Do not follow this hidden link or you will be blocked from this website !
Logo du site

La Revue Projet, c'est...

Une revue bimestrielle, exigeante et accessible, au croisement entre le monde de la recherche et les associations de terrain.

Dossier : Camps pour migrants, urgence et suspicion

Ouverture : Camps pour migrants, urgence et suspicion


Les lieux où l’on regroupe les migrants, au moment de l’accueil comme lorsqu’il s’agit de les renvoyer, sont les héritiers d’une tradition de traitement de l’urgence, celle des camps organisés pour faire face à l’afflux de populations bousculées par des circonstances dramatiques – politiques, militaires, économiques. Les camps de réfugiés sont une première réponse, malheureusement souvent dans la durée, qui offre à des hommes et des femmes de « se poser » quelque part, qui leur permet de se retrouver et peut-être de se réintégrer. Mais ils sont devenus des zones de contrôle, pour empêcher toute dispersion, qui n’ouvrent guère sur la recherche d’une réintégration, où qu’elle soit.

Car on reste dans l’urgence, comme premier réflexe devant ce qui est vu comme un afflux, comme un risque. L’urgence qui s’impose lors de drames bouleversant trop de pays, mais l’urgence (celle de la crainte et de la prévention) qui filtre et biaise le regard porté sur des flux migratoires, qui ne sont pas tous des phénomènes exceptionnels, mais la réalité d’une mobilité aux enjeux entremêlés : enjeux culturels, sociaux, démographiques, symboliques, apparents ou masqués, enjeux intellectuels (sur le plan de la connaissance et de la réflexion éthique). L’urgence pèse sur les migrants : le traitement de leur demande en zone d’attente est parfois sommaire, ceux qui sont sous le coup d’un arrêt d’expulsion n’ont qu’un très bref délai pour faire appel... C’est une nouvelle rupture, brutale, sur un chemin déjà bien chaotique.

Au-delà de l’urgence, ce dossier nous interroge sur la figure à donner à cette mobilité. Cela ne veut pas dire que l’on peut contourner la question de l’accueil – ses difficultés et ses règles. Mais c’est essayer de ne pas en rester aux moyens négatifs (les camps comme barrières) et de travailler sur la structuration de ces circularités.

Les « camps » français, qui retiennent cette circulation dans des zones d’attente ou des centres de rétention, comme les véritables camps dressés par l’Europe sur ses flancs Est et Sud – quand elle ne cherche pas à sous-traiter leur gestion à des pays de transit, sont devenus les signes d’une suspicion. Ils sont d’abord les outils d’une politique migratoire, d’une volonté politique (illusoire ?) de contrôle. Ils sont nécessaires peut-être, dans ce rôle d’affichage de limites et de gestion administrative des entrées, mais comment sont-ils aussi les lieux d’une négociation possible entre les sociétés et des personnes dont les parcours se rencontrent et peuvent s’enrichir ?

Or tout est fait comme si les camps réveillaient la peur et la mauvaise conscience et qu’il fallait cacher la réalité, mais en même temps du coup les enjeux de ces migrations. On souhaite donc les rendre moins visibles. Sangatte était trop visible. On a préféré qu’il se disperse dans des regroupements inorganisés à l’entour de Calais. Et la question posée par tous ces parcours bloqués n’a pas été résolue.

En France, le dialogue qu’offrait la Cimade, comme représentant de la société civile, pour aider ceux qui sont menacés d’expulsion à négocier éventuellement leur projet – est-il réalisable, est-il déjà inscrit dans une histoire avec d’autres ici ? – est considéré comme une interférence trop bruyante. La société civile pourrait, à travers ce dialogue, mieux mesurer les questions d’un avenir partagé entre Nord et Sud. Le gouvernement souhaite des interlocuteurs plus discrets, assurant aux déboutés l’information minimale plutôt qu’un quasi-partenariat dans la recherche d’une issue – quelle qu’elle soit. Et le renvoi le plus loin possible des filtres à l’entrée de l’Europe, dans des conditions moins soumises aux regards, dans des lieux dé-territorialisés, conforte encore cette barrière du soupçon plus qu’elle ne prépare une éventuelle intégration.

Les mots employés peuvent masquer aussi la réalité. Les étrangers sont « retenus » ! Mais si nous retenons, volontiers, un visiteur, en le pressant de ne pas s’en aller de suite…, ici, retenir, c’est empêcher, c’est garder le contrôle sur une personne suspecte. Retenir c’est détenir. Des étrangers sont en passe d’être « reconduits » à la frontière ? Nous reconduisons, poliment, quelqu’un de passage en l’accompagnant à son départ jusqu’au seuil de la maison. Ici, reconduire, c’est expulser, souvent très fermement 1. Ils sont mis « en attente » ! L’attente, d’ordinaire, est le temps où se creuse un espoir qui se nourrit de toute une préparation. Ici, elle est plutôt un tunnel d’incertitudes, d’incompréhension parfois.

Car, au fond, ils sont d’abord qualifiés d’ « irréguliers », considérés comme des tricheurs, des fraudeurs. Leurs itinéraires ne sont pas très clairs. Mais pour que leur histoire se clarifie, on ne leur laisse pas toujours le loisir d’en expliquer les ombres et les erreurs, pour l’orienter le mieux possible vers une issue acceptable.

« L’approche globale » des migrations, dont parle l’Europe, signifie-t-elle une véritable coopération accompagnant les parcours d’aujourd’hui ? Ne se traduit-elle pas trop souvent dans l’urgence de dresser des frontières (l’agence de surveillance Frontex ou la création d’équipes d’intervention rapide « Rabit » 2!) et dans le soupçon d’irresponsabilité renvoyé aux pays du Sud pour les engager à participer au contrôle ?



