Une revue bimestrielle, exigeante et accessible, au croisement entre le monde de la recherche et les associations de terrain.
Dans une période qui risque de nous laisser pantois, il existe des réflexions qui ouvrent de nouvelles perspectives. Après « où atterir ? », le philosophe et sociologue Bruno Latour se demande « où suis-je ? ». On a comme l’impression de se retrouver dans une classe de rattrapage, en présence d’élèves en difficulté qui espèrent revenir aussi vite que possible au « monde d’avant ». Mais le maître se livre à une leçon de métaphysique. Et, en bon pédagogue, plutôt que d’asséner des connaissances, il invite à entrer dans un apprentissage : celui d’une description commune du monde, afin de comprendre ce à quoi nous tenons et pour mieux définir les lignes de conflit. Bruno Latour poursuit ainsi une révolution des idées, du temps et de l’espace pour nous encourager à devenir « terrestres ».
Où suis-je ?, essai à mi-chemin entre le conte et le manifeste, arrive à point nommé, alors que nous étouffons derrière nos masques et l’absence de visibilité. Surtout, il est un passage de relais à une nouvelle génération d’intellectuels en France. Parmi leurs horizons communs : sortir de l’impasse productiviste, repenser notre rapport au vivant, dépasser le dualisme entre nature et culture... Ces nouveaux penseurs pragmatiques s’accordent avec la perspective du « fait social total » de Marcel Mauss pour saisir l’homme dans sa complétude. Ils se connaissent, se stimulent et se critiquent. On les retrouve fréquemment dans les médias et sur les réseaux sociaux. Beaucoup, toutefois, ont fait le choix de vivre au vert, et parfois de s’engager dans la sphère publique. Le philosophe et pisteur Baptiste Morizot vit dans la Drôme et se mobilise au sein du projet « Vercors vie sauvage ». Il défend l’idée de politiser l’émerveillement pour en faire le vecteur de luttes concrètes. Nastassja Martin, anthropologue spécialiste des populations subarctiques en Alaska, s’est installée en Isère et a rejoint le collectif citoyen « La Grave autrement ». Elle plaide pour une nouvelle écologie des relations et renoue avec la puissance du récit littéraire. Quant à la philosophe éco-féministe Émilie Hache, elle vit à Die et mène des projets théâtraux…
Cette vitalité ne se limite pas à ce courant engagé sur les pas de Bruno Latour et de Philippe Descola. On assiste au contraire à une effervescence de galaxies, qui ne va certes pas sans ambiguïtés et sur laquelle nous pourrons revenir en juin prochain dans le dossier « Ce que fait l’écologie à la politique ». Dans l’immédiat, nous avons le plaisir de vous proposer un reportage sur le projet Fleurs d’Halage. Ou comment, en actes, donner à l’écologie une visée politique, sociale et économique.