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Dossier : Famille cherche société

Filiation et devenir des enfants

©iNyar/Flickr/CC
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Resumé Quand les institutions disqualifient certains pères, certaines mères, c’est le lien de filiation et l’autorité parentale qui sont en danger. Juges, éducateurs, psychologues…, doivent travailler de concert avec les parents : tous sont responsables du devenir de l’enfant.

La différenciation entre famille et société est l’un des composants du politique que l’on devrait réactualiser, car elle est niée jusque dans certains textes de lois. Ainsi, le législateur parle du syndic des copropriétaires qui gérerait les biens immobiliers en « bon père de famille ». Qui assimile encore de nos jours un syndic à son père? Dans d’autres pays, l’idéologie postulant une équivalence entre le peuple et une « grande famille » a produit des formes de totalitarisme, dont la France n’est pas à l’abri. La distinction permet d’envisager des passages entre la famille et la société. Les deux interagissent pour « faire le monde » et transmettre d’une génération à l’autre les savoirs et les valeurs. La famille n’est plus une structure monolithique telle qu’elle fut construite par le pouvoir de l’État et de l’Église, dans laquelle le pater familias était à la fois le pouvoir intouchable dans l’espace privé et le seul représentant légal et politique sur la place publique. Trois mutations ont transformé cette figure : le changement de la symbolique de l’enfant et de son lien de filiation; le statut social de la femme et de la mère, qui contribue aux besoins des siens, dans le travail, dans la politique, etc., ce qui lui confère une nouvelle autorité dans l’espace privé; les configurations multiples dans l’alliance entre un homme et une femme. La famille est un paysage en mouvement, qui n’assure plus en soi le socle de référence voulu par l’État.

L’être humain ne va pas de soi. À partir de l’inscription de l’enfant dans la lignée des siens commence l’aventure : le devenir avec les autres, avec les altérités situées ailleurs que dans la famille. Ce sont les autres qui composent une société et font émerger le « nous » du politique. Par leur qualité de citoyens, les parents font partie de la société. La reconnaissance des autres qui confère un statut à la personne en dehors de son rôle de père et/ou de mère, est, pour ainsi dire, le pilier auquel s’adosse le parent dans l’éducation de ses enfants, notamment à l’adolescence. Les enfants découvrent que leurs parents sont des adultes reconnus, respectés par leurs pairs (bénévoles d’une association, professionnels, juges des enfants, voisins, etc.). La vie sociale des parents ouvre aux enfants une porte vers la société. L’enfant découvre le rapport à l’étranger à partir du même, c’est-à-dire de son réseau de parenté. La tragédie du devenir humain réside dans le fait que, pour être soi, l’enfant doit se différencier des siens. Porté par l’éducation, l’enfant doit aller vers l’inconnu, affronter la question de la connaissance de soi et de l’autre, les deux inséparablement.

Quand l’institution disqualifie les parents

L’enjeu du devenir se situe au-dehors du réseau de parenté, dans les institutions (collectivités territoriales, écoles, fondations, associations). La décision du juge pour enfants, par exemple, change le cours de vie des enfants1. Le parent se voit assigner et qualifier sa fonction devant une instance qui cumule autorité et pouvoir. Une mère de famille, K. P.2, nous écrit : « Je viens de rentrer de l’audience au tribunal : dans un premier temps, [la juge pour enfants] a vu les enfants un par un… Elle dit que je suis trop inquiète pour les orientations scolaires et que je ne devrais pas leur faire part de mes inquiétudes, que les éducateurs ont le droit de leur dire ce qui en est réellement, mais pas moi. Elle dit que je suis une mère qui aime ses enfants mais qui ne le montre pas et ça aussi, ça les perturbe beaucoup : d’après elle, je devrais être plus une mère câline et attentive. Mon rôle de mère en a pris un sacré coup (…). Elle m’a dit que je dois me mettre à prendre toutes les décisions pour mes fils et éventuellement d’en parler à l’éducatrice. »

Comment exercer l’autorité parentale, lorsque celle-ci est surplombée par l’autorité judiciaire qui lui assigne un statut d’incapable devant ses enfants? Combien de parents font recours de la décision du juge? Devant ses enfants, K. P. est acculée à une injonction paradoxale : on lui dit qu’elle doit gérer et prendre des décisions seule pour ses enfants et en même temps qu’elle est incapable de gérer les choses par elle-même. Cette double contrainte peut rendre fou3. Pour protéger l’enfant, on n’a pas le droit, en tant qu’autorité judiciaire ou service d’aide sociale, de traiter l’enfant en adulte en le situant au même niveau que ses parents pour aborder les difficultés de ces derniers.

