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Dossier : Droit à la santé
Dossier : Droit à la santé

Inégaux face aux soins


Resumé Une consultation dans un quartier de Paris. Absence de couverture complémentaire et ticket modérateur à payer, refus de l’aide médicale…, une urgence au quotidien.

Très souvent, dans nos cabinets, nous sommes confrontés à des problèmes d’accès aux soins. Les patients rencontrent des difficultés, de plus en plus fréquentes, même s’ils n’en parlent pas facilement. Il leur faut dépasser un sentiment de « honte », la peur de la maladie, la culpabilité d’avoir mal suivi les recommandations du médecin. Celui-ci, de son côté, éprouve un malaise grandissant face aux obstacles que rencontre une population fragilisée. Il a l’impression que les mesures, les dispositifs, les lois s’annulent les uns les autres, que les décisions politiques en matière de santé vont aggraver, aggravent déjà les situations auxquelles ils tentent de répondre.

Lors d’une réunion, où j’évoquais les problèmes d’accès aux soins que je rencontrais dans mon cabinet, la directrice d’alors de la Caisse primaire d’assurance maladie de Paris m’accusait de faire du misérabilisme ! Elle-même, habitant dans le 20 e arrondissement, se disait témoin de l’absence de problèmes particuliers dans ces quartiers de Paris. Pourtant, quand en mai dernier, j’ai suivi un séminaire : « Comprendre et réduire la mortalité prématurée : le rôle des médecins généralistes », j’ai pu constater combien il s’agissait d’une réalité qui concernait notre société.

Une double peine

Le droit aux soins est très inégalement partagé ! La France est souvent présentée comme un modèle pour son système de couverture maladie, qui se propose d’offrir une véritable assurance universelle. Une étude portant sur onze pays soulignait cependant qu’elle est l’un des pays d’Europe où les différences de mortalité prématurée, selon les catégories sociales, sont les plus fortes 1. Si l’espérance de vie augmente pour tous, les inégalités de santé ne se réduisent pas. Elles tendent même à s’aggraver. Pour un homme de 35 ans, l’espérance de vie est de 81 ans si c’est un cadre ou un membre d’une profession intellectuelle supérieure. Elle est de 74 ans pour un ouvrier. L’Ined parle même d’une « double peine » pour les ouvriers 2. Non seulement ils vivent moins longtemps, mais ils passent plus de temps de leur existence avec des incapacités et des handicaps. Ils consomment moins de soins et ils consultent plus tardivement. Un homme de 35 ans a une possibilité sur quatre de mourir avant 65 ans s’il est ouvrier ou employé, et une sur dix s’il est cadre.

Naturellement, les inégalités se creusent avec la montée d’une précarité qui touche de nombreux travailleurs pauvres, des familles en difficulté, des migrants… Une enquête récente de l’Irdes révèle que 14 % des Français déclarent avoir renoncé à des soins pour des raisons financières au cours des douze derniers mois, et 32 % de ceux qui n’ont pas de couverture complémentaire 3.

Le constat est général, y compris pour les 4,5 millions de bénéficiaires de la Cmu complémentaire : ils sont, relève la Caisse nationale, en moins bon état de santé que le reste de la population. Une surmortalité s’observe pour toutes les pathologies. Le taux du décès annuel est de 2,5 % parmi les bénéficiaires de la Cmu complémentaire en ALD 30 4, alors qu’à structure d’âge et de sexe identique il est de 1,8 % dans le reste de la population, toujours en ALD 30.

La pratique des dépassements d’honoraires, en forte augmentation depuis dix ans, est devenue un « obstacle à l’accès aux soins » 5. Les dépassements représentent près de 2 milliards d’euros, sur 19 milliards d’honoraires, dont les deux tiers pèsent sur les ménages. Et ils ne devraient jamais être appliqués aux patients bénéficiaires de la Cmu complémentaire. Pourtant, un tiers des bénéficiaires de la Cmuc qui ont consulté en chirurgie générale ou urologique à Paris ont dû y faire face.

