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Elles sont rarement sous les feux de la rampe. Pourtant, avec plus de 16 millions d’habitants, elles forment un large pan du tissu urbain de la France. Les villes moyennes sont parfois considérées comme le maillon faible, témoins d’un autre temps où les cités quadrillaient et animaient le territoire, héritières souvent de comtés ou de seigneuries, lieux d’une vie « provinciale », certes attachées à leur histoire mais aujourd’hui dépassées, appelées à végéter repliées sur elles-mêmes. Quand on parle de la ville aujourd’hui, on pense d’abord aux grandes métropoles, toujours en extension, à leur dynamisme ou à l’explosion de la mixité qu’elles accueillent, à leurs encombrements, à leurs fractures… Les villes moyennes sont coincées entre l’attachement toujours porté par les Français aux territoires ruraux et l’inéluctabilité d’un mouvement de métropolisation.
Les grandes agglomérations captent les regards, les programmes, les financements. Dans une période où la compétitivité est la règle, ce sont elles qui sont appelées à concentrer les leviers du développement, centres de recherche et pôles de haute technologie… Pourtant, les villes moyennes se considèrent comme des points nodaux, charnières entre l’échelle locale et l’échelle nationale, pouvant proposer en même temps emploi et cadre de vie – si on ne les laisse pas dépérir.
Mais qu’est-ce qu’une ville moyenne ? C’est, pour reprendre les critères de la Fédération de leurs élus (la FMVM), une aire urbaine de 20 000 à 100 000 habitants qui joue un vrai rôle de centre dans un bassin de vie proche, qui remplit une fonction dans l’offre de services publics et de services tout court. Elles sont plus de 250 en France – Agen, Arras, Belfort, Cahors, Chambéry, Épernay, Gap, Laval, Mâcon, Périgueux, Saint-Brieuc, Troyes, Verdun… –, mais leur définition est très élastique : des chefs-lieux qui n’atteignent pas tout à fait les 20 000 habitants mais qui, comme Foix ou Mende, sont aussi des pôles urbains pour un bassin rural.
Ces villes moyennes n’ont guère été l’attention des politiques publiques d’aménagement, préoccupées avant tout des grandes agglomérations (jusqu’à la labellisation promise à quelques « métropoles ») ou de l’avenir du tissu rural (jusqu’à la création de « pôles d’excellence rurale ») : les territoires charnières doivent se débrouiller par eux-mêmes. Mais les restructurations économiques et celles de la présence de l’État les atteignent gravement. Elles regroupaient un grand nombre d’emplois publics grâce à la présence d’administrations. Une logique financière de recentrage les vide de ces emplois. Les reconfigurations des cartes administratives (Justice, Trésor, Armée) les affectent au premier chef. Et les grandes entreprises n’ont plus de complexes à se restructurer à leur tour.
Il est vrai qu’il existe des catégories assez différentes de villes moyennes : des villes enclavées, comme Rodez ou Aurillac, qui jouent pleinement leur fonction de centralité, des villes « en réseau » sur un territoire – en complémentarité et en synergie avec une métropole, comme en Rhône-Alpes, ou en concurrence, comme autour de Toulouse… –, et des villes satellites (Montauban à côté de Toulouse, Évreux, Chartres, Melun, qui certes sont des centres mais se développent en lien avec la capitale…)
Mais quelle que soit leur situation, les villes moyennes entendent répondre au défi de leur avenir, vitaliser leur développement économique, créer des emplois, tout en préservant leurs atouts – ceux de leur cadre de vie. Depuis environ cinq ans, elles ont entrepris avec la Datar un diagnostic portant sur quatre volets d’un dynamisme à soutenir : l’accessibilité, le renouvellement urbain, la santé, l’enseignement supérieur.
Il y a 20 ou 30 ans, on avait vu fleurir les antennes des grandes universités dans les villes moyennes. Celles-ci avaient vigoureusement soutenu ces délocalisations qui leur permettaient de garder des jeunes et de conforter un développement économique en lien avec les formations dispensées. Aujourd’hui, ce mouvement risque de s’inverser. Les grandes universités veulent grossir, entraînées elles aussi dans une logique de compétitivité, et regardent d’un peu haut ces petits équipements sans grands moyens ni prestige.