La capacité et l’incapacité des personnes se bâtissent dans le cabinet du juge, dans les services de protection de l’enfant4, les associations, les écoles… Pour que l’homme puisse être capable, il faut déconstruire un système qui établit une équivalence entre « parent » et « danger » et glisse vers une logique pénale implicite, vidant de sens les droits et devoirs des parents. Sans la constitution d’une « chaîne de générosité » entre les parents et les autres instances d’autorité et d’éducation, le père et la mère sont de plus en plus écrasés sous le poids des dispositifs d’observation du danger et du risque. Dans l’innovation que propose l’association Artefa (Alternative de réflexion, travail, écriture, formation, animation), le devenir capable du parent est fondé sur l’expérience partagée entre au moins deux adultes : un adulte respecté établit la réciprocité avec le parent et veille à ce que les conditions soient favorables à l’exercice de l’autorité parentale. Il ne suffit pas de noter dans une ordonnance ou un courrier officiel que le parent détient cette autorité. Cela suppose de faire la critique des outils de diagnostic et des rituels de séparation qui dominent l’approche de la famille dans l’aide sociale à l’enfance (ASE). Mais quelle expérience est possible lorsque le parent habite à cinquante kilomètres du lieu de placement de son enfant, sans voiture, sans transports en commun? Qui se préoccupe d’encourager le parent, de l’accompagner pour que la rencontre avec ses enfants placés soit une fête, un événement inédit de leur histoire? La routine bureaucratique prend le pas sur l’innovation dont on a besoin pour assurer la création du vivre ensemble entre familles et institutions.

La filiation, un lien inestimable

Pour dépasser la confusion famille = société, partons d’un constat : dans la famille, il y a un être humain qui n’a pas le choix, l’enfant. Il ne choisit pas s’il veut mourir ou vivre, ni son nom, ni le lieu et la date de sa naissance. Il est « jeté » dans le monde. Le processus de filiation est un acte de reconnaissance, qui peut prendre aussi la forme d’une adoption. Mais une fois que l’adoption a eu lieu, la filiation ne devrait plus être affublée d’adjectif. Personne ne devrait s’autoriser à qualifier le lien de filiation, l’amour parental et ses expressions : cela relève du respect absolu de l’espace intime, de « l’élément le plus secret, le plus spontané, le plus insaisissable de la vie humaine »5.

C’est à partir du non-choix propre à la filiation que l’être humain commence son inscription dans le monde et la construction de la volonté, qui exige de chacun un cheminement éthique. Toute volonté rencontre la question du bien et du mal, du juste et de l’injuste, mais aussi l’involontaire, le « contre son gré », le « à son insu ». C’est à partir d’un non-choix ontologique (celui d’être né) que l’on doit construire des choix, tout en gardant à l’esprit que le lien de filiation qui traverse les parents et inscrit l’enfant dans le monde est une valeur en soi, indépendamment des comportements de tel père et/ou de telle mère. Ce lien vertical est pour la société une valeur à respecter; les institutions devraient se l’imposer. On respecte les parents pour affirmer que la vie de leur enfant est accueillie et inscrite dans la cité, au-delà de la famille.

Or ce lien est parfois réduit à une expérience d’une heure par mois, dans un bureau, au cours de cette nouvelle invention administrative : la « visite médiatisée ». Prenons le cas de Safira, adolescente de 15 ans, pleine de vie, d’une famille rom, qui demande son placement. Ses parents vivent dans plusieurs pays d’Europe. Elle a de nombreux amis dans le quartier de banlieue où habite une de ses tantes. Elle invoque la sévérité de sa mère qui lui interdit les sorties, les décolletés, le maquillage et le vernis à ongle. Le foyer se situant loin de son école, elle est déscolarisée. Le placement met fin aux rencontres avec sa mère, qui habite chez la tante. L’adolescente est informée qu’elle a le choix de revoir ou non sa mère et sa tante, et que le foyer refuse pour sa part tout contact avec la tante.

