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Dossier : Le logement social
Dossier : Le logement social

Déloger en chacun de nous l'indifférence


Resumé Briser l’embolisation des logements à vocation d’insertion : certains de leurs occupants sont capables d’autonomie.

Serions-nous condamnés à nous répéter, année après année, avec pour leitmotiv à l’entrée de chaque hiver, des morts annoncées, faute de parvenir à cette mobilisation nécessaire pour parvenir à un habitat pour tous ? En l’état actuel du nombre de logements construits, et à population égale, il faudra plus de deux générations pour que le droit au logement soit assuré. Ce n’est pourtant pas faute, pour les uns et les autres, de rester vigilants à l’égard d’une telle situation qui fait souffrir ceux qui la subissent, mais aussi nombre d’acteurs qui, au mieux, se sentent écrasés, quand ce n’est pas culpabilisés par ce qu’il faut bien appeler un cancer social.

Cette absence de logements crée des drames et fait courir au tissu social des risques avérés. Cet abîme nous abîme. Mais inutile de se lamenter, il faut, nous semble-t-il, choisir une autre orientation s’inscrivant dans une participation plus active dans le parcours d’insertion de la personne jusque-là exclue ou marginalisée. Or cette participation, sans être suffisante, est absolument nécessaire pour resituer la personne dans un cadre relationnel dont l’absence est justement cause de l’échec. Ainsi, l’exclusion du logement pourrait être envisagée comme une maladie à traiter dans une relation soignant - soigné. Nous sommes trop installés dans du palliatif social qui exprime une forme de découragement par rapport à des situations d’exclusion, conduisant une société à proposer des mesures qui sont davantage de l’ordre de l’assistance que d’un éveil à d’autres possibles.

Ces mesures d’assistance sont finalement des thérapies qui conduisent ceux qui les vivent à demeurer patients, de cette patience qui devient résignation jusqu’à entendre « c’est la vie » mais alors exprimée en des termes bien sombres.

L’insertion, chemin de responsabilité

Une telle approche doit être refusée et nous devons mettre l’accent sur le fait que, s’il y a logement d’insertion, il ne saurait être celui de la résignation ou du défaitisme. L’insertion est une tâche qui anoblit tant l’accompagné que l’accompagnant. Elle doit mobiliser une grande énergie pour qu’elle soit entendue comme un traitement devant durer le moins longtemps possible et avoir pour finalité de permettre à la personne de retrouver une capacité à s’inscrire dans des relations qui construisent.

L’expérience conduit à reconnaître que si ces logements d’insertion sont absolument nécessaires, il faut bien reconnaître que les résultats ne sont pas à la hauteur des espérances. L’habitat d’insertion accueille trop souvent des personnes qui n’attendent plus rien pour avoir obtenu cet « inespéré » logement. Combien se considèrent incapables ou disqualifiées pour aller plus loin, notamment pour assumer une activité ou un emploi ? De cette façon, le logement d’insertion risque de s’apparenter à celui de la fameuse loi 48, cause de bien des dérives.

Aussi, il conviendrait d’engager une réflexion sur le statut propre du logement d’insertion qui devrait rester un logement passerelle. Est-il juste et acceptable que des personnes insérées continuent de bénéficier de ce logement, car alors, quelle solidarité à l’égard de ceux qui attendent  ? Est-il opportun que ce logement soit placé sous le régime du droit commun, de sorte que la durée des baux crée une pérennisation allant à l’encontre de cette idée de traitement qui, pour une grande majorité de personnes concernées, pourrait être limité dans le temps  ? La solidarité ne doit pas être seulement pyramidale. Elle doit aussi permettre à toute personne de reconnaître qu’elle peut en être acteur dès lors que chacun découvre que ce qu’il a reçu peut être partagé. L’insertion commence là où l’intérêt général est promu et cette reconnaissance est toujours chemin de responsabilité. Cette responsabilité, ceux que nous désignons par ces expressions anonymes et blessantes, sans droit, sans travail, sans logement, ne l’appellent-ils pas de leurs vœux  ? Ne pas entendre, c’est nous demander si nous ne serions pas à maints égards des incendiaires du lien social.

