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Ils sont 600 000 migrants bloqués en Libye, estime-t-on, pas seulement subsahariens, qui vivent dans des conditions infernales et risquent tout pour en sortir. Les chiffres engendrent la peur – non pas que les exilés meurent lors des passages, mais qu’ils arrivent à passer et que nous devions en assumer les suites.
Le contrôle des frontières, souci majeur de la politique migratoire, crée un rapport de force nécessairement violent : que c’est un refus d’entendre la dynamique vitale puissante qui habite le déplacement des migrants et des exilés. Résultat : depuis 2014, passer la frontière de la Méditerranée a coûté la vie à plus de 27 000 exilés. « Contenir » la pression migratoire, stopper à tout prix la dynamique de l’exil ne s’embarrasse pas des conséquences tragiques qui s’ensuivent.
On pourrait croire que sauver des vies humaines, des hommes, des femmes, des jeunes (30 % des déplacés) constitue un devoir universellement reconnu. Le principe est ignoré, biaisé par les débats incessants et les manœuvres de tout genre autour des sauvetages en Méditerranée. On tergiverse pour sauver des vies, parce que l’on sait bien que sauver une vie n’est pas la fin, mais bien le commencement d’un long parcours qui se déclinera en accueil, protection, accompagnement et intégration.
L’intégration ne suppose pas seulement que l’exilé « fasse des efforts » pour s’adapter.
Sauver une vie, une fois la mort évitée, c’est le temps et le soin pour une reconstruction, après les périls et les souffrances du déplacement qui peuvent avoir ébranlé durement quelqu’un. La société est tout entière impliquée. Chacune selon son mode propre et selon la conscience qui l’anime : que de différences entre le Danemark (donné en exemple par les politiques !), l’Allemagne (« nous y arriverons »), l’Italie, la France…
L’intégration ne suppose pas seulement que l’exilé « fasse des efforts » pour s’adapter et construire une nouvelle vie selon des canons qu’il ne connaît pas bien, mais aussi que la société possède une dynamique qui la caractérise comme société « intégrante ».
Le rapport Tuot de 2013 sur la refondation des politiques d’intégration plaidait « pour une société inclusive ». L’intégration est ce processus au cours duquel l’origine réelle ou supposée d’une personne n’est plus la raison des difficultés sociales qu’elle doit affronter – qui sont de fait communes à tous les habitants du pays (logement, école, etc.). Pour construire une telle société, le rapport Taché (2018) préconise 72 mesures concrètes afin d’éviter les ruptures dans le parcours d’intégration.
L’intégration n’est pas un parcours d’obstacles pour exilés. Elle est la dynamique d’une société envers celles et ceux qui n’ont pas de place dans le monde – migrants, mais aussi SDF ou personnes porteuses de handicap.
Aurélien Taché et Thierry Tuot, au niveau de l’État, et bien d’autres au niveau local, dans les villes et les associations, connaissent cette joie que procure la dynamique d’intégration et d’être partie prenante d’une société intégrante. Pourquoi laisser la peur et le deuil nous en priver ?