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Dossier : Exporter la démocratie

Slovaquie, jeune démocratie


Resumé Le choix d’une jeune démocratie vers l’Union européenne, malgré les tentations populistes.

En janvier 1959, Robert Schuman, s’adressant à trois jeunes élus au Parlement européen de Strasbourg, leur assurait que la chute des régimes communistes à l’Est du continent serait une réalité avant la fin du siècle. Lui-même ne la verrait peut-être pas, mais eux certainement. Ils furent davantage perturbés qu’encouragés par ce pronostic. L’Union soviétique était alors au sommet de sa domination ! Participant comme étudiant aux manifestations de novembre 1989 qui ont été à l’origine de la chute du régime communiste en Tchécoslovaquie, j’ignorais tout de Robert Schuman et de sa prédiction. Mais je suis heureux de le reconnaître aujourd’hui : « Grâce à Dieu, son annonce s’est avérée juste ! »

Je ne savais pas non plus en 1989 que les années qui allaient suivre ne seraient pas moins turbulentes que les événements de novembre eux-mêmes. L’appel presque unanime en faveur de la liberté a pris une ampleur et des voies inattendues, au point de donner naissance à des visions divergentes pour l’obtention de celle-ci. La démocratie s’installant, la volonté d’une indépendance nationale s’est largement répandue (mais accompagnée très vite par la peur que la jeune Slovaquie ne soit pas assez solide pour dépasser les conséquences de l’héritage communiste). Finalement, le processus engagé ne pouvait pas être arrêté et, après trois ans de négociations, la Fédération tchécoslovaque se scindait pacifiquement en deux États indépendants.

La République slovaque, une des démocraties les plus jeunes du monde, naissait le 1er janvier 1993. Je suis convaincu que l’Union européenne a joué un rôle significatif dans le développement de cette démocratie, de plusieurs manières. La construction de structures démocratiques à l’intérieur du pays était d’emblée mise au défi de l’ouverture, de la nécessité de communiquer, et de partager notre existence politique, économique et culturelle dans un contexte international. Pour s’orienter vers l’avenir, l’Union, avec ses valeurs de solidarité et de coopération pacifique, représentait un bon choix. Dès lors, le processus d’adhésion est devenu un enjeu essentiel. La situation n’était pas cependant sans ambiguïté. La route vers l’Union européenne s’est révélée plus turbulente que celle de nos voisins, la République tchèque, la Hongrie et la Pologne (trois pays associés à la Slovaquie au sein du groupe de Visegrad.)

Débuts institutionnels mouvementés

La période la plus problématique fut celle de 1994 à 1998. La politique menée par le troisième gouvernement de Slovaquie, sous la responsabilité de Vladimir Meciar, vainqueur aux élections de 1994, avait conduit à notre exclusion du processus d’intégration. Cette politique avait également fortement polarisé la société. L’attitude du HZDS – le parti de Meciar – rendait impossible toute coalition.

En raison de leurs conséquences, les élections de septembre 1998 au Parlement ont été décisives. L’opinion, dans la communauté internationale mais aussi à l’intérieur de la société slovaque, faisait dépendre l’avenir de notre démocratie de leurs résultats. Parmi d’autres facteurs, les Ong ont joué un rôle essentiel pour encourager l’information et la participation. Celle-ci atteignit le score de 84 %. Avec un nouveau premier ministre, Mikulas Dzurinda, quatre partis, de gauche et de droite, ont scellé une coalition dont l’orientation était fortement marquée en faveur de l’intégration européenne. Elle succédait à la coalition précédente plus nationaliste.

La Constitution fut modifiée, avec l’instauration de l’élection du Président au suffrage universel. V. Meciar, candidat à la présidence lors de ces premières élections directes, en mai 1999, ne parvint pas à l’emporter.  Le gouvernement de Mikulas Dzurinda a consenti d’importants efforts pour faire progresser la négociation avec l’Union européenne et avec l’Otan durant son premier mandat, de 1998 à 2002. La décision cruciale de la candidature de la Slovaquie ne sera prise cependant qu’après les élections parlementaires de septembre 2002. Mais un nouveau partenaire avait fait son entrée sur la scène politique en 2002, le parti de gauche populiste Smer, dirigé par Robert Fico. Celui-ci remplaçait de facto le SDL, un parti de gauche critiqué pour sa participation à un gouvernement orienté à droite de Mikulas Dzurinda. L’éventualité d’une alliance entre le Smer et Meciar pour former un gouvernement et le risque d’une remise en cause du processus d’intégration européenne a été au cœur de la campagne. Un autre facteur décisif tint aux divisions du parti nationaliste SNS. La bataille pour le leadership du parti avant les élections provoqua une scission, et finalement aucune des deux factions ne put obtenir le pourcentage de voix pour compter des élus au Parlement.