La chronique hivernale des morts annoncées

Il nous faut prendre garde, tant la situation du mal logement – dont l’état mériterait, sans doute, plus de précisions – est suffisamment grave pour que des mesures soient prises de toute urgence. Ainsi, à Paris, une famille de deux enfants bénéficiant d’un revenu équiva–lant à deux fois le Smic, se voit imposer, pour son logement, une charge représentant plus de 40 % de ses revenus après l’imputation de l’Aide personnalisée au logement (APL). Cette situation sera-t-elle tenable longtemps  ? À l’évidence, non, outre le fait qu’elle entraîne un taux d’effort qui compromet l’équilibre des familles.

Le mal logement, ou son coût trop élevé, peut quitter, un temps, le feu de la rampe pour revenir, dans quelques semaines, lorsque les conditions climatiques alerteront sur les risques courus par les sans-logis. Mais, ces morts annoncées, comme chaque hiver, ne modifient pas sensiblement les comportements, comme si nous étions tragiquement habitués ou paralysés. Sommes-nous devenus si indifférents à l’autre  ? Que faisons-nous de l’assistance à personne en danger  ?

Deux dates : en février 1954 nous entendions, si pertinemment, le cri d’un prophète « Au secours mes amis », disait l’Abbé Pierre, et ce 6 mai 2005, le journal La Croix titrait « Le logement social, une priorité nationale ». Encore, toujours  ? « Je sais les choses, dit Rimbaud, mais je vais les yeux fermés et les oreilles clo–ses ». Il y a pourtant des feux qui s’allu–ment pour nous permettre de regarder combien le lien social se déchire  ; il est abîmé par ces abîmes que suscite et conforte une situation dont on ne veut pas voir le danger pour se rassurer par le nombre de chantiers ouverts. Mais pour qui  ? Nombre de ces investissements sont réalisés en prévision d’une retraite, alors que d’autres sont, par ce manque de logements, en retrait de la société. Oui, quel abîme  !

Sans doute, l’armée 2004 marqua un record puisque depuis dix ans, jamais autant de chantiers n’ont été ouverts : 362 867 logements contre, par exemple, 317 000 en 1999. Or, depuis la dernière guerre, peut-être que jamais l’accès au logement ne fut aussi difficile. Les clas–ses moyennes dans les grandes métropo–les sont elles-mêmes touchées. Une importante association caritative ne rappelait-elle pas que le travail ne per–met pas toujours de se loger  ? Dans la période 1997-2004, le coût du logement a augmenté de 100 % à Paris, 90 % dans le reste de la France, alors que les revenus n’ont évolué que de 25 %. Le travail est sous rémunéré par rapport aux autres revenus. Voici un exemple où notre modèle social est aussi cause du mal logement.

Des braises pour un feu de la solidarité

Si l’habitat représente un véritable enjeu politique, il convient au moins de reconnaître que les différences entre les « partis de gouvernement » ont des approches sensiblement identiques. Avec toutefois un correctif, car Louis Besson, alors ministre du Logement, n’a pas supprimé les béquilles fiscales pour ne pas entraîner l’effondrement du marché. Il les a assorties de mesures évitant les outran–ces actuelles, qui sont littéralement scandaleuses.

L’approche d’Habitat et Humanisme n’est pas de dénoncer, mais d’énoncer trois propositions :

• L’urgence d’obtenir des dispositions, sur du long terme, quant à la création durable d’un véritable logement intermédiaire. Est-il moralement acceptable, dans un contexte où le logement est impossible pour les plus fragilisés, que l’aide de la Nation soit réservée au bénéfice de ceux qui n’en ont pas besoin  ? Est-il, sur le plan éthique, convenable, que ces aides (à équivalence de logement) soient du même ordre que celles apportées aux investisseurs privés, pour des logements qui restent étrangers aux graves besoins actuels  ?

