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Dossier : Rythmes et temps collectifs

Les loisirs, temps libéré ? L'ère des loisirs a ouvert un autre usage du temps. Temps épargné, aménagé ? Temps pour soi ?


Les lois du Front populaire sur les congés payés s’inscrivent sur fond d’un temps collectif déjà constitué et consolident des usages traditionnels. Quant au sport, traditionnellement, il « chasse le temps perdu ». Aujourd’hui, les manières de prendre son temps libre signent la fin non pas du tourisme de masse mais des temps solidaires.

Les loisirs n’ont-ils pas façonné les rythmes sociaux ? Au cours du siècle passé, la réponse est à moduler en fonction des temps et des périodes. Une première phase, celle des débuts de l’automobile, de la généralisation des congés payés, de l’intensification des pratiques sportives, a vu le déploiement d’une dynamique commune. Mais dans un deuxième temps, l’élargissement de l’offre commerciale ou le recours plus large à des formes de loisirs marqués par une recherche « d’authenticité » témoignent d’un mouvement d’individualisation du temps libre. Celui-ci participe à la construction du sujet moderne et, en ce sens, il ne peut être compris sans référence aux évolutions du temps de travail, plus flexible et aussi plus individualisé.

Depuis le xixe siècle, où ils restaient l’apanage d’une minorité, les loisirs ont ouvert une ère nouvelle. Par exemple, jusqu’à la Grande guerre, l’automobile restait un objet de grand luxe, réservé aux amateurs de sport à la mode, et la conduite automobile demeurait un plaisir en soi, une distinction sociale plus qu’un moyen de circulation.

Pourtant, il existe très tôt une volonté de partager cette forme de loisir. Les goûts d’une bourgeoisie progressiste renouvellent les formes du tourisme, notamment grâce à des Clubs qui publient des revues. Ainsi, en 1920, le Club alpin français (CAF), le Touring Club de France (TCF) et l’Automobile Club de France fondent L’Union nationale des associations de tourisme (UNAT), reconnue d’utilité publique. Une cinquantaine d’associations et de fédérations y sont affiliées. Leurs insignes et leurs codes définissent un esprit de démocratisation. Il s’agit d’un prélude, dont on ne mesurera l’importance que lorsque la circulation automobile prendra d’autres proportions.

La conduite automobile change dès lors ses repères. Elle entre dans une technique de vie, celle d’une économie du temps qui permet d’en gagner en allant plus vite d’un lieu à un autre. Le moment vient où conduire fait l’objet d’un contrôle. En 1924, le permis de conduire, délivré aux conducteurs par les préfets, sur avis favorable du service des Mines, entre dans les missions de l’UNAT. Plus de trois cents mille permis sont attribués en 1930. S’amorce un mouvement de consommation qui annonce l’émergence dans le corps social d’une concentration d’usagers, que rassemblent une solidarité d’intérêts et une communauté de goûts, et qu’unifie surtout un même usage de la temporalité. Aller plus vite, faire plus vite, gagner du temps, devient le mot d’ordre des aménageurs et des usagers de la route.

Les congés payés

Avec les « congés payés », une forme nouvelle de l’aménagement du temps s’officialise en 1936, garantissant à tous les salariés un droit aux loisirs et instaurant de fait une césure dans l’année de travail. Auparavant, de nombreux Français prenaient leurs moments de liberté « à la cloche de bois », pour une fête de famille, une naissance ou un deuil, voire une visite imprévue ; bref, des quantités d’événements ont justifié l’absence du lieu de travail. Les lois de 1936 ont réglementé une liberté d’usages, jusque-là imprécis. La norme des congés ordonne alors les rapports de la durée privée au temps public.

Il n’en résulte pas pour autant que, sous l’impulsion de la réglementation légale, les congés aient orchestré l’emploi du temps de la masse des Français dès 36. Si les premiers congés sont accompagnés de la création du billet de chemin de fer correspondant (en 1937), les départs réels avant-guerre dépassent à peine ceux des années précédentes. La majorité des salariés ne parviennent pas à occuper et à penser le temps hors du travail. La lenteur de l’évolution est révélatrice : 1,8 million de départs en 1937 (année de l’Exposition universelle), 1,5 million en 1938. Le véritable mouvement démarre avec les trois millions en 1948, plus de quatre en 1949, plus de cinq en 1951.

