaires beaucoup plus attrayants et le rôle clé des financements industriels, on soulève aussi des critiques : une incessante course aux publications, un manque d’indépendance vis-à-vis des bailleurs de fonds, une situation d’emploi précaire. Qu’en est-il en vérité ?

« C’est la recherche industrielle qui finance l’Université américaine. »

On imagine souvent que le succès des universités américaines est lié à d’importants financements industriels. Il n’en est rien. Dans les grandes universités, la recherche est financée à plus de 80 % par les organismes publics (US Department of Energy, Department of Health and Human Services, Nasa, Department of Defense, National Science Foundation). A Stanford ou au MIT, la part de financements industriels représente moins de 20 %. Les contrats de recherche sont attribués par appel d’offres pour trois ou cinq ans. Les thèmes en sont décidés par les agences gouvernementales en concertation étroite avec les industriels. Selon les résultats, le contrat peut être renouvelé pour un cycle supplémentaire, sinon le programme est arrêté. Ces financements sont ciblés vers les laboratoires les plus compétitifs et non partagés.

Pourquoi la recherche universitaire a-t-elle un fort impact sur l’industrie, alors qu’elle en reçoit si peu de financements ? La réponse à ce paradoxe réside dans les pratiques de mobilité : souvent, les professeurs américains passent du temps dans l’industrie, voire deviennent entrepreneurs. Ils repèrent là des problématiques à explorer dans le cadre d’un doctorat. Les industriels encouragent ces échanges et incitent les agences gouvernementales à développer des programmes dans les domaines identifiés.

La recherche universitaire américaine ne vise pas à se substituer à la recherche industrielle ; cette dernière poursuit des objectifs à court terme (12 à 18 mois), en général incompatibles avec les intérêts d’un doctorant. L’Université a pour vocation d’éduquer les futurs ingénieurs et chercheurs, et non de développer des produits ; elle doit permettre à un étudiant d’acquérir les bases d’un domaine et d’en explorer tous les aspects, selon le principe du Think out of the box cher aux Américains. Toutefois, la recherche universitaire garde un œil attentif sur les applications, et les industriels guident le gouvernement fédéral dans ses choix de thématiques de recherche ciblées. Les ingénieurs ou chercheurs ainsi formés apporteront une vision innovante à l’entreprise qui les embauchera : c’est à Stanford qu’a été inventé le Global Positionning System (GPS), et les entreprises Sun Microsystems, Silicon Graphics, Cisco, e-Bay, Google, Hewlett-Packard… et même Mondavi Vineyards ont été créées par d’anciens élèves.

« La recherche américaine est à caractère confidentiel. »

Le Bayh-Dole Act de 1980 assure que la propriété intellectuelle revient à l’Université, quelle que soit l’origine des fonds qui ont financé ses travaux. Dès lors, toute recherche universitaire peut être publiée librement. Par exemple, les codes de calcul Kiva et Chemkin sont dans le domaine public, y compris en dehors des Etats-Unis.

« Les chercheurs américains ont un statut précaire et leur salaire dépend de leurs contrats de recherche. »

L’université embauche un assistant professor (équivalent au maître de conférences) pour six ans. A l’issue de cette période, si ses performances de recherche et d’enseignement (souvent dans cet ordre) sont jugées satisfaisantes, l’assistant professeur reçoit la tenure et devient membre permanent de l’université, publique ou privée. La tenure équivaut ainsi à un statut de fonctionnaire. Et ce n’est pas le statut de fonctionnaire qui empêche les tenured professors de continuer à développer des programmes de recherche de pointe.

La question du salaire aussi est souvent mal comprise. L’université américaine ne paie ses professeurs que neuf mois sur douze, mais ce salaire est d’environ 60 000 USD pour un assistant et 75 000 USD pour un associate professor. L’intéressement aux contrats de recherche permet en outre de recevoir une prime qui peut représenter jusqu’à trois mois de salaire supplémentaire. Les salaires sont imposés à environ 35 %, et une part importante est consacrée aux cotisations de retraite par capitalisation. Mais, au total, le salaire des professeurs américains est environ le double de celui des professeurs français.

Quelles perspectives pour la France ?

Notre système de recherche accuse aujourd’hui un retard certain, mais non inéluctable. En effet, la France offre une situation géographique et un environnement exceptionnels qui ont le potentiel d’attirer étudiants et chercheurs du monde entier. Par ailleurs, jusqu’au niveau de la maîtrise, la formation française est au meilleur niveau mondial. Un troisième atout tient à la vitalité des programmes d’échange européens. Lancé à l’initiative de l’École Centrale Paris, le programme Time a ainsi suscité une dynamique d’échanges d’étudiants de très haut niveau à l’échelon européen. Ce programme constitue une base de recrutement solide pour les formations Master et doctorales. Enfin, le gouvernement a déployé récemment des efforts importants en faveur de la recherche, avec en particulier l’annonce de la création de l’Agence nationale pour la recherche (ANR). Il reste à concrétiser ces efforts.