• Une réflexion, au plus haut niveau, pour faire baisser cette fièvre du foncier. Car est-il, là encore, tolérable que les quartiers les plus urbanisés, les mieux desservis par les transports en commun, c’est-à-dire les plus aidés par les collectivités, soient ceux où le terrain devient inaccessible pour ceux qui auraient besoin, en priorité, de ces équipements  ? Il y a, ici, un enrichissement sans cause pour les détenteurs de foncier, qui ne peut pas se pérenniser, sauf à consentir une rupture, déjà bien consommée, sur la question de la mixité sociale.

• La négociation d’un contrat - cadre avec les grands bailleurs publics ou privés, pour briser l’embolisation de logements à vocation d’insertion, alors qu’un certain nombre de leurs occupants, par le jeu de l’accompagnement, se trouvent capables d’autonomie. La situation appelle un nouveau souffle  ; sans cette volonté de défendre le bien commun, nos villes incendieront nos discours d’humanité, tant la réalité les dément. Ne voyons-nous pas aussi ces braises qui offrent une chance d’un feu de la solidarité  ? Cette solidarité, nous essayons de la vivre dans un esprit de résistance qui s’articule autour d’un triple refus. Non, à un logement qui sépare, Non, à un logement qui focalise la pauvreté et qui, par-là même, la durcit, Non, à cette absence de logement qui entraîne les plus pauvres à vivre des situations déshumanisantes.

De l’argent facile à l’argent fertile

Il ne s’agit pas seulement de dire non, de s’opposer, mais bien de rechercher des mesures concrètes pour être des bâtisseurs d’un habitat autrement. Ici, nous sommes au cœur de l’aventure d’Habitat et Humanisme qui reste modestement un laboratoire au sein duquel nous trouvons des chercheurs de solidarité. Utopie, et alors  ? N’est-elle pas un appel à faire naître des lieux qui n’existent pas encore, pour susciter dans nos paysages bien sombres, des ouvertures vers cet autrement  ?

Ce monde fermé, puisque nous l’enfermons dans nos certitudes et nos logiques de puissance, est pour trop de personnes celui d’un cauchemar. Assez d’exclus, assez de chômeurs et de sans-logis. Assez  ! Oui, assez de cette « horreur économique », pour reprendre le titre de l’ouvrage de Viviane Forrester, où l’auteur nous dit que « nous vivons au sein d’un leurre magistral, d’un monde disparu que nous nous acharnons à ne pas reconnaître comme tel ». Pour susciter cet autrement, que beaucoup appellent du meilleur d’eux-mêmes, ne faudrait-il pas d’abord accepter de se laisser saisir par ceux que nous percevons comme « autres » et qui le sont d’abord à partir de nos représentations tant nous nous sommes éloignés d’eux, pour aller trop vite et peut-être trop loin, jusqu’à découvrir soudain, avec vertige, une société brisée, éclatée  ?

J’entends la méditation du père Baudiquey dans la parabole de l’enfant retrouvé : « Il faut misère et parfois même profonde misère, pour avoir cœur. Et d’une présence qui attend, et d’une attente qui écoute, naît le dialogue indispensable ». Or cette présence est celle de l’amour. Aimer, sans doute diront certains, quelle utopie dans le champ économique, et d’ailleurs est-ce possible dans ce monde qui ne parle que de concurrence, de rentabilité, de marchés à conquérir, de plans sociaux qui ne font que planifier le départ de trop de nos contemporains vers un autre lieu où l’espoir est absent  ?

Ce droit au logement et au désir de vivre ensemble donne à l’engagement du père Joseph Wresinski une singulière actualité quand il rappelait que la misère n’est pas faite pour être soulagée, mais pour être éradiquée. Oui, pour que tous soient logés, il nous faudra bien apprendre à déloger en nous l’indifférence à l’autre et comprendre, enfin, que l’argent facile dans nos logiques de puissance doit être remplacé par un argent fertile dans le champ de nos consciences collectives et individuelles.

Alors, et alors seulement, une économie du partage surgira dont Habitat et Humanisme ne fait qu’esquisser les premiers pas dans cette aventure.

Bernard Devert


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