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Dossier : Le logement social
Dossier : Le logement social

Social, très social


Resumé La dualité entre logements sociaux et très sociaux risque de fragiliser le droit.

Entre 2004 et 2005, on a beaucoup construit : plus de 400 000 unités. Mais sur ce total, combien de logements correspondaient aux ressources des foyers modestes ? On fait toujours du logement social, mais du social « haut de gamme », qui ne répond pas aux besoins d’un nombre croissant de travailleurs précarisés, qui ont des contrats à durée déterminée ou à temps partiel…

Le plan Borloo a exprimé la volonté de réaliser 500 000 logements sociaux. Mais « la composition de ces 500 000 logements mérite d’être interrogée » 1. Trois catégories sont concernées par des prêts : les Prêts locatifs sociaux (Pls), les prêts locatifs aide à l’intégration (Plai), les prêts locatifs à usage social (Plus). Or les premiers peuvent concerner jusqu’à 80 % de la population et, en réalité, « seules les deux dernières catégories sont véritablement du logement social et répondent aux besoins les plus prioritaires. Il y a nécessité de limiter à 20 % la part du Pls dans les 500 000 unités du plan de cohésion sociale » 2, ce qui garantirait 400 000 logements vraiment sociaux.

Les projections prévoient que, de 2001 à 2009, la part des Pls sera multipliée par quatre, alors que « dans le même temps la production de logements sociaux dans son ensemble n’aura pas doublé » 3. Tous les mécanismes mis en place pour soutenir la construction locative sociale tirent l’offre vers le haut. Une fragmentation du secteur du logement se met en place : de plus en plus de demandeurs sont renvoyés vers un « très social » initialement réservé à un public encore plus fragilisé, voire dans des centres d’hébergement temporaire censés permettre à ceux qui y sont reçus une réadaptation aux conditions normales d’un habitant de plein droit. Pourtant, bien des ménages qui se résolvent à y être orientés sont loin d’être des « inadaptés ».

Une logique d’insertion

Pour ceux dont l’emploi est précaire, pour des familles monoparentales, ce n’est pas tant les capacités d’habiter qui font défaut que l’offre de logement. Ils se trouvent dans des hôtels meublés ou des foyers, enfoncés dans l’insécurité et l’instabilité. C’est alors qu’ils risquent de perdre les repères sur lesquels ils s’étaient construits !

Certains, bien sûr, à la suite d’une expulsion, d’une séparation ou d’un autre événement, bénéficieront de cette étape comme d’une planche de salut, une occasion de redémarrer. Mais pour d’autres, cette entrée dans le provisoire est vécue comme un stigmate : synonyme d’un contrôle par les organismes chargés de leur faire une proposition. Pour un « habitant » normal, le logement est objet d’un choix, d’un arbitrage personnel (pour sa localisation, son coût) parmi une offre. Pour un accédant au logement social, celui-ci est « accordé ». Une enquête d’Eugenia Ratiu a souligné combien les ménages ne pouvaient qu’acquiescer aux propositions, sinon aux injonctions, qui leur sont faites, quelle qu’en soit la validité pour eux 4. Des sollicitations leur sont présentées, pour un plan de maîtrise des dépenses, pour un projet d’insertion, etc. Des personnes qui pouvaient avoir – qui avaient – des trajectoires autonomes se trouvent prises en charge dans le très social.

On a reporté ainsi dans le domaine de l’habitat la logique de l’insertion, développée d’abord autour de l’emploi. Mais le passage par ce temporaire n’aboutit à l’accès dans un logement ordinaire que pour un tiers des ménages 5. Et, finalement, on occulte l’insuffisance de logements ordinaires par la constitution d’un parc de sous logements et de zones de droits minorés 6.

Hlm et associations d’insertion

Il est vrai que les Hlm doivent faire face à l’accroissement des difficultés sociales de leurs locataires. Ils font appel à des associations d’insertion, comme médiateurs pour le maintien ou l’accès dans une partie de leur parc. Ils se mobilisent eux-mêmes : des antennes locales ont embauché des conseillères en économie sociale et familiale, les personnels chargés d’encaisser les loyers jouent parfois eux aussi ce rôle de conseillers sociaux, une fonction de médiation est incluse dans la définition du métier de gardien, de nouveaux postes d’agents de développement local sont créés, pour un meilleur interface avec les locataires, pour intervenir sur les politiques locales de l’habitat, etc.

Pour autant, les organismes ne sortent pas de leur logique gestionnaire. Et les faiblesses demeurent d’une offre souvent inadaptée : en raison du type de logements (manque d’appartements pour les familles, de studios pour les jeunes adultes…) et du coût (les opérations de rénovation se traduisent par des loyers plus chers). La prudence des bailleurs comme celle des municipalités conduit à refuser d’accueillir les pauvres venus d’autres communes.

En fin de compte, les logements situés dans des zones favorables sont trop chers et les politiques d’attribution demeurent sélectives, au nom d’objectifs de mixité. Mais si on invoque ce principe de mixité pour refuser des candidats dans certains quartiers difficiles, on l’oublie curieusement pour donner des logements mieux valorisés. Certains bailleurs préfèrent laisser des appartements vides dans l’attente de meilleurs candidats.

D’autres acteurs sont apparus à côté des Hlm pour ouvrir l’accès au logement social : les associations d’insertion. On en dénombrait quelque 1700 dans le secteur du logement en 1998. Elles ont été à l’origine d’un renouvellement des pratiques pour soutenir les demandeurs et mobiliser plus efficacement le parc existant. Plusieurs contribuent à la production de l’offre, en particulier pour réhabiliter l’habitat ancien 7. Elles montrent le chemin pour produire des logements adaptés aux capacités et aux besoins. Malheureusement, elles ne sont pas toujours reconnues comme de vrais promoteurs.