Pourtant, ces antennes peuvent être aussi des lieux d’une véritable créativité. Non seulement elles permettent à des étudiants d’avoir accès à l’enseignement supérieur, mais elles ouvrent des filières liées réellement à l’emploi local. Elles constituent un écosystème formation-emploi permettant à des jeunes de rester sur le territoire où ils ont été formés. Les élus sont habitués à travailler avec les universités et les chefs d’entreprise, pour réfléchir aux voies d’un développement économique. Ainsi, à Saint-Dié se sont implantés des créateurs de logiciels, et à Quimper des entreprises de l’agroalimentaire. La taille des universités est-elle le seul critère ? Les étudiants des villes moyennes réussiraient-ils moins bien ? Un laboratoire qui trouve est-il nécessairement grand et les chercheurs ne sont-ils pas appelés à travailler en réseaux grâce aux nouvelles technologies ?
À Troyes, à Compiègne, à Tarbes… des établissements ont réussi à se faire une place reconnue et sont en extension. Plus modestement, mais aussi efficacement, les Iut jouent un rôle essentiel pour les professions de santé ou agricoles, par exemple. Mais, ailleurs, l’autonomie accordée aux universités confortera sans doute la coupure entre grandes et petites. Sauf si elles ont su se développer en se spécialisant, celles-ci voient leur avenir incertain, même si les formations Bac +2 qu’elles continuent à proposer peuvent être un véritable sas pour beaucoup.
La carte hospitalière est en cours de restructuration. L’offre sanitaire, plus largement, risque de souffrir de déséquilibres. Dans les villes moyennes, on ne trouve pas de grands équipements. Mais les centres hospitaliers sont adossés aux Chu des villes universitaires. Faut-il pour autant que celles-ci concentrent tout, ou réfléchit-on à une répartition de quelques spécialisations, en confortant là aussi un travail en réseau ? Cela ne signifie pas que chaque ville doive tout faire en matière de santé, mais qu’elle soit aidée à financer une vraie accessibilité à l’offre de soins (par exemple, Aurillac investissant dans un hélicoptère plutôt que dans un nouveau centre cardiologique…).
Mais quand la démographie médicale touche de plus en plus de villes moyennes (hormis dans le sud méditerranéen), que les spécialités s’y font plus rares, quand ce sont même les médecins généralistes qui sont en nombre insuffisant (à Saint-Omer, à Fécamp…), les villes demandent qu’on soutienne la création de centres de santé, avec l’aide des Agences régionales de Santé nouvellement créées. Sur ce point, beaucoup reste à faire.
La question de l’accès à la santé, importante pour la qualité de vie, affecte de plus en plus les villes du grand Nord-Est et du Massif Central. Pourtant, la formation des médecins se fait grâce à la solidarité nationale. L’engagement d’un retour de cette solidarité par une présence – au moins temporaire – sur tout le territoire sera-t-il toujours tabou ?
À côté des grands ensembles des banlieues sur lesquels les projecteurs sont braqués, il existe de petits îlots dans les villes moyennes en province, où quelques-uns « pourrissent » le quartier, faisant parfois la une de l’actualité (comme Saint-Dizier). Mais à côté de quelques opérations Anru, les villes moyennes sont préoccupées par les risques de dégradation de leur centre. Leur fort patrimoine est à la fois atout et contrainte. Car ces centres se vident, au bénéfice de périphéries où se sont implantés commerces et loisirs. Les villes ont choisi, surtout, de mettre l’accent sur la rénovation des quartiers autour des gares, appelées à devenir plus que jamais les « portes » des cités, grâce à une meilleure accessibilité (arrivée de Tgv et autres Ter). Elles y voient un enjeu de développement économique nouveau. Dans les grandes villes, la refonte de cet environnement des gares est déjà bien avancée. Les villes plus modestes n’en sont qu’au début, mais elles y voient un enjeu pour attirer des activités. Chartres, par exemple, a mis ne route un vaste projet de développement autour de la gare.