Un jour, la mère se présente au foyer. Le chef de service lui explique que Safira a besoin de se séparer d’elle, de se « stabiliser au foyer » et qu’elle n’a pas à venir sans rendez-vous. Les professionnels insistent sur la séparation mère-fille. Après plusieurs fugues, le foyer alerte la référente de l’aide sociale à l’enfance. Elle met des mots sur le lien de filiation mère-fille : sa mère est inquiète pour elle. À la troisième rencontre, la référente lui annonce que sa mère attend dans un autre bureau, qu’elle a besoin de la voir. Elle parle aussi en termes valorisants de la culture des Roms. Safira éclate en sanglots. Elle s’autorise à être dans la normalité d’une adolescente de 15 ans et à dire que sa famille lui manque et qu’elle est fière d’être Rom et de vivre en France. Mais après cinq minutes de retrouvailles chaleureuses, elles se disputent au sujet du maquillage de Safira. La référente leur demande alors de se regarder sans parler pendant deux minutes, puis elle leur explique qu’elles seront invitées à nouveau à se revoir avec elle. Au lieu de séparer, l’institution peut s’efforcer de créer des conditions nouvelles pour que parents et enfants puissent se parler et débattre, même si la différence de repères engendre des conflits. À chaque rencontre, le professionnel leur demande un temps de silence et de regard, puis leur propose d’envisager l’avenir pour Safira, utilisant l’humour et la bienveillance pour pacifier. Safira découvre deux politiques instituées : celle qui sépare, pose des limites et celle qui concilie et favorise la rencontre. Entre ces modèles, Safira pourra choisir plus tard. Mais elle n’aurait jamais dû être confrontée à un choix dans son lien de filiation. À moins de vouloir rendre les enfants malades de toute-puissance, nul ne devrait devoir choisir entre revoir ou non ses parents.

La colonne vertébrale de l’enfant

Le nouveau-né est reconnu comme faisant partie de notre humanité commune grâce à son lien de filiation. Celui-ci est symboliquement sa colonne vertébrale. Ce lien n’appartient pas aux parents. Il n’est pas le cordon ombilical qui lie l’enfant à sa mère ou à son père. C’est un lien vertical de transmission de la vie. Il est inscrit et reconnu par les institutions et les contemporains de l’enfant. Les institutions et tous ceux qui côtoient cet enfant (moi donc) doivent être en mesure d’affirmer que sa vie vaut autant que celle de mon propre fils ou de ma fille, alors que je n’ai aucun lien de parenté avec lui. Or le lien de filiation est fragile, sa verticalité vulnérable. Aussi doit-il être, par la suite, complété par les liens de la cité, les liens sociaux. Si les institutions rabattent le lien de filiation aux comportements des parents, lorsque le juge des enfants, par exemple, ou le professionnel de l’aide sociale réunit enfants et parents pour parler de l’alcoolisme du père, de l’« incompétence » de la mère, des « carences éducatives », on peut s’interroger : pourquoi abattre un arbre? Pourquoi déloger l’enfant de sa place verticale d’« enfant-né » qui ne pourra jamais mettre au monde ses parents et donc, prendre leur place? La ligne horizontale ne se confond pas avec la verticale sans provoquer le vertige, la chute… Pourquoi installer la confusion généalogique dans la filiation?

Le discours issu de la psychiatrie, qui s’arroge le pouvoir de qualifier le lien entre l’enfant et ses parents de « toxique », produit un trouble d’inscription dans le monde. Frappé par un diagnostic qui enferme sa filiation dans une quelconque « toxicité », l’enfant n’en sortira plus que par miracle. Un garçon de 10 ans nous dit : « Moi, avec mes troubles de comportement, j’aimerais tout de même aller à l’école de tous les enfants et pas en IME [Institut médico-éducatif]. » Depuis sa naissance, il navigue entre travailleurs sociaux, psychologues, juges des enfants, lingères, maîtresses de maison, veilleurs de nuit, instituteurs, orthophonistes, pédopsychiatres, psychanalystes, directeurs, référents, chefs de service, cadres, inspecteurs, médecins… L’enfant qui grandit avec les loups devient un loup. L’enfant qui grandit dans des institutions se référant à un savoir qui construit des maladies et des troubles de comportement, qui est-il, qui sera-t-il?