D’autres associations sont actives pour accompagner les demandeurs dans les filières d’accès au logement. Confrontées aux exigences des bailleurs, elles en deviennent parfois des sous-traitants, amenées à assurer elles-mêmes les risques locatifs (sous-locations). Mais le rôle de « garant social » qu’on leur fait jouer n’est pas sans ambiguïté. D’une mission d’insertion, elles peuvent passer à un rôle de sécurisation, sinon de contrôle social 8. Travaillant sur les représentations de cette médiation associative, Anne-Marie Giffo-Levasseur relevait un écart : pour le bénéficiaire du logement, celui-ci est un espace à soi, un mode de vie, alors que pour le bailleur c’est d’abord « un bien à protéger » 9. Les Hlm voient dans l’accompagnement une garantie plus qu’un soutien à l’exercice d’un droit. Ils se sont engagés par convention à reloger un certain nombre de ménages en difficulté mais sous condition d’un accompagnement social. Comme le relevait la Fnars à son congrès de Brest, cet accompagnement devient un « impératif catégorique » pour l’accès au logement de certains publics et il fonctionne comme une « probation sociale ».

Dès lors, la question du droit au logement devient une question individuelle. Et ce droit subjectif est par définition un droit « non opposable ». C’est une commission qui décide, au cas par cas. L’accès au logement devient une épreuve à surmonter : « Le droit est échangé contre la tutelle sociale » 10. Comment faire place à toute personne dans la maîtrise de son parcours de logement ? Comment ne pas confondre handicaps économiques (quand le taux d’effort financier est trop important) et handicaps sociaux ? Comment permettre à chacun une autonomie dans son espace privé ? Quels droits de recours ouvre-t-on en réalité ? La dualité aggravée entre logements sociaux et logements très sociaux risque de fragiliser le droit.

André Sicard

Quelle reconnaissance ?

Par Etienne Primard, Solidarités nouvelles pour le logement.

« L’administration nous subventionne à condition que nos locataires entrent dans leurs catégories. Or les « catégories » n’ont pas leur place chez nous : à chaque personne une situation particulière et donc une solution particulière. C’est toute une infrastructure qui demande à être repensée pour être au service des personnes qui vont mal plutôt que de continuer à les enfoncer. En Essonne, nous sommes de plus en plus reconnus, certes non sans ambivalence. Reconnus capables de gérer l’exclusion alors que notre but est de l’éradiquer. Reconnus compétents pour faire des logements pour ceux qui ne vont pas bien et qui, neuf fois sur dix, vont mieux au bout d’un certain temps. A Dourdan, ville de 10 000 habitants, nous avons logé 86 familles en seize ans, des familles en grande difficulté, démunies de génération en génération. Les travailleurs sociaux locaux nous disent que la manière de poser le problème du logement est totalement différente depuis. Il y a des maires qui nous téléphonent pour nous solliciter.

Snl expérimente et essaie de diffuser… Vis-à-vis des bailleurs, par exemple : Snl témoigne qu’il est possible de faire des logements à la fois bon marché et « diffus » (dispersés dans l’espace). Nos paramètres et nos ratios sont désormais reconnus. Certains décident aujourd’hui, à l’occasion d’une opération immobilière, de nous louer des logements à prix coûtant. Snl sait aussi faire une gestion rapprochée, garder le contact avec les locataires.

À partir du moment où la valeur de notre accompagnement a été reconnue, les bailleurs souhaitent que Snl poursuive, et même se porte garant pour les familles. Les personnes n’ont pas à être traitées comme des sous-je ne sais quoi ! Je ne vois pas pourquoi une famille qui gagne moins d’argent ne serait pas digne de confiance.

Et il y a d’autres formes d’instrumentalisation : pour subventionner notre fonctionnement, certains Conseils généraux nous demandent de nous transformer en association départementale. Mais si l’on entrait dans cette logique, le Conseil général aurait un droit de regard sur les attributions dont pourraient être exclus certains immigrés, les gens du voyage… Nous risquerions d’être instrumentalisés au service de telles ou telles priorités. Or nous voulons échapper aux catégories; nous logeons des personnes sans logement. Pour cela, nous nous battons pour être responsables à 100 % des attributions et nous tenons depuis quinze ans. »

Extrait de Projet, hors série « Associations de terrain », mai 2006, pp 32-33.



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1 / . Adresse aux sénateurs, lors du débat au Parlement, mars 2006 par l’Archevêque de Lyon et les représentants des différentes religions.

2 / . Ibid.

3 / . L’état du mal logement en France, Rapport 2006 de la Fondation Abbé Pierre.

4 / . Eugenia Ratiu, Logement temporaire, contexte et dynamique du chez soi, Laboratoire de psychologie de l’environnement, 2001.

5 / . Cf. René Ballain et Elisabeth Maurel, Le logement très social, éd. de l’Aube, 2002.

6 / . Congrès de la Fnars, 1997.

7 / . Notamment celles qui se retrouvent dans la fédération des PACT.

8 / . Cf. « Le foisonnement associatif », Annales de la recherche urbaine, n. 89, 2001.

9 / . Cf. Anne Marie Giffo-Levasseur et al. « Effets de médiation dans l’accès au logement : représentations et statuts », GERS, Nantes, 2001.

10 / . Elisabeth Maurel, « La médiation ou la déconstruction du rapport locatif », intervention au colloque Mettre en œuvre le droit au logement, organisé par le PUCA (Plan urbanisme construction architecture), Documentation française, 2004.


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