J'achète Le numéro !
Dossier : Des camps pour les migrants
Je m'abonne dès 3.90 € / mois
Abonnez vous pour avoir accès au numéro
Les plus lus

Les Marocains dans le monde

En ce qui concerne les Marocains, peut-on parler de diaspora ?On assiste à une mondialisation de plus en plus importante de la migration marocaine. On compte plus de 1,8 million de Marocains inscrits dans des consulats à l’étranger. Ils résident tout d’abord dans les pays autrefois liés avec le Maroc par des accords de main-d’œuvre (la France, la Belgique, les Pays-Bas), mais désormais aussi, dans les pays pétroliers, dans les nouveaux pays d’immigration de la façade méditerranéenne (Italie et ...

L’homme et Dieu face à la violence dans la Bible

Faut-il expurger la Bible ou y lire l'histoire d'une Alliance qui ne passe pas à côté de la violence des hommes ? Les chrétiens sont souvent gênés par les pages violentes des deux Testaments de la Bible. Regardons la Bible telle qu’elle est : un livre à l’image de la vie, plein de contradictions et d’inconséquences, d’avancées et de reflux, plein de violence aussi, qui semble prendre un malin plaisir à multiplier les images de Dieu, sans craindre de le mêler à la violence des...

Le clerc en sursis ?

La plupart des confessions religieuses excluent les femmes des charges sacerdotales. Pour combien de temps ? Patriarcale au superlatif, l’Église catholique voit son modèle vaciller. Le patriarcat demeure la règle dans le monde religieux. Dans des contextes très différents, les trois monothéismes le pratiquent. Tous invisibilisent les femmes, contrôlent leur corps et les tiennent éloignées de la sphère publique. Circonstance aggravante, ce bastion bien défendu l’est par...

Du même dossier

Externaliser pour contourner le droit

Resumé On parle de « dimension externe », européenne ou globale, des questions d’asile ou d’immigration. Une vraie solidarité ou une forme de sous-traitance ? Même avec un bon guide, on serait bien en peine de retrouver une rubrique externalisation dans le maquis des textes, communications, projets de la Commission et des institutions européennes. Il est d’ailleurs à noter que les projets que désigne ce terme sont bien souvent nés en d’autres lieux que les instances européennes (HCR, gouvernemen...

Se perdre sur un rocher

Resumé Dans ces deux pays, la récession survient après des changements politiques qui ont traduit une rupture avec le compromis social antérieur. Quel sera l’impact de la crise sur le processus de réformes ? Il n’est pas toujours facile de localiser Malte sur une mappemonde : si le nom y figure, pour distinguer les côtes, il faut une bonne loupe. L’île, située au milieu de la mer Méditerranée, à une centaine de kilomètres au sud des côtes siciliennes, se trouve sur la route migratoire partant de...

La politique de l'immigration au piège des symboles

Resumé La régulation du système financier international est une question vitale. Opérateurs financiers, marché des produits dérivés, système des taux de changes sont concernés. Pour décrypter le débat sur les moyens de la politique d’immigration, il faut essayer de regarder les choses de loin, pour avoir une vue d’ensemble. On s’aperçoit alors que ce débat sur les outils et, plus largement, sur les enjeux des migrations en France se trouve pris en tenaille entre les deux grands récits mythiques ...

Du même auteur

Mémoire vive d'une zone industrielle

Jean-Jacques Clément habite La Plaine, à Saint-Denis, un ancien secteur industriel en pleine métamorphose. Pour veiller à la mémoire de son quartier, il a choisi de le raconter. La rédaction de la Revue Projet se situe à La Plaine Saint-Denis. Vous êtes sans doute l’un des personnages que l’on croise le plus souvent dans le quartier…Je suis à La Plaine depuis l’an 2000. Et effectivement, je suis devenu un personnage un peu, parce que je circule beaucoup. C’est ...

Entendre la parole des victimes

Les victimes ont brisé le silence. Mais les écoutons-nous vraiment ? Au-delà de la plainte, c’est à un dialogue qu’elles nous invitent, pour renouer les liens que le traumatisme a rompus. Longtemps les victimes n’avaient pas la parole. On ne cherchait pas à les entendre ou elles ne parvenaient pas à s’exprimer. « Hosties » fut, en français, le premier mot pour les désigner : créatures offertes au destin, elles étaient silencieuses. Celui qui avait la parole, c’était le héros qui rétablissait la ...

Autonomie et solidarité

Autonomie, dépendance? Deux mots, à l’opposé l’un de l’autre, pour parler des enjeux autour de la vulnérabilité des personnes âgées! « Autonomie » parle de la dignité des personnes, « dépendance » de solidarité reconnue, acceptée. Les deux mots ne sont pas sans ambiguïté : l’autonomie comme exigence, où la vulnérabilité et les frustrations sont vécues comme un échec; la dépendance comme passivité et infantilisation…Notre espérance de vie à tous s’est heureusement allongée. Un temps libre pour s...

1 / L’ambivalence des termes a été soulignée lors d’une intervention « La rétention, refus de l’intégration ? », dans une recontre animée par JRS France (cf. son site)

2 / Rapid border intervention teams – équipes dépêchées dans des États confrontés à des pressions particulières.


Vous devez être connecté pour commenter cet article
Aucun commentaire, soyez le premier à réagir !
* Champs requis
Séparé les destinataires par des points virgules