Tout se passe comme s’il fallait attendre une révolution mentale pour que la masse puisse envisager d’autres loisirs, comme si l’offre ne suffisait pas à créer immédiatement la demande. Jusqu’à la fin de la décennie 50, les mineurs lorrains utilisent rarement les moyens mis à leur disposition par l’entreprise ou par les associations de loisirs (colonie des Houillères, Maisons familiales ; tarifs réduits dans les chemins de fer ; l’épargne vacances, que gère l’entreprise, est utilisée par 2 mineurs sur mille).

Un autre facteur que celui de la réglementation est donc à prendre en considération dans ce cas. Les habitudes largement partagées d’occuper son dimanche et certains jours « chômés » (le lundi de la Pentecôte, ou le « pont » du 15 août), à visiter la région où chacun a sa famille ou ses amis, permettent d’enregistrer un accroissement des déplacements dans l’environnement proche.

La durée mesurée

Après la Seconde guerre mondiale, la société industrielle n’était pas seulement avide de valoriser et de rationaliser l’usage du temps pour améliorer et accélérer la production nationale. Elle a aussi été marquée par le souci de mesurer la durée de chaque activité, d’en épargner chaque instant, éventuellement de prévoir des marges, de mieux subdiviser chaque séquence et par conséquent optimiser l’usage du temps économisé. Tout contretemps est alors ressenti comme une perte, voire la cause d’une baisse de rentabilité dans une activité, et tout retard devient synonyme de déclin dans la concurrence entre les pays industrialisés. Se mettre en retard signale un manque évident de civisme.

Au cours des années 50, les responsables de l’éducation et du loisir des jeunes, enseignants, animateurs et entraîneurs sportifs, partagent cette idéologie de la programmation et de la comptabilisation du temps. De même que le rythme de la production, celui du loisir se révèle une denrée précieuse. Par opposition, le rythme des colonies de vacances (dont les premières datent des années 1880), le bénévolat des mouvements de jeunesse (qui se développent après la Première guerre mondiale), les animations de loisirs, comme les patronages ou certaines formes d’animation populaire, apparaissent dès lors comme des usages diffus du temps, une durée dont les possibilités ne sont pas exploitées. On s’y traîne plus qu’on ne s’y entraîne.

On privilégie le modèle moral de l’entraînement sportif. On programme des apprentissages et on contrôle leur progression. Les loisirs sportifs de ces années sont dominés par la référence à la maîtrise du temps : ponctualité des horaires d’entraînement, précision des calendriers de compétition et de leurs « saisons ». La valeur éducative du loisir sportif s’est ajoutée à tout ce qui relève de la précision et de la prévision. L’idée que le temps est compté, qu’il ne faut pas perdre une minute et qu’il convient de le programmer afin de « l’utiliser » au mieux devient un lieu commun de la morale civique. Elle devient une valeur éthique que partage (ou devrait partager) la communauté des animateurs, des entraîneurs ou des enseignants et dont elle veut, bien entendu, convaincre les parents.

Les loisirs, un autre temps

Une transformation profonde du temps social s’est amorcée au cours des années 60, qui donne priorité aux plaisirs de l’instant. Elle ne prend pas la relève de ce qui a précédé et n’obéit plus aux mêmes principes de rentabilité : on a changé d’ère. Selon les slogans et graffitis de ces années-là, les loisirs reflètent trop les valeurs de la production industrielle et insuffisamment celles d’un « temps pour soi », plus spontané ou improvisé. La jeune génération veut des loisirs moins tendus vers le futur, moins aiguillonnés par l’idée de progrès.

Dès lors, les promoteurs de loisirs s’adaptent et bouleversent de fond en comble les lieux et rythmes du loisir. Pour les voyages, par exemple, la publicité lance un produit qui inclut la qualité du transporteur, la nature de l’hébergement, le type d’activités proposées, etc. Elle standardise des modes et jette sur le marché le tourisme « aventure ». Le produit, conçu au plus près des désirs d’un public ciblé, est conditionné en fonction d’une découpe du temps.

