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Dossier : Les religions dans la cité

Congrégations et associations cultuelles


Resumé L’exercice de la religion n’est pas le simple exercice du culte. Comment définir en droit les congrégations ? Comment assurer l’égalité réelle entre les «nouveaux» cultes (musulman, surtout) et les religions mieux «installées» ?. L’équilibre de la laïcité est toujours fragile.

La loi de 1901 sur les associations (en particulier dans son titre III sur les congrégations, créant le délit de congrégation non autorisée) et celle de 1905 sur la séparation des Eglises et de l’Etat ont suscité à l’époque de virulentes polémiques ainsi qu’une condamnation déterminée de la part de l’institution et du magistère de l’Eglise catholique.

Des passions violentes ont alors divisé la France. Elles sont aujourd’hui apaisées au point de paraître difficilement compréhensibles, mais les évolutions de notre société soulèvent d’autres problèmes quant à l’application de ces lois : construction d’édifices du culte, apparition de «nouvelles religions» sur le territoire métropolitain (islam, bouddhisme, hindouisme...), nouveaux mouvements religieux et phénomènes sectaires, mais aussi des formes nouvelles et d’autres compréhensions de la vie consacrée, en congrégations ou en communautés...

Les lois de 1901 et de 1905 ont fait la preuve de leur capacité d’adaptation : elles ont été interprétées dans un sens libéral par l’Administration et, sous le contrôle des juges administratifs qui se sont appuyés sur leurs principes, eux-mêmes intégrés peu à peu aux grands principes républicains. Par un arrêt de 1971, le Conseil constitutionnel a fait de la liberté d’association un principe de valeur constitutionnelle. Celui-ci a d’ailleurs été étendu par la loi de 1981, qui a ramené dans le droit commun les associations dites étrangères (dont les responsables sont des ressortissants étrangers, même si leurs buts concernent des projets en France). Jusqu’alors, celles-ci nécessitaient une autorisation préalable par décret.

Le régime très libéral des associations, simple régime déclaratif, sans contrôle préalable, accompagné d'un contrôle a posteriori très léger, sous l'action du juge judiciaire, permettant la dissolution dans un nombre de cas limité, a permis le développement des associations dans les milieux issus de l’immigration. Parmi celles-ci, les associations musulmanes ont servi pour beaucoup d'immigrés de remarquable «pédagogie de la démocratie».

Les grands principes de liberté religieuse, de libre exercice des cultes, de laïcité, au sens d’égalité des citoyens et de non discrimination pour des motifs d’ordre religieux, en l'occurrence, sont bien sûr tirés de la loi de 1905, en particulier dans son article 1, mais ils ont aussi une origine dans le préambule de la Constitution : "La France est une République laïque(...) Elle respecte toutes les croyances".

Passions apaisées... principes partagés

Le lien entre les lois de 1901 et de 1905 est fondamental. Tout d’abord, la loi de 1905 dépend de la loi de 1901 et y fait directement référence. Elle organise les cultes, dans leurs manifestations publiques, sous forme associative. Le régime en est également déclaratif : l’autorité administrative doit recevoir la déclaration de toute association se prétendant cultuelle, sans exercer de contrôle a priori, autre que celui prévu par la loi, dans les statuts type qui en limitent l'objet à l'exercice exclusif du culte. L'Administration ne peut donc s'opposer à la déclaration d'une association cultuelle, sous prétexte qu'elle poursuivrait des buts contraires à la loi ou qu'elle cacherait un mouvement sectaire. Ce n'est qu'a posteriori, et sous le contrôle du juge, que les activités contraires aux lois, aux bonnes mœurs, à la République, etc., pourront être poursuivies. Les avantages, fiscaux notamment, attachés aux associations cultuelles, ne pourront être accordés qu'à celles bénéficiant de la grande capacité juridique, c’est-à-dire à celles qui exercent un culte "véritable", autour des principes dégagés peu à peu par la jurisprudence (ancienneté, universalité, respect des lois et des bonnes moeurs, exercice exclusif du culte...). S’ils sont simples, ces principes sont malheureusement d'un maniement difficile, comme en témoigne le cas des Témoins de Jéhovah. Depuis la loi de 1905, l'Etat se considère comme incompétent pour "reconnaître" une religion, la déclarer a priori bonne ou mauvaise, ou même dire qu'un mouvement a un caractère religieux.