Morgane a 14 ans. Placée à 6 ans, suite à un signalement pour « carences éducatives »6 visant sa mère. Plus de la moitié de sa vie s’est déroulée dans les services de protection de l’enfance, entourée de liens salariaux. Elle voit sa mère deux fois par mois en visite médiatisée. Elle est capable de rester plusieurs minutes collée à sa mère, parle avec elle à voix basse, joue parfois le bébé. Les professionnels qui observent ces interactions estiment que son lien de filiation est soit fusionnel, soit défaillant. Un an plus tard, quand les professionnels me disent que « Morgane fait des fugues », je leur réponds : « Non. Elle rentre chez elle ». Pour l’institution, la fugue oriente la prise en charge vers la police : ainsi, Morgane est répertoriée dans la catégorie des prédélinquants. Rentrer chez soi est une action normale pour tout enfant. Sauf pour les enfants placés. Nul outil d’évaluation et de valorisation de cet acte de courage, de spontanéité, de liberté, posé par l’enfant. La mère se fait « accompagner » pour dire à sa fille de ne plus mettre les pieds à la maison quand elle fugue. Morgane se calme, puis fait des tentatives de suicide et d’automutilation. La prise en charge psychiatrique va de soi. Morgane commence sa carrière de future malade mentale. À 18 ans, elle sort du dispositif ASE. Après onze ans de placement, elle vit chez sa mère. D’autres n’ont pas la chance d’avoir une mère qui résiste à pareille épreuve, et finissent à la rue.

Il est urgent que les institutions fassent un pas de côté et réinventent le « tissu imprévisible du quotidien » (Hannah Arendt) et la force d’engendrer de l’imprévu et du don. « C’est seulement comme lieu originel du bonheur que l’histoire peut avoir un sens pour l’homme. »7 Naguère, je me suis attiré les foudres de quelques services de protection de l’enfance qui avaient pris l’habitude de qualifier de « toxiques », non seulement les liens de filiation, mais aussi le lien généalogique entre grands-parents et petits-enfants. Les enfants grandissaient dans ce climat professionnel qui donnait un sens négatif à la vie ordinaire. La procédure du placement et les discours sur la maltraitance renforcent un état de guerre entre les familles et les institutions, engendrant une forme d’« IVH », une interruption volontaire d’histoire. La société civile est absente, remplacée par des professionnels. Quelles sont les conditions créées pour que le lien de filiation soit vécu dans la dignité? Comment évalue-t-on les effets produits par les interventions des éducateurs, des juges, des psychologues… sur le développement des enfants?

La famille est certes importante. Mais le devenir de l’enfant ne saurait être cantonné au niveau de ses parents. Peut-on attendre de la part des institutions qu’elles inventent des formes de sociabilité qui stimulent, enrichissent, développent durablement de nouvelles expériences partagées dans l’espace public, entre les adultes qui se préoccupent de l’éducation et qui se situent en co-responsables avec les parents?

L’espace public du « vivre ensemble »

La société n’est pas la famille, parce qu’il n’y a pas de société sans espace public peuplé d’étrangers les uns aux autres. Le « vivre ensemble » exige la construction de choix, de lignes de partage, d’un processus de devenir dans la compréhension et dans le temps. Le temps se charge d’histoire. L’histoire collective et individuelle est un bien commun qui nous offre la possibilité de refaire la narration de notre famille en présence des autres. Une narration permet de combiner mémoire créatrice et oubli heureux.

Mais le « vivre ensemble » ne pousse pas comme les orties : il nécessite une mise en mouvement de la pensée, de l’action et surtout, le débat contradictoire. Dès lors, comment accompagne-t-on les personnes en situation de pauvreté ou stigmatisées (comme les parents frappés par une mesure de placement de leurs enfants), afin qu’elles puissent expérimenter le partage, faire l’expérience des choix pour eux-mêmes et pour leurs enfants? Comment crée-t-on des conditions pour changer le statut des parents aux yeux de leurs enfants? Comment change-t-on le regard porté sur les Roms? Du côté de l’enfant, chacun devrait être accompagné pour se tenir debout dans la verticalité de sa filiation et dans la réécriture de son histoire. Il a besoin de naviguer entre son réseau de parenté et la société civile, en passant par les institutions, afin d’élaborer ses propres images de l’estime de soi avec l’estime de l’autre. Ainsi, une équipe de bénévoles, contactés par l’ASE, accueille dans une maison de vacances des parents sans domicile fixe, précédés par de nombreux indicateurs négatifs, et leurs deux enfants placés. Les professionnels demandent aux bénévoles d’observer et de surveiller les parents, notamment pour « une alimentation équilibrée des enfants ». Mais une autre approche est possible : les bénévoles sont incités à passer des moments simples et agréables avec les parents (crêpes, barbecue) pendant que les enfants jouent. Le nouvel indicateur proposé est la joie des enfants de se retrouver en famille. Un bénévole me dit : « Le petit disait ‘maman’, ‘papa’, au moins cent fois par jour, deux mots qu’il ne prononçait pas dans le placement ».