Avec la baisse des tarifs dans les années 75, les distances se banalisent. L’intérêt pour les destinations se relativise alors que s’accroît le souci de dominer un temps qu’on peut compacter dans une durée de vol limitée. Selon les budgets des clients, en fonction du nombre de jours prévus, les destinations seront indifféremment la Turquie ou les Antilles, la Thaïlande ou l’Amérique du Sud. Les forfaits propulsent les touristes en Orient, en Asie ou en Afrique... La promotion commerciale du charter traite un temps de vol dont elle évalue le prix en fonction du nombre de places occupées dans un appareil.

Une évolution se dessine toutefois avec la crise du pétrole. Prendre des loisirs dans les années 60 supposait de dépenser librement, beaucoup plus pendant les vacances qu’en temps normal. A la fin des années 70, la croissance des budgets-ménages marque une pause et les Français se mettent à gérer les séquences de loisir en consommateurs avisés, se montrant pointilleux sur les tarifs qui deviennent partie intégrante du budget personnel ou familial.

Retour au naturel

Dès la fin des années 50, le camping renouvelle un loisir qu’avaient découvert scouts et éclaireurs après la Grande guerre. Rapidement, il devient en France un facteur de développement du tourisme populaire. Un million de campeurs en 1956, plus de 7 millions en 1964. En moins de dix ans, une révolution s’accomplit. Sur les terrains qui s’aménagent, le camping inclut les retrouvailles annuelles, voire trimestrielles ou hebdomadaires, entre amateurs de boules et de pastis, accompagnés de tribus d’enfants et d’adolescents. Tout autant que le goût de la nature se cultive un désir de sociabilité entre gens partageant les mêmes plaisirs à la bonne franquette.

Bientôt, les caravanes suivront la même dérive : conçues pour se déplacer et stationner librement, elles se mettent à prendre racine et élargissent leur implantation. Leurs occupants s’attachent à un terrain d’où ils s’élancent pour une randonnée pédestre ou une partie de pêche à la ligne. L’espace occupé par la caravane s’étend, souvent balisé par un barbecue (cette américanisation du braisier), symbole de la vie au grand air et équivalent de l’ancien feu de camp.

Il reste bien sûr les adeptes du vagabondage. Ils tiennent à circuler quand ils veulent, sans être tributaires de rien ni de personne. Ils veulent jouir d’un coucher de soleil le soir en s’installant, et savourer la vue sur la mer à l’instant du réveil. Ces fervents de l’aventure ne tarderont pas à se rallier au camping-car. Pour ceux qui ont moins de moyens, celui-ci peut germer d’un ancien véhicule utilitaire bricolé, à l’image des « combis » qui apparaissent dans les années 70. De jeunes couples sans trop d’enfants décident de partir sur un coup de cœur. Tous partagent ainsi le plaisir des temporalités bricolées, à l’opposé d’un temps mesuré, et sont amateurs d’un loisir à géométrie variable.

Un temps raccourci pour tous...

Cependant, l’histoire du tourisme automobile illustre l’une de ces révolutions qui, en bouleversant les usages d’un moyen de transport personnel ou familial, altère la « valeur temps ». Pendant des décennies, conduire une voiture constitue un plaisir que l’on s’offre ; ce loisir entre dans l’histoire de la vitesse. Aussi longtemps qu’aucune uniformité des infrastructures routières ne permettait de comparer le temps des voyages, il existait une part considérable d’aléatoire pour qui voulait évaluer la durée du déplacement. Un événement fortuit pouvait retarder de plusieurs heures ou de plusieurs jours la réalisation d’un voyage, sans provoquer de contrariétés insurmontables. Selon l’expression d’Alain Corbin, le temps restait « poreux ».

Mais l’aménagement routier codifie la circulation : on n’imagine plus de voyager sans distinguer les routes nationales des départementales, ainsi que les chemins de grande communication et d’intérêt commun. En régularisant la vitesse des déplacements et en aménageant les itinéraires, ces progrès techniques touchent aux valeurs fondamentales de la temporalité. Les équipements homologués et les usages conformes à un règlement déclenchent en effet chez les conducteurs le sentiment d’intérêts partagés et de références communes. Pour maîtriser la durée d’un trajet, pour le programmer, les conditions sont réunies afin que s’impose un temps linéaire, qui se prête à la mesure et à la comparaison.