Beaucoup de catholiques, en 1905, craignaient de voir se multiplier les associations se proclamant catholiques, mais dissidentes par rapport à l'Eglise de Rome, ou rétives à l'autorité de l'évêque, «ordinaire» du lieu. De nombreux anticléricaux militants espéraient saper par la loi la puissance de l'Eglise catholique qui ne bénéficierait désormais plus de l'organisation des établissements publics du culte prévue par le régime des cultes reconnus. En fait, la loi de 1905 fut une loi de compromis; rejetée par la droite catholique, elle a rencontré l'abstention de l'extrême-gauche, et surtout des députés anti-catholiques qui espéraient «casser» l'Eglise par les dissidences. Au contraire, Briand et Jaurès ont veillé, en particulier autour de l'article 4 de la loi, à ce qu'il soit fait explicitement mention des règles d'organisation des différents cultes auxquels chaque association se réfère 1. D’où le problème du label religieux et de sa protection : une association peut se proclamer catholique, orthodoxe, évangélique, israélite... sans être en communion avec le culte de référence et sans être soumise à l'autorité des responsables des différents cultes. L'Administration doit en tout cas recevoir sa déclaration…, sans être tenue de conférer la grande capacité juridique à une association «schismatique».

Jusqu'à présent, les pouvoirs publics et l'épiscopat ont conduit une action concertée pour protéger le label "catholique" et veiller, à la suite des accords Briand-Ceretti, à ce qu'il n'y ait qu'une association cultuelle catholique par diocèse. Cette situation, juridiquement fragile, repose sur la vigilance des deux parties. Que faire lorsqu'un évêque veut créer plusieurs associations cultuelles diocésaines (comme l’évêque d’Ars-Belley en avait l’intention) ou qu'une association se présente comme catholique, alors qu’elle n’est plus en communion avec Rome (la fraternité Saint Pie X) ?

Réglementer le culte et les autres activités

L'exercice exclusif du culte pose aussi des problèmes. La loi de 1905 ne parle guère des «Eglises» que dans son titre. Le terme s'applique aux Eglises chrétiennes, mais convient mal à la Synagogue (traitée auparavant par les Articles organiques du culte israélite) et encore plus difficilement aux autres religions. Plus sagement, le corps de la loi traite des cultes et de tout ce qui est nécessaire à leur exercice (édifices du culte, presbytères, séminaires) et à leurs cérémonies (cloches, orgues, croix, processions...). Il répond ainsi aux manifestations d'un catholicisme traditionnel, visible dans le paysage religieux.

L'exercice de la religion dans ses dimensions sociales, culturelles, caritatives, couvre un domaine beaucoup plus large. La ligne de partage est cependant difficile à établir. Peut-on envisager une religion sans catéchèse, sans formation, voire sans propagande ? Dans la loi, le prosélytisme est souvent proscrit... Le Conseil d'Etat a, par exemple, refusé aux Témoins de Jéhovah la grande capacité cultuelle, au prétexte que cette association avait pour l’essentiel une activité de propagande et d'imprimerie (La Tour de Garde). Mais la plupart des religions ont su organiser leur presse écrite et leurs radios... sous forme d'associations loi 1901 ou de sociétés. La difficulté la plus grande consiste sans doute à distinguer entre l’éducatif, le culturel et le cultuel. Qu'en est-il de la musique sacrée, de l'architecture religieuse, des trésors, des musées... ? La distinction a été opérée entre des associations aux buts clairement définis. Mais une association régie par la loi de 1901 ne risque-t-elle pas d'échapper, au fil du temps, aux intentions de ses fondateurs et de poursuivre des visées purement laïques, ce qui est arrivé souvent dans les oeuvres protestantes, avec parfois de véritables détournements d'héritages ou de legs ?

Le problème de l'imbrication des fonctions se retrouve à propos de la conception des édifices du culte qui deviennent de plus en plus des centres communautaires, comportant de nombreuses salles de réunion ou des logements. Cette évolution correspond aux nouvelles formes de vie religieuse et rejoint paradoxalement les conceptions des centres israélites ou des mosquées, où l'on pratique à la fois des activités d'enseignement et de culture, des ablutions, des repas rituels en commun, des soins médicaux et une entraide sociale. Comment séparer alors le cultuel de tout le reste ?