Les élections furent gagnées par le Parti slovaque démocratique et l’Union chrétienne de M. Dzurinda. Ce dernier put former un second gouvernement, à la tête d’une coalition de quatre partis de centre-droit et avec un programme pour poursuivre ses réformes et mener à son terme l’ancrage dans l’Europe.

L’opinion y était favorable et l’ensemble des sept partis politiques se prononça, en mai 2003, pour un vote favorable lors du référendum d’accession à l’Union européenne. Le score atteint par le « oui » en Slovaquie fut le plus haut de toute l’Union européenne. La participation cependant avait tout juste dépassé le taux des 50 % requis pour que le référendum soit valide.

Aussi bien, quand il s’est agi d’élire des représentants au Parlement européen, la participation fut particulièrement faible, 17 %. Ce phénomène, que l’on retrouve d’ailleurs dans tous les autres anciens pays communistes membres de l’Union, s’explique peut-être par la complexité et la distance des politiques européennes. Quoi qu’il en soit, ces élections européennes témoignèrent d’une certaine stabilité : les 14 sièges furent attribués à cinq des partis présents au Parlement national. Il n’y eut pas d’élus communistes, ni nationalistes, ni d’eurosceptiques extrêmes.

Il faut rappeler ici plusieurs éléments qui ont marqué l’histoire politique des années 2002-2006. La focalisation de la droite au pouvoir sur le processus d’accession et sur les réformes économiques, rencontrait une large approbation dans les instances internationales. Elle a contribué à attirer en Slovaquie les investissements étrangers. Mais elle laissait les questions sociales de côté et les conséquences de certaines des politiques menées furent douloureuses, particulièrement à l’est du pays. Dès lors, les problématiques sociales se sont trouvées au premier rang de l’agenda politique du parti de gauche nationaliste. Les élections de 2006 ont conduit au pouvoir le leader du Smer, Robert Fico. Celui-ci gouverne toujours à la tête d’une coalition qui regroupe aussi le parti nationaliste, le parti national slovaque SNS et le Mouvement pour une Slovaquie démocratique (HZDS) de Vladimir Meciar. L’alliance nouée avec des courants très nationalistes a provoqué la suspension du Smer comme membre du Parti socialiste européen. Cette décision doit être réexaminée en juin 2007.

Populisme de gauche

La nouvelle politique menée par le gouvernement Fico rencontre de vives critiques au Parlement, en raison des tendances à réduire l’influence des Ong indépendantes et des autres organisations de la société civile, pour renforcer le rôle de l’État. Ces critiques concernent aussi les orientations d’une politique étrangère qui donne la priorité aux objectifs économiques dans les relations avec les régimes non démocratiques en négligeant la question des droits de l’homme.

Des commentateurs politiques, comme Jacques Rupnik, soulignent les éléments communs dans la montée d’un populisme à l’est de l’Union européenne, qu’il s’agisse d’un populisme de droite, comme en Pologne, ou de gauche comme en Slovaquie.

Le constat le plus inquiétant est celui d’une « érosion de la confiance dans les institutions démocratiques » quand les citoyens ont l’impression que leur opinion n’a pas d’importance. Mais ce repli est aussi lié à un phénomène que l’on pourrait interpréter comme une forme de fatigue. La durée, et le caractère parfois problématique de la marche vers l’Union, comme ce fut le cas pour la Slovaquie, peuvent l’expliquer. Après huit ans de réformes, huit ans d’approfondissement de la démocratie et de ses institutions, grâce au développement d’une culture politique de tolérance, cet objectif devrait finalement être atteint durablement. Or, pour une part importante de la société, il y a maintenant d’autres priorités, auxquelles il faut donner attention, en particulier les questions sociales. On risque d’oublier que la démocratie ne fonctionne qu’avec la participation active de ses citoyens. La nature de la démocratie montre que ce système n’est jamais enraciné une fois pour toutes et demande toujours une responsabilité active de la part des citoyens. Je pense que ce phénomène de fatigue est pour une part temporaire : de nouveaux défis se présentent, qui appellent à le dépasser.