Quelques décennies plus tard, les aménagements autoroutiers amorcent une nouvelle phase dans cette histoire de la circulation automobile. Dès la fin des années 50, alors que Renault vient de donner le départ d’une production en chaîne en lançant sur le marché à des prix plancher la mythique « quatre-chevaux », l’usage de l’autoroute accélère par ailleurs l’accroissement de la circulation automobile. Lors des départs en congé, elle devient un rite de passage entre deux mondes, celui du quotidien et celui des vacances. A une France urbaine que structuraient des axes routiers de rayonnement, elle substitue peu à peu une France des régions qui s’articulent sur le squelette autoroutier. Colonne vertébrale qui relie le lieu du travail et celui du loisir, elle connecte deux lieux de vie annuels, celui des occupations habituelles et un autre, où démarrent les loisirs de vacances.

L’autoroute concrétise cette tendance qui inaugure le temps raccourci d’un long déplacement, évalué non plus en kilomètres parcourus, mais en durées pour gagner une destination. Le consensus massif autour de la temporalité horaire sert de principe pour évaluer la distance qui sépare un lieu d’un autre. L’évaluation du temps prend le pas sur le décompte des villes traversées. Le voyage n’est plus que durée abstraite.

Et si, pendant de nombreuses décennies, les Français ont pu continuer à prendre leurs congés le même jour, si ce n’est à la même heure, c’est que l’autoroute a réduit leur masse en unités de flux de circulation. Elle a permis la décomposition de cette masse en unités de temps de passage. Cependant, les rythmes collectifs devenus prépondérants ont touché autant la production que le loisir, le temps du travail que le temps libre, la vie publique que les existences privées. Cette masse qui partage les mêmes rythmes temporels a défini une unité sociétale.

... mais aussi fugitif et personnel

L’histoire récente des guides de voyage offre un autre exemple. Ces ouvrages se sont multipliés à l’image des autres produits touristiques. Le choix d’un guide dépend désormais d’un style de vacances personnalisé. Certains éditeurs privilégient les propositions « culturelles » : musées, églises, châteaux, etc. Ils signalent jours, horaires et prix de visites. Ceux qui misent sur l’aspect pratique vont des conseils d’achat d’objets « authentiques » aux indications sur les moyens « futés » de transport, d’hébergement et de restauration. L’aventure renouvelle le quotidien : chaque boisson, chaque aliment, chaque passe-temps prend du sens ; ils illustrent un style personnel qui au retour nourrira un récit. Une exigence d’authenticité qui tranche avec le tourisme de masse.

La perception physique des odeurs et des saveurs, que les lieux et les habitudes dégagent, initie le voyageur à la découverte de soi. Il ne s’agit plus d’une simple excursion, liée à la connaissance de l’itinéraire ou de l’histoire, mais d’une incursion. La révélation de l’étrangeté et l’intimité du voyageur se confondent ; le voyage relève de la fusion. Le cliché, instantané des voyages, l’emporte sur le panorama ou la photo souvenir : plus que les monuments hiératiques qui tiennent la pose depuis des siècles, il saisit l’événement insolite, l’impression fugace. Les éclats de la lumière, le jeu des ombres et des contrastes attestent les qualités du cliché. Prendre une photo, c’est imprimer sur la pellicule sa propre sensibilité. Cette liberté donne priorité au souci de se laisser imprégner par l’authenticité des lieux et d’observer les mœurs du cru.

Les nouveaux guides ont ainsi innové en partant à la conquête de mondes inexplorés, en Amérique du Sud, Extrême-Orient et plus récemment en Afrique. Dans des contrées « à l’abri » des rythmes de la société industrielle, notre touriste découvre les frayeurs du risque contre lequel il est préservé l’année durant. La rupture avec les lieux, les paysages ou le temps de la civilisation crée de l’insolite et éveille le désir d’un cheminement intérieur. Cette randonnée touristique à la conquête d’une intimité valorise le corps, ses peurs primaires, précisément celles que l’industrie touristique va neutraliser. Le touriste se sent aventurier (guide en main).