Qu’est-ce qu’une congrégation ?

La loi de 1901 (de Waldeck Rousseau) est une œuvre des républicains, à la suite de l'affaire Dreyfus, où l'Eglise catholique, en tant qu'institution - en particulier à travers des congrégations comme celle des Assomptionnistes 2 -, avait soutenu le camp antidreyfusard. Il s'agissait de mettre un terme au cléricalisme, c'est-à-dire à la tentation pour l'Eglise d'exercer un pouvoir politique : l'Alliance républicaine s'est unie autour de la défense de la République. Aussi ne purent subsister que des congrégations autorisées ou reconnues.

La procédure de reconnaissance légale d'une congrégation se voulait particulièrement difficile 3. Beaucoup de religieux durent quitter le pays ou rentrer dans la vie civile, les biens des congrégations non reconnues furent confiés à des associations ou à des hommes de paille... ce qui n’ira parfois pas sans difficultés quand il s’agira de les récupérer.

Les congrégations n'étaient alors, pour le législateur, que des congrégations catholiques, définies par le droit canon. Il revenait à l'Eglise seule de dire à l'Etat ce qu'était pour elle une congrégation. C'est dans ce domaine que l'évolution est la plus sensible. Les congréganistes furent autorisés à rentrer en France en 1914, à l’heure de l'Union sacrée, et l'on ne leur opposa plus désormais le délit de congrégation non autorisée. Elles se reconstituèrent sous forme d'associations de droit commun de la loi de 1901.

Le régime de Vichy relançae le processus de reconnaissance légale (les Chartreux) et surtout en simplifia la procédure, en prévoyant un décret en Conseil d'Etat. Cependant, les bénéficiaires potentiels hésitèrent alors à profiter trop ostensiblement des faveurs du régime de Vichy, tandis qu'à la Libération, le général de Gaulle préféra laisser la procédure en sommeil. Mais, remise en vigueur à partir de 1970, celle-ci connaît aujourd’hui un grand succès : les congrégations catholiques obtiennent facilement la reconnaissance légale et jouissent ensuite d’une grande liberté. La Province de France de la Compagnie de Jésus vient d’obtenir la reconnaissance légale, ce qui eût semblé impossible il y a quelques années. Le contrôle administratif, plus léger que celui qui régit les fondations, est surtout protecteur de leurs biens et intérêts.

Finalement, la reconnaissance légale concerne très vite des congrégations non catholiques, orthodoxes, bouddhistes (1987), puis protestantes. L’Administration, avec l'attention bienveillante du Conseil d'Etat, doit vérifier la réalité de la vie commune consacrée et préciser l'autorité religieuse de référence : les congrégations orthodoxes, par exemple, relèvent de différents patriarcats situés souvent à l'étranger, les bouddhistes de différentes écoles. Une telle évolution renvoie la question, tant à l'Etat qu'aux différentes religions, de ce qu'il convient de considérer comme une congrégation. De nouvelles communautés de croyants regroupent parfois des couples ou des laïcs non consacrés qui cherchent à mener des temps de vie spirituelle commune, tout en continuant à vivre dans le monde - ainsi les membres de mouvements charismatiques. Le terme de "congrégation" est appelé à évoluer encore, sous l'influence de la demande sociale, mais aussi des formes nouvelles de vie religieuse.

L'Eglise catholique a compris les avantages de la laïcité et la sphère de liberté que celle-ci lui offrait, tandis que le législateur accordait de nombreux avantages aux associations cultuelles (de la possibilité de garanties d'emprunt, à la loi sur le mécénat permettant la déductibilité fiscale des dons manuels aux associations cultuelles, en passant par la loi de 1978 sur la protection sociale des ministres du culte avec la création de la Camac et de la Camavic dont l'équilibre est assuré par le régime général de sécurité sociale). Cependant, les termes d'Eglise, de culte ou de congrégation ont vu leurs contours juridiques évoluer très largement, en un siècle; ils nécessitent sans doute plus de précisions aujourd'hui.