Du soupçon au refus

Malgré tous les rapports, de l’Ined, de l’Igas, de la Cnam, malgré les objectifs affichés dans la loi 6 ou par le Haut-commissaire aux solidarités actives, de réduire les inégalités 7, les obstacles pour mettre en œuvre un droit aux soins se multiplient. Ce sont l’absence de mutuelle et l’arrivée des forfaits et des franchises, ainsi que des obstacles administratifs : au moins un million de personnes qui ont droit à la Cmu complémentaire ne l’ont pas, parce qu’ils n’ont pas fait les démarches requises.

Et ces obstacles sont aggravés par une méfiance fréquente à leur égard. Des parlementaires et même le gouvernement n’hésitent pas à faire porter sur les bénéficiaires de la Cmuc et de l’Aide médicale d’État (AME) le soupçon de fraude 8. En même temps, on le sait, on va jusqu’à remettre en cause le droit au séjour des étrangers gravement malades, qui ne peuvent accéder aux soins dans leur pays. Et plus largement, c’est l’ensemble de l’Aide médicale d’État qui est fragilisée 9. Quant à l’aide à l’acquisition d’une couverture complémentaire, son dispositif est mal connu et peu utilisé. De plus, tous les bénéficiaires de l’allocation d’adulte handicapé ou du minimum vieillesse sont écartés de la Cmuc, puisque le montant de leur allocation excède juste de quelques euros le seuil pour l’ouverture d’un tel droit.

En outre, la dernière convention médicale n’autorise pas les médecins généralistes à appliquer le tiers payant. Par ailleurs, ils sont trop nombreux à ne pas accepter de soigner les bénéficiaires de la Cmuc 10, a fortiori ceux qui relèvent de l’AME. Beaucoup de Pass 11, instituées par la loi contre les exclusions en 1998, ne fonctionnent pas correctement. Enfin, l’instauration des forfaits et des franchises alourdit le reste à charge des plus pauvres, qui doivent déjà payer le ticket modérateur quand ils n’ont pas de complémentaire santé. Sans même parler d’égalité, on peut s’interroger sur l’efficacité globale d’un système de soins qui laisse ainsi de côté les plus fragiles.

Mady Denantes

Encarts de l’auteur

Histoires de consultations

- M. S, 47 ans, hypertendu, travaille à mi-temps, il vit dans un train, il est affilié à la Sécurité sociale mais n’a pas de mutuelle. Il est suivi depuis longtemps chez nous, il a quelques dettes de ticket modérateur (TM) qu’il paye régulièrement. Il a loupé son rendez-vous de samedi dernier parce qu’il n’avait pas 6,60 euros, le prix du TM pour une consultation de médecine générale. Donc, depuis samedi, il n’a plus de traitement antihypertenseur, sa tension est très élevée ce jour. Je ne suis pas sûre qu’il ait de quoi acheter les médicaments ce soir !

- M. G., 66 ans, vit avec le minimum vieillesse (628 euros au 1er janvier 2008 après revalorisation de 1,1 %), donc il n’a pas droit à la Cmuc. Je le connais depuis longtemps, une assistante sociale me téléphone pour me demander si je peux le recevoir : il ne peut pas payer les 22 euros de la consultation et il a besoin en urgence d’un certificat médical pour une demande de foyer résidence. En consultation je le trouve amaigri, fatigué : j’aimerais qu’il fasse un bilan sanguin en urgence : il ne peut pas payer le TM de ce bilan.

- La jeune Kadi, 17 ans, est suivie par l’Aide sociale à l’Enfance, sa mère est en grande difficulté. Kadi maigrit et se sent fatiguée. À l’interrogatoire, je découvre qu’elle consomme beaucoup d’alcool. Le contact est bon, elle revient en consultation : elle n’a pas de quoi payer la consultation. Je voudrais la vacciner : elle ne peut payer le TM du vaccin.

- M. H., 49 ans, a longtemps vécu dans la rue : il s’en est sorti, travaille et a un logement. Il a un antécédent de tuberculose. Il vient consulter car il tousse depuis plusieurs semaines et il maigrit. Je lui demande de faire une radio pulmonaire. Je le croise quelques semaines plus tard dans la rue : il tousse toujours mais il n’a pas fait sa radio : il n’a pas tout de suite l’argent pour le ticket modérateur de la radio (10 euros), il la fera plus tard.