L’excès d’individualité qui en résulte flatte une image de soi : elle propulse un touriste anonyme dans sa propre légende, parfois dans une ascèse. La peur, la faim, le sommeil sortent de l’état de pulsions pour devenir des appétits pleinement assumés et faire du tourisme autre chose qu’une visite chronométrée par étapes successives. Ces sensibilités personnelles sont à cultiver et non à maîtriser. L’épreuve corporelle radicalise le désir de sortir de soi-même, d’exister.

L’illusion n’est pas bien loin. Ces nouvelles formes du loisir semblent laisser une part plus vaste à l’initiative du sujet. On croit sortir du temps social et accéder à une temporalité à la fois plus personnalisée et plus créative. Cela ne caractérise-t-il pas de nouvelles manières de sortir du calendrier pour remplir les agendas ? Ne s’agit-il pas avant tout d’un art du présent, de tout ce qui vénère l’instant, d’une tentative de cultiver les passions liées à l’éphémère ?

La fin des temps solidaires ?

Récemment, ces différentes séquences du temps libre qui ponctuaient l’année, le mois, la semaine, la journée et qui avaient ordonné les différents types de loisirs se sont brouillées. Le congé annuel s’est scindé en deux ou trois séries de journées réparties sur le calendrier ; les fins de semaines sont devenues des congés avec les jours « qui restaient à prendre ». Avec la généralisation de la journée de travail continu, la soirée a grignoté l’après-midi. L’été, lorsque l’horaire officiel des pendules et des horloges a été avancé en 1976, la durée du loisir en fin de journée s’est allongée pour un plus grand nombre de Français. Analyser les processus d’individualisation induits par la déréglementation des horaires, puis par la réduction du temps de travail devient dès lors indispensable. Les usages du temps libre, les manières collectives et individuelles d’occuper son temps, de prendre son temps, de revendiquer ce temps afin de se l’approprier, constituent la substance même des loisirs contemporains.

Ces oppositions ne signent pas la fin du tourisme de masse, mais la fin des temps solidaires. Après le temps collectif de la montre, et après en avoir terminé avec les impératifs du calendrier, on se met au rythme de l’agenda et des durées personnalisées. Petit à petit, le temps libre apparaît comme un temps « gagné » sur les contraintes sociales, un temps de la distraction ou du divertissement. Dans des unités de temps segmentées, la quantité « due » par un prestataire, la sélection d’un « créneau » horaire ou la détermination d’une « plage » de temps disponible ont engendré de nouvelles attentes, au moins autant qu’elles ont répondu à une demande de loisir croissante. Cependant, les usages ont changé les connotations du vocabulaire.

Slogan majeur des nouvelles modes, la disponibilité au désir ouvre une brèche sur la construction de l’identité, le sentiment de la libre décision. Même s’il apparaît illusoire « d’oublier » le temps social pour créer le sien propre, même si le partage privé/public est devenu quasiment une règle de savoir vivre, ces formes de loisir valorisent un rapport inédit à soi-même, via la nature. Choisir de pratiquer un loisir quand on le veut et comme on le veut devient le signe d’une plus grande sensibilité à soi.

Cette intériorisation du temps libéré fait aussi apparaître la contradiction d’une société qui pendant plus d’un siècle a survalorisé le plein-emploi et qui aujourd’hui surestime la valeur du loisir dans la construction de la personne. Sous l’effet de la déréglementation propre aux années 80, puis des lois sur la RTT en 2001, chaque interruption de travail offre à l’individu la possibilité de choisir son style de disponibilité. En apparence tout au moins. La flexibilité des emplois du temps a ouvert la voie à des aménagements différenciés du temps libre. Ce « temps à soi » perce de plus en plus de « trous » dans le temps professionnel. Dans ce défi, inventer un style de vie à soi paraît essentiel pour qui veut échapper au « temps contraint ». Sans ce détachement, une personne serait privée de sa personnalité, c’est-à-dire de sa qualité de sujet. Avec cet avènement des durées individualisées, on peut éventuellement parler d’un « crépuscule » des temps solidaires.

André Rauch


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