Débattre du contenu de la laïcité

La discussion sur la laïcité est toujours prête à ressurgir à propos de la place des religions dans la société et de leurs relations avec l'Etat. Elle se complique souvent par le débat entre deux conceptions de la laïcité, l’une d'abstention et de respect des religions, et l’autre de combat, anticléricale, voire antireligieuse. Certains veulent exclure absolument les religions de la sphère publique, leur déniant toute légitimité dans le débat public, sur les problèmes de société ou les problèmes éthiques. Ils s'appuient, dans leur vigilance à exclure les religions, sur une lecture littérale de l'article 2 de la loi de 1905 "la République ne reconnaît, ne salarie, ni ne subventionne aucun culte", en refusant tout signe de reconnaissance officielle, sans comprendre qu'il s'agissait, pour le législateur, de rompre avec la reconnaissance juridique, au sens des cultes reconnus du Concordat et des Articles organiques, en oubliant de lire les autres articles de la loi, à commencer par son article 1. Toute liberté peut vite devenir formelle, si l'Etat ne garantit pas les conditions matérielles de son exercice, ceci étant particulièrement vrai du libre exercice des cultes.

On a souvent dit que la loi de 1905 privatisait la religion; or ce qu’elle régit, c’est le culte public (et non le culte privé) : elle veille à son exercice, qu'elle organise dans un cadre associatif, avec l’existence de personnes morales. Les cultes deviennent des associations comme les autres, spécifiques, certes, dans leur objet comme dans leurs avantages - fiscaux en particulier -, qui les assimilent à des associations reconnues d'utilité publique (ARUP) dont la puissance publique continue à suivre la vie (dissolution ou fusion, par décrets publiés au JO). Par ailleurs, la loi de 1905 ne règle pas le régime des cultes sur tout le territoire de la République : elle permet le maintien du régime des cultes reconnus en Alsace Moselle, la reconnaissance du seul culte catholique en Guyane, la nomination par le Préfet des autorités religieuses musulmanes à Mayotte...

On pourrait également souligner que, si les religions ont perdu de leur puissance sociale (diminution des pratiques, faiblesse de l'enseignement religieux, remise en cause des règles éthiques, contraception, avortement...), l'Etat a de plus en plus tendance à s'adresser à elles comme à des partenaires, voire comme à des instances de légitimation (Mission du dialogue en Nouvelle Calédonie, Comité national d'éthique, Haut Conseil à l'intégration...). Pourtant, les religions voient leur place dans la société souvent condamnée ou leurs prises de position ridiculisées : il reste en France un anticléricalisme latent, aux racines profondes. La cause ne se trouve-t-elle pas souvent dans l'intransigeance des Eglises ? L’image d’une soif de pouvoir ou d’un manque de compréhension sont souvent l’origine de blessures. Des craintes se sont encore exprimées lors des voyages du Pape en France, lors de la commémoration du baptême de Clovis ou des JMJ.

Certains secteurs sont plus sensibles : l'école publique, lorsque des expositions à thème religieux sont présentées dans les locaux scolaires ou en présence de personnalités religieuses, même en dehors des horaires scolaires. Des associations éprouvent des difficultés, lors de rassemblements, pour obtenir l’usage de salles publiques, non pas pour des conférences, mais pour des célébrations religieuses. Le problème se pose aussi pour l'utilisation de locaux cultuels, pour des débats à caractère politique ou social, quand on veut appliquer strictement la loi de 1905. De même à propos du contrôle du contenu des émissions religieuses sur les chaînes publiques : certains aimeraient que les religions oublient les problèmes de la terre; or une telle attitude irait à l'encontre de l'incarnation de toute foi, de la foi chrétienne en particulier.

On a aussi voulu appliquer aux associations cultuelles l'interdiction faite aux dirigeants des associations loi de 1901 d'être salariés de ces associations à titre principal (seules des indemnités ou des remboursements sont admis). Mais comment rémunérer alors les évêques, prêtres et pasteurs, appelés à présider ces associations ou au moins à faire partie de leurs conseils ?

De nouveaux problèmes

La loi de 1905 n'avait pas prévu les "clochers du futur" : elle s'était surtout occupée de régler les problèmes du passé et d'assurer le transfert de propriété des biens des établissements publics du culte aux communes pour les édifices (à l'Etat pour les cathédrales) et aux associations cultuelles pour les autres biens, surtout mobiliers.