Faire du meurtre symbolique un tabou

Quand je rencontre des professionnels et des associations, je constate combien des théories, dominées par l’approche psychiatrique, utilisent des propos négatifs à l’encontre des parents. La fabrication du « mauvais parent » (dangereux, maltraitant, démissionnaire, incapable…) fait rage. Elle constitue un meurtre symbolique en touchant à la dignité d’autrui, à sa différence. Car, « c’est au nom de l’idée de la dignité de tout être humain, même coupable, de son droit à la considération »8 que l’on peut commencer à penser une alternative à la violence. L’atome de parenté doit être complété avec la même rigueur par l’atome de solidarité avec son corollaire : l’hospitalité. Il ne s’agit pas d’accueillir le pauvre par pitié, mais d’égal à égal. En français, l’hôte est à la fois celui qui est accueilli et celui qui accueille.

Toute institution devrait s’imposer le tabou du meurtre symbolique afin de limiter d’une manière éthique les exclusions, les ruptures, les coupures imposées aux familles pauvres et à ceux qui sont ciblés, parce que différents (Roms, sans-papiers, dépendants de drogues). Dans la vie de ceux qui n’ont plus d’espace de respiration, de vie privée, et encore moins d’élaboration de leur volonté et de leur décision, nous entrons en obligés. Celui qui entre en lien avec l’enfant de quelqu’un d’autre doit passer d’une fonction de « donneur » à celle de celui qui reçoit. Le bénévolat implique une obligation d’hospitalité et de réciprocité. Nous sommes alors appelés à un travail de déconstruction des discours sur les familles pauvres pour ouvrir le regard éthique, non pas sur les comportements des parents, sur l’état d’hygiène de leur logement, mais sur la part d’humanité partagée entre ces parents, les bénévoles et les professionnels.

Le besoin de reconnaissance institue l’humain, c’est même le premier besoin humain, au point qu’un jeune peut porter atteinte à sa propre vie lorsqu’il en est privé. Lorsqu’on cible un jeune dans une catégorie négative, on heurte le besoin propre à tout humain. Comme bénévole ou comme professionnel, la question que je me poserais est de savoir si ma présence participe à une vie accomplie ou à l’accomplissement d’une forme de pouvoir sur l’autre. Nous pouvons intervenir, portés par la passion de détecter telle ou telle carence, telle faiblesse, tel risque chez l’autre. Ou faire l’effort d’envisager une paix commune, fondée sur le dialogue et le débat. J’ai choisi cette deuxième option.



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1 / . En 2009, 288 512 enfants se trouvent dans les dispositifs de protection de l’enfance et 143 752 sont placés (Source : Insee).

2 / . Tous les exemples cités ici ont été recueillis entre 2009 et 2011 au cours des formations, analyses des pratiques, évaluations effectuées par Artefa. Tous les prénoms ont été modifiés.

3 / . Cf. les travaux de l’École de Palo Alto : Paul Watzlawick (dir.), Une logique de la communication, Seuil, 1967; Harold Searles, L’effort pour rendre l’autre fou, Gallimard, 2003 [1977 trad. fr.].

4 / . En 2009, les dépenses nettes des conseils généraux pour l’aide sociale à l’enfance (ASE) s’établissent à 6,2 milliards d’euros, selon la Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques : cf. Études et résultats, n° 762, mai 2011.

5 / . Claude Lefort, « La logique totalitaire », in Enzo Traverso (éd.), Le totalitarisme, Seuil, 1980, p. 725.

6 / . Les passages entre guillemets sont tirés du discours des services de protection de l’enfance.

7 / . Giorgio Agamben, Enfance et histoire, Petite Bibliothèque Payot, 2000 [1989 trad. fr.], p. 132.

8 / . Paul Ricœur, « Fragile identité : respect de l’autre et identité culturelle » , discours au Congrès de la Fédération internationale de l’action des chrétiens pour l’abolition de la torture, Prague, octobre 2000.


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