Certaines villes moyennes sont desservies par un Tgv, d’autres par des « Intercités » (ou des trains corail), d’autres demeurent très isolées. Les logiques de rentabilité immédiate sont là aussi à l’œuvre. Le réseau Sncf se restructure : les dessertes se font plus rares, du coup moins de voyageurs prennent le train, entraînant de nouvelles réductions… Même l’arrivée du Tgv n’est pas toujours bénéfique. Ainsi, à Châlons en Champagne où certains Tgv s’arrêtent, d’autres lignes ont été fermées et finalement la desserte n’a pas nécessairement été améliorée. Les villes moyennes se mobilisent pour un aménagement équilibré : pour qu’on puisse aller en train jusqu’à Aurillac ou Le Puy ! Par exemple, en prolongeant le Tgv jusqu’à Saint-Étienne, où l’on créerait un « hub » en intensifiant les liaisons avec les autres villes… Mais comme Le Puy n’est pas dans la même région que Saint-Étienne, la responsabilité en est renvoyée de l’une à l’autre.
Les villes moyennes peuvent être des villes de projets. Des projets qui englobent l’espace dont elles sont le centre et qu’elles animent. Depuis longtemps, elles ont su que l’intercommunalité était pour elles une nécessité : elles s’y sont mises les premières – pratiquement toutes, sauf cinq ou six. L’attractivité touristique, les transports de proximité (bus scolaires ou navettes vers les gares), la gestion des déchets, nombre d’équipements sont gérés à cet échelon. Les bourgades et les petites villes n’auraient pas les moyens d’y faire face. Pour vaincre les réticences – les petits ont toujours peur d’être avalés –, les villes centres ont accepté de ne disposer que de 30 à 35 % des voix au sein de l’intercommunalité, même si elles représentent 70 % de la population. Les enjeux d’un vrai projet dynamique demandent aujourd’hui de rééquilibrer la représentation : un texte de loi prévoit de mieux tenir compte du poids démographique. Mais le projet sera toujours élaboré en partenariat, dans une interconnaissance que favorise la proximité. La démocratie participative y est plus naturelle : le maire est connu de tous, des conseils de quartier existent même si la commune n’atteint pas le seuil de 50 000 habitants, les acteurs associatifs, économiques ou publics se rencontrent facilement et s’impliquent dans la vie de la cité…
Chaque ville est ainsi appelée à entrer dans une démarche de développement à partir de son histoire, de son patrimoine, pour définir sa stratégie. Le risque de notabilisation des élus locaux est réel, mais en même temps, leur longévité est souvent un atout pour mettre en perspective dans la durée ce projet d’une ville. Saint-Nazaire, par exemple, n’a connu depuis des années que deux maires : ils ont su s’appuyer sur les caractéristiques de leur cité, les chantiers navals, y compris les anciens blockhaus ! Une nouvelle figure urbaine s’est forgée tout autour, avec une véritable identité – y compris en réaménageant le bord de mer devenu lieu d’un parcours historique. De même, Verdun a bâti un projet à partir de sa citadelle, avec un volet culturel et touristique, créateur d’emploi.
La ville moyenne peut être une ville où il fait bon vivre, quand elle est en réseau, économique et technologique, quand elle ne se replie pas sur elle-même, qu’elle n’en reste pas à la nostalgie des riches heures du passé mais qu’elle est en mesure d’affronter les défis d’une attractivité à retrouver. Sa chance est de pouvoir conjuguer histoire et inventivité pour permettre à ses habitants de vivre l’expérience d’une « cité ». La communauté (la civitas) peut y être sensible plus fortement que dans la métropole. L’espace y est naturellement organisé et non seulement colonisé par les flux de circulation. Le lien entre l’urbain et le citoyen y est peut-être plus solide, même si le « faire société » comme ailleurs est moins immédiat qu’auparavant. Nous avons besoin de villes moyennes heureuses, leur enjeu écologique et économique est celui de tout le territoire.