Si les règles concernant l'affectation des édifices aux ministres du culte sont claires (elles n'ont suscité des controverses que dans les cas de schisme, avec la Fraternité Saint Pie X et l'occupation de Saint Nicolas du Chardonnet) et laissent au propriétaire la charge de l'entretien, il n'en est en pas de même pour la construction de nouveaux édifices, où l'on a recours aux expédients... dont ne peuvent guère profiter aujourd'hui les "nouveaux" cultes. Parmi ces expédients :

- la pratique du bail emphytéotique, à partir des Chantiers du cardinal, offrant à la cultuelle la disposition pour le franc symbolique du terrain d'assiette ;

- des garanties d'emprunt par les communes pour les zones d'urbanisation nouvelle où des édifices du culte sont nécessaires...

- des projets mixtes (la partie cultuelle à la charge de l'association, la partie d'intérêt général subventionnée par des fonds publics...).

Par ailleurs, les collectivités peuvent aider à l'entretien des édifices, propriétés des associations cultuelles. Cependant, cette possibilité n'est pas un droit et laisse beaucoup de flou, source d'inégalités.

Bien sûr, la loi de 1905 n'a pas prévu l'arrivée de nouveaux cultes, l'islam, le bouddhisme, l'hindouisme.. Il existe une "prime" aux anciens cultes reconnus ( leurs représentants sont les seuls reçus lors de la cérémonie des vœux à l'Elysée). Certaines religions ont su se mouler dans des formes non imaginées à l'origine pour eux, par exemple le bouddhisme dans les congrégations reconnues.

Ces cultes "nouveaux", égaux en droit, sont victimes d'inégalités de fait, qui sont flagrantes, en particulier pour l'islam, et constituent un frein à la pleine intégration des populations musulmanes : manque de mosquées, de carrés musulmans dans les cimetières, d'aumôneries à l'armée, dans les écoles, les hôpitaux et les prisons, de lieux de formation pour les cadres religieux, difficultés d'organisation de l'abattage rituel, des fêtes religieuses, du pèlerinage à La Mecque...

Une meilleure organisation du culte musulman permettrait de résoudre certaines difficultés, mais il faut aussi une évolution des mentalités : considérer que l'islam fait pleinement partie du paysage religieux français et que les musulmans ont droit à avoir leurs mosquées, leurs imams..., tout en respectant les lois de la République. Sans doute le problème n'est-il pas tant de savoir si l'aide publique nécessite de modifier la loi de 1905 que d’en utiliser toutes les possibilités.

Nouveaux mouvements religieux et phénomènes sectaires

En un siècle, les formes du religieux ont profondément changé : l'on est passé d'un religieux «donné», bien encadré, à un religieux de consommation, où les structures comptent moins, où l'on zappe, où l'on recherche les groupes chauds, qui utilisent les techniques de développement de la personnalité 3. On observe le succès des communautés nouvelles à l'intérieur des religions traditionnelles, qui peuvent être considérées comme des mouvements de réveil (renouveau charismatique, par exemple). Mais on assiste aussi au développement de nouveaux mouvements, d'orientations très diverses, issus de spiritualités orientales, ou ancrés dans l'idéologie vague du "new age". Ces mouvements religieux ont souvent leurs racines et leurs organisations centrales aux Etats-Unis.

Ainsi se pose aux pouvoirs publics le problème des "sectes", dont les agissements peuvent être dangereux et l’idéologie contraire aux principes républicains, à la démocratie ou aux droits de l'homme. Plusieurs rapports parlementaires se sont faits l'écho des inquiétudes de l’opinion publique, à la suite d'attentats (secte Aoum), de suicides collectifs (ordre du Temple solaire, Davidiens) de pratiques de prostitution, de violence et de détournements d’enfants, ou plus généralement d’accusation d'extorsion de fonds (Scientologie). Contre ces agissements répréhensibles, la justice est intervenue, tardivement certes, mais avec efficacité, dans la mesure où ces mouvements ne disposaient pas de hautes protections contrariant l'action publique. Dans les milieux «laïcs», l'inquiétude s'est développée à partir du moment où certains ont pris conscience que les pouvoirs publics étaient démunis pour lutter contre des croyances. En effet, depuis la loi de 1905, l'Etat n'est plus légitime pour définir le religieusement correct et poursuivre des croyances "non reconnues". Ils ont été alertés par des organisations d'information spécialisées (Centre d'information contre les manipulations mentales, Centre Roger Ikor).