- M. Z., 39 ans, suivi pour un adénocarcinome bronchique opéré en 2006. Il a un ptosis (abaissement de la paupière) postopératoire qu’il faudrait opérer. Il a la Cmu complémentaire (moins de 606 euros par mois). Le chirurgien ophtalmo qui le voit ne « prend pas la Cmu » : il le fait donc payer 80 euros la consultation.

- M. A., 66 ans, diabétique, avec une sévère cardiopathie ischémique. Son seuil de revenu est juste au-dessus de la Cmuc. Je viens de lui faire faire un écho doppler des membres inférieurs. Un deuxième écho doppler est nécessaire. Il n’a été que peu remboursé de cette consultation car on a retiré les forfaits (1 euro) des années précédentes plus les franchises sur les boîtes de médicaments. « Ce médecin n’est pas remboursé, me dit-il, je ne veux pas le revoir ». J’essaie de lui expliquer mais il reste buté sur cette idée : ce médecin n’est pas remboursé.

- Melle V. a une perforation tympanique, elle travaille, au Smic. Je l’ai adressée à un ORL qui l’a envoyé à un confrère pour une tympanoplastie réalisée en juillet 2007. Elle a payé en dépassements 700 euros pour le chirurgien et 300 euros pour l’anesthésiste. Depuis, elle a dû revoir deux fois le chirurgien, car son oreille coule et est douloureuse. Chaque consultation lui a coûté 80 euros. Elle vient me voir car elle a très mal et ne peut plus retourner voir le chirurgien : elle n’a plus d’argent…

Propositions de médecins du Comegas

- Chercher activement le million de personnes qui ont droit à la Cmu et ne le savent pas ; - Arrêter de jeter la suspicion sur une éventuelle fraude à la Cmuc, alors qu’aucune enquête ne l’a évaluée ; - Pénaliser les médecins qui se mettent hors la loi en refusant de recevoir les bénéficiaires de la Cmuc et de l’AME ; - Élever le seuil de la Cmuc au niveau du seuil de pauvreté défini par Eurostat, ce qui couvrira l’AAH et le minimum vieillesse ; - Relancer le dépistage du saturnisme dans tous les départements et faire appliquer les lois existantes pour protéger les enfants ; - Atteindre l’objectif fixé de 500 Pass vraiment opérationnelles ; - Suppression des franchises et des forfaits ; - Respecter la loi sur le droit au séjour des étrangers atteints d’une maladie dont le traitement n’est pas accessible dans leur pays d’origine et que l’absence de traitement met en danger ; - Droit au tiers payant pour tous les soins de premier recours (médecin traitant) ; - Protéger l’accès à l’AME.



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1 / Bulletin épidémiologique hebdomadaire, 23 janvier 2007.

2 / Ined, janvier 2008.

3 / Enquête de l’Institut de recherche et de documentation en économie de la santé (Irdes), 2008.

4 / ALD 30 : la liste des « Affections de longue durée » comporte une trentaine de maladies. Cf. Cnamts, Points de repère, août 2007.

5 / Rapport de l’Igas (avril 2007) sur les dépassements d’honoraires.

6 / L’objectif 33 de la loi du 9 août 2004 relative à la politique de santé publique est de réduire les obstacles financiers à l’accès aux soins.

7 / Martin Hirsch, « La réduction des inégalités de santé est la priorité des politiques de santé », in BEH du 23 janvier 2007.

8 / Le ministre du Budget annonçait en janvier 2008 que la Cmu complémentaire ne serait plus délivrée que pour trois mois, pour « effectuer un contrôle plus poussé de la réalité des ressources des demandeurs ». Cf. Le Figaro, 22 janvier 2008. 

9 / Le projet est avancé de faire payer un ticket modérateur, et de mettre en place un forfait au moment de l’inscription à l’AME.

10 / Cf. l’enquête du Fonds Cmu de mai 2006 : 41 % de refus chez les spécialistes et 39 % chez les dentistes,; ainsi que l’enquête de Médecins du Monde de novembre 2006.

11 / Permanences d’accès aux soins, créées en 1998.


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