Dans ce cadre, on peut observer une polarisation accrue de la scène politique mais aussi dans la société. Cette polarisation est en partie un héritage du passé communiste, où les opposants étaient toujours vus comme des ennemis, non comme des partenaires éventuels de dialogue. La forte polarisation des rapports politiques s’exprime régulièrement par vagues successives. Son niveau actuel est sans doute plus faible qu’au milieu des années 90. Elle requiert d’autant plus une intensification du dialogue avec l’Union européenne pour que la Slovaquie y soit mieux entendue. Les dernières huit années de politique économique libérale ont vu la mise en place de nouveaux instruments financiers comme l’impôt à taux unique, d’une législation en faveur d’une plus grande flexibilité du marché du travail, d’une réforme du système de soins, etc. Ces réformes ont pu attirer les investisseurs (dans l’industrie automobile par exemple). Mais dans certaines régions, en raison du taux de chômage et de l’insuffisance des infrastructures, les réformes ont eu un impact très faible sinon négatif. Il est paradoxal de voir qu’en Pologne, ce sont les partis de gauche qui ont promu des réformes économiques libérales, quand en Slovaquie, c’était la coalition de droite. Et que lors des dernières élections, ce fut la droite qui a mis l’accent sur les questions sociales en Pologne, et la gauche en Slovaquie… Mais dans les deux cas, les nouveaux programmes ont été accompagnés par une montée du nationalisme et du protectionnisme,  avec un espace plus grand ouvert aux tendances xénophobes.

Dépasser l’euroscepticisme

Depuis les dernières élections, la Slovaquie s’en tient à une approche plutôt vague face aux enjeux de la construction européenne. Une fois atteint l’objectif de rejoindre celle-ci, le soutien accordé à une coalition jugée trop européenne s’est peu à peu affaibli. Cet affaiblissement n’a pas été soudain comme en Pologne, dans la République tchèque ou en Hongrie, où il est apparu presque immédiatement après l’adhésion. Mais il est vrai qu’on observe une présence nationaliste, fortement eurosceptique, dans la région. L’Union européenne est dès lors une cible facile, face à laquelle il est tentant de mettre l’accent sur les spécificités de son identité. Pourtant la construction patiente de cet espace commun, désormais constitué de 27 pays, nourrit des relations mutuelles de tolérance et de coopération, qui doivent permettre de dépasser la xénophobie et les tendances nationalistes. Cette alchimie se réalisera pour l’ensemble de l’Union mais aussi pour chaque pays. La Slovaquie en est, à mes yeux, un bon exemple durant son histoire démocratique, relativement courte, et avec l’héritage de son passé, qui n’était pas toujours positif, elle a pu définir une vision et des objectifs à atteindre et ainsi démontrer sa vitalité.

Il faut regarder avec espoir vers les nouvelles générations, en Slovaquie comme en Europe. Elles ne sont pas autant influencées par le poids du passé. Les barrières, dressées autrefois physiquement à nos frontières, ont été supprimées. Pour les générations plus âgées, elles demeurent cependant, intériorisées. Les plus jeunes développeront beaucoup plus facilement des contacts et des amitiés à travers toute l’Europe.

Je voudrais revenir sur les idées des pères de l’Union. Leur vision de l’Europe dépassait largement les particularismes étroits de toutes sortes. Il est sans doute nécessaire d’y revenir de temps en temps. Dans son livre Pour l’Europe, Robert Schuman soulignait que l’Europe avait une mission à remplir à la fois à l’intérieur d’elle-même et à l’extérieur. Quand elle fut divisée, elle a exporté deux guerres mondiales, le fascisme, le communisme, et le colonialisme… Unie, au contraire, autour des principes de solidarité et d’humanisme, elle est un signe puissant pour les autres. Non seulement, pour ceux qui sont candidats à y entrer, mais aussi pour les États non-européens, qui portent les yeux avec espoir sur les succès d’une construction démocratique.

Dusan Bezak


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