Pour répondre aux menaces sectaires, différents organismes ont été créés : l'Observatoire sur les sectes, puis la Mission interministérielle de lutte contre les sectes, placée auprès du Premier ministre, et s'appuyant sur des comités départementaux.  Mais on bute toujours sur la difficulté à définir une "secte" autrement que par les délits qu'elle commet. Autant la législation facilite la possibilité pour les associations de lutte contre les sectes de se porter partie civile, autant il est difficile d’aller au-delà de ce que le Code pénal réprime, surtout si les victimes sont des adultes consentants qui seraient l'objet de "manipulations mentales", ce que l'on pourrait reprocher à toutes les religions et philosophies, y compris les mouvements politiques. Mais le danger de sectarisme, cette fois dans une acception plus large, nous menace tous, et c'est à ce niveau qu'il faut être vigilant.

Cette vigilance serait renforcée si l'on développait la connaissance des religions. Or cette formation impose une relecture de la laïcité, en particulier à l'école. L'inculture religieuse et l'absence de repères éthiques et spirituels de beaucoup de nos contemporains peuvent les livrer sans défense aux démarchages bien organisés de mouvements sectaires qui savent répondre aux besoins réels d'épanouissement affectif et spirituel ,de leurs victimes. Mais on se heurte ici à des blocages autour de la notion de laïcité. On confond souvent l'obligation de neutralité du service public et des fonctionnaires, qui doivent traiter les usagers sans discrimination, avec la liberté d’opinion des usagers, seulement obligés de respecter les lois et l'ordre public. Ensuite, l'école laïque a trop longtemps considéré la religion et la spiritualité comme des sujets tabous, par crainte de parler de ce qui divise. S'il faut veiller à ne pas troubler les consciences (il serait bon de relire, pour cela, la lettre de Jules Ferry aux instituteurs), il est impossible de passer sous silence certaines dimensions de l'homme, d'ignorer la Bible ou le Coran, de ne pas parler de l'influence culturelle des religions, en évitant bien sûr tout prosélytisme et en abordant ces sujets de façon ouverte et tolérante, dans le sens d'un dialogue des religions et des cultures. Les enseignants se sentent souvent mal à l'aise pour traiter de ces questions, même lorsqu'elles sont inscrites dans les programmes, en littérature, histoire ou instruction civique. Il faut donc appeler à un effort d'information, de formation pratique des enseignants, en particulier dans les IUFM. Si l'on nie ou si l'on occulte les religions et la spiritualité, elles risquent de réapparaître sous des formes dévoyées. Cette ouverture, bien sûr, ne pourra se réaliser que dans un débat franc et rigoureux entre les religions et les défenseurs de la laïcité philosophique, qui se veulent, eux aussi, porteurs d'un idéal et d'une spiritualité humaniste.

Les lois de 1901 et de 1905, dans les aspects qui touchent aux rapports des religions et de la société, ont montré leur capacité à s’adapter à des situations historiques concrètes bien différentes. Issues d'un contexte de combat idéologique et politique, elles font aujourd'hui l'objet d'un large consensus.

Leurs principes, et même leurs intuitions, demeurent féconds pour assurer, aujourd'hui encore, la paix sociale et l'intégration de nouvelles religions et des populations issues de l'immigration. L'équilibre, certes, est toujours fragile. Comme celui de la démocratie, il est à réinventer chaque jour. Mais nous avons devant nous quelques tâches : clarifier certains termes (cultes, congrégations, Eglises), mieux définir la place légitime des religions dans la société (à condition que celles-ci restent à leur place, que l'Eglise se sache non triomphante – quand bien même elle est appelée au triomphe dans la parousie-, toujours militante certes, mais d'abord servante et humble), et surtout permettre une meilleure connaissance des religions. Ainsi, nous favoriserons un dialogue en vérité et sans compromission entre les différentes spiritualités, en faisant œuvre de discernement, en permettant d'éviter les dévoiements ou les caricatures de la religion que certains mouvements sectaires, comme certains anticléricaux, se plaisent à donner... parfois involontairement.



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1 / Pour tout ceci, je renvoie à l'excellent ouvrage de Jean-Marie-Mayeur, La séparation des Eglises et de l'Etat, Editions ouvrières, 1991.

2 / Voir Pierre Sorlin, La Croix et les Juifs, Grasset, 1967.

3 / Voir la revue Futuribles et les travaux de Françoise Champion, Martine Cohen, Jean-Paul Willaime...


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