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L’adoption de la loi « immigration » par le Sénat et le Parlement français, le 19 décembre 2023, a été vécue comme un séisme par l’équipe du Ceras et de la Revue Projet. Avec soixante associations regroupées dans le Pacte du pouvoir de vivre, elle a dénoncé ce vote qui « a fait sauter des digues républicaines majeures et tourne le dos aux valeurs de la République en s’appuyant sur les idées portées par l’extrême droite ».
Cette loi est « synonyme d’exclusion et d’atteinte aux droits notamment pour les personnes étrangères en situation régulière qui se voient discriminées dans l’accès à diverses prestations sociales, elle s’attaque au droit du sol, durcit l’accès au titre de séjour, change la logique de l’accueil d’étudiants étrangers, remet en cause l’inconditionnalité de l’accueil dans l’hébergement d’urgence… » (www.pactedupouvoirdevivre.fr).
Comment en sommes-nous arrivés là ? Alors que le Conseil constitutionnel rappelait, il y a cinq ans, que la fraternité n’était pas un simple corollaire de l’identité française, mais une de ses composantes fondamentales (décision n° 2018-717/718 QPC du 6 juillet 2018) ?
Je n’ai ni lumière, ni révélation particulière. La topologie, science du voisinage, m’aide pourtant à relier cet évènement à tous ceux qui minent notre actualité et alimentent la litanie des « comment ? » : la guerre à Gaza, celle en Ukraine ou les atermoiements gouvernementaux à la COP28. « Not in my backyard ! » (Nimby) disent les Anglais.
Voilà bien une acception populaire de ce qu’est un voisinage. Un homme courbé ne peut voir au loin, il ne peut rêver au-delà de son arrière-cour. On le constate lorsqu’une tempête éclate : chacun fait le gros dos, se calfeutre chez soi et ferme portes et fenêtres. Et celui ou celle qui n’aura pas pu trouver abri sera considéré comme un triste dommage collatéral le lendemain. « Collatéral » : le mot dit bien cette frontière entre le chez-moi et l’ailleurs.
Le lointain se rapproche, fût-il migrant, dérèglement climatique ou bruit des canons. Notre pré carré semble être en danger. Certains aimeraient croire à l’efficacité du Nimby, mais quel est le réel pouvoir de celui qui voit son rez-de-chaussée être inondé, ses champs se dessécher, ses poumons se « covider » ou son pays se « trumpiser » ? Que deviendrons-nous lorsque nous ne serons plus que des victimes collatérales aux yeux d’ailleurs ?
Je pense que nous resterons ce que nous avons toujours été, des communautés résilientes forcées par le destin à s’entraider, comme après un tremblement de terre. En temps de tempête, il faut se préparer à l’après. Il faut redresser l’échine, réapprendre la posture droite, celle du rêveur cherchant la planète du Petit Prince, tout en s’enracinant solidement dans son jardin.
La Méditerranée, notre arrière-jardin, est la terre de l’olivier, arbre multicentenaire offrant huile et ombrage bienfaisants, symbole de résilience et de paix. Mettons-nous à son école.