Le modèle américain suggère cinq pistes. Tout d’abord, l’ANR devrait permettre à la recherche universitaire de fonctionner par appels d’offres compétitifs, sur des thématiques renouvelées, limitées à trois ou cinq ans, et établies en concertation avec les partenaires industriels. Ainsi, les universitaires seraient libres d’organiser leurs travaux sur des durées suffisantes pour garantir leur caractère innovant. L’exemple américain en confirme l’intérêt.

La deuxième piste passe par une redéfinition plus claire des rôles des industriels et des universitaires. La recherche universitaire, activité à haut risque, peut ne pas aboutir à une solution technologique immédiate. Elle est complémentaire de la recherche industrielle orientée à plus court terme. Pour qu’un tel système porte ses fruits, la mobilité entre laboratoires industriels et universitaires est essentielle. Car, s’il relève de la responsabilité de l’ANR de garantir l’indépendance de la recherche universitaire vis-à-vis de l’industrie, il est également souhaitable que les universitaires développent des relations plus étroites avec l’industrie. Les industriels français devraient par ailleurs s’appuyer davantage sur le formidable vivier de créateurs que représentent les jeunes docteurs en leur offrant des carrières valorisées d’experts techniques. Le Ph.D. est une formation très appréciée de l’industrie américaine ; le succès des Silicon Valleys du monde repose sur la perception bien comprise de l’intégration des doctorants au tissu industriel. A ces conditions, un flux inverse de chercheurs et étudiants de haut niveau pourra s’établir ; de cela dépend notre capacité d’innovation.

En troisième lieu, il est urgent de rénover les infrastructures des universités et des grandes écoles. Une augmentation significative des ressources indirectes, en proportion des contrats de recherche, apporterait un soutien fort et efficace.

Quatrièmement, la capacité d’innovation des laboratoires universitaires doit être encouragée. L’attribution aux universités du droit à breveter leurs inventions indépendamment des bailleurs de fonds constituerait une avancée significative.

Enfin, il est urgent que le système universitaire devienne l’affaire de tous, en particulier des anciens élèves. Par leurs dons, encouragés par les relèvements récents du plafonnement des déductions fiscales, ils peuvent participer directement au développement de leur institution d’origine ; par là, ils marquent leur reconnaissance vis à vis de ceux qui les ont formés et contribuent indirectement aux retombées de la recherche et de l’éducation sur la société.

Dans l’intense compétition internationale actuelle, la vitalité de nos forces intellectuelles et économiques dépend aujourd’hui, plus que jamais, de l’attractivité de notre système d’éducation et de recherche. Si l’État peut contribuer, par ses actions, au développement de ce projet, le succès passera également par l’implication solidaire de chacun.



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1 / Le budget de Stanford en 2003-04 se monte à 2,3 milliards USD. Origine des recettes : 37% recherche, 16% produits financiers de la dotation ( endowment et investissements), 19% frais de scolarité (tuition), 9% revenus de l’hôpital universitaire, 4% dons, 15% autres (immobilier, brevets, centre commercial, etc.). Répartition des dépenses : 52% salaires, 33% frais de fonctionnement, 10% accélérateur linéaire ( Stanford Linear Accelerator), 5% bourses étudiants.

2 / Endowment : dotation, fondation. Il représente une source de financement pérenne (8,6 milliards USD à Stanford en 2005). Chaque année, une fraction du produit financier de l’ endowment est utilisée pour les dépenses de fonctionnement, l’enseignement et la recherche. Le reste est réinvesti dans l’ endowment.

3 / Fundraising : en 2002-03, Stanford a collecté 486 millions USD auprès de 68810 donateurs. Près de 40% des anciens élèves undergraduate ont participé à ces dons. Les dons ont considérablement augmenté ces dernières années (32.7 millions USD en 1972, 185.3 millions USD en 1992). En octobre 2000, Stanford a lancé une campagne de fundraising de cinq ans pour améliorer l’enseignement undergraduate, visant à recueillir 1 milliard de dollars. En décembre 2004, un an avant la fin de la campagne, le total des dons a déjà dépassé l’objectif initial.

4 / Il y a 16 bibliothèques à Stanford avec plus de 5 millions de titres.  Mais aussi, pour 16 000 étudiants : une librairie avec 250 000 titres, deux écoles, maternelle et primaire, une cinquantaine de courts de tennis, autant de terrains de volley et basket, deux piscines olympiques, un terrain de golf, un stade de 86 000 places utilisé pour la Coupe du Monde de football en 1994, 18 médaillés olympiques (dont 16 d’or) à Atlanta, un orchestre symphonique, plusieurs chorales et groupes a cappella, des journaux, etc.  Le cursus universitaire américain est en deux étapes : le niveau undergraduate compte quatre années, nommées freshman, sophomore, junior et senior ; le niveau graduate regroupe le Master (maîtrise) et le Ph.D. (doctorat). Sur les 6654 étudiants undergraduate à Stanford actuellement, 6% seulement sont étrangers. En revanche, on trouve 33% d’étrangers (dont 57% d’asiatiques) parmi les 7800 étudiants graduate.


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