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En 2008, la France et quatre autres pays européens ont fait jouer la clause de sauvegarde pour s’opposer à la culture du maïs MON810. Un avis du 22 décembre 2009 du Haut conseil des biotechnologies (HCB) a confirmé les a priori négatifs contre lui. Le conseil repère les risques d’extension incontrôlée de la culture transgénique, son impact sur les insectes, dont les abeilles, les animaux d’élevage et la santé humaine. Si les effets indésirables observables à l’heure actuelle sont limités, il est « difficile de conclure à une absence totale de risque ». Des conclusions bien plus prudentes que celles de l’Agence européenne de sécurité des aliments (AESA) qui affirme quelques mois plus tard l’innocuité de ce même maïs. Suite à la remise en cause par la Cour de justice européenne de la suspension par la France de la culture du MON810 sur son territoire, le Conseil d’État annule, en novembre 2011, la clause de sauvegarde de 2008. Le gouvernement français persiste pourtant dans sa position, proposant de prendre « une nouvelle clause de sauvegarde », avant la prochaine saison de semis. Entre temps, des études chinoise et américaine ont donné d’autres arguments scientifiques qui montrent l’apparition de formes de résistances nouvelles par les insectes ciblés1.
L’introduction du soja MON87701 n’est guère plus simple. Le HCB, après un avis négatif en décembre 2010, émet un avis positif en octobre 2011. La toute jeune Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses), créée un an plus tôt par la fusion de deux autres agences, se montre elle aussi positive. Son avis s’appuie sur les réponses données par Monsanto, à la suite du constat d’un taux anormal de mortalité chez des poulets en croissance : celui-ci ne relèverait que de biais méthodologiques. Or, comme le note le rapport du Haut conseil des biotechnologies, d’autres questions restent en suspens, telles que l’implantation de telles plantes dans les territoires d’outre-mer français, où les conditions d’essaimage des pollens sont très éloignées de celles expérimentées en métropole. Ces réserves n’empêchent pas la France et plusieurs pays européens de donner leur feu vert pour une éventuelle culture de cette plante génétiquement modifiée (PGM), en attendant une décision de la Commission européenne, imperturbablement favorable.
Pourtant, à chaque nouvelle production de PGM, les mêmes questions réapparaissent : évaluation scientifique des pratiques et de leur contrôle, estimation du rapport avantage/inconvénient de toute nouveauté, principe de précaution au nom des générations futures…
Sur le plan scientifique, la lutte continue de faire rage, de part et d’autre, pour démontrer, qui l’innocuité, qui la dangerosité des PGM. Une mission quasi impossible désormais, quand l’argumentaire est de plus en plus parasité par les énormes conflits d’intérêts autour de ces biotechnologies issues et financées pour l’essentiel par de grands groupes industriels de l’agroalimentaire mondial. La difficulté à obtenir des études réalisées dans un cadre impartial et indépendant montre à l’évidence que les enjeux économiques priment dans le débat intellectuel2, qui ne se joue pas qu’entre partisans ou opposants aux OGM : il est d’abord celui de la validation plus ou moins démocratique de choix industriels qui s’imposent à nos sociétés, au nom d’intérêts qui ne participent pas d’abord du bien commun. La conséquence est la perte de crédibilité du discours scientifique et de sa prétention rationnelle et la méfiance envers des technologies aussi puissantes.
Bien commun et principe de non-nuisance, voilà deux référentiels de l’éthique judéo-chrétienne qui peuvent offrir une bonne grille de lecture. Si le déchiffrage, au début du deuxième millénaire, du génome humain a souligné la nécessité de respecter ce patrimoine génétique commun, la multiplication des incursions de la génétique reconstructiviste au sein des organismes végétaux et animaux devrait inciter à une prudence similaire. « D’abord, ne pas nuire! », rappelle le principe de précaution. Cette maîtrise volontaire de la puissance de nos technologies constitue un défi redoutable pour l’avenir, d’autant plus que les mutations introduites seront irréversibles et non confinables.
La question sanitaire est au cœur du débat démocratique. La position du gouvernement français, pour l’heure assez réticente aux PGM cultivés en France, repose pour l’essentiel sur un souci légitime de la sécurité sanitaire des aliments pour les animaux et les humains. La crise de la vache folle a laissé des traces. C’est bien parce que les PGM sont le fruit d’un rapport de plus en plus technicisé et réductionniste à la nature, que les opinions publiques européennes sont toujours plus méfiantes. Ce qu’exprime aussi le souci d’une alimentation saine. Comme le montre l’émergence d’une demande grandissante de produits bio ou locaux, dans une société française pourtant peu encline encore à l’écologie politique. Il ne s’agit pas là d’une mode mais d’un mouvement qui exprime la nécessité de maîtriser au quotidien un certain nombre d’espaces privés où la confiance peut opérer. L’alimentation en est un, et pas des moindres. Une confiance que l’outil transgénique vient rompre.
Au final, les derniers rebondissements concernant l’autorisation de plantes génétiquement modifiées montrent que les débats issus de la transgénèse ne sont pas prêts d’être clos. À la complexité du dossier scientifique, peu accessible à la grande majorité des citoyens et des décideurs, s’ajoute l’interférence d’enjeux économiques colossaux qui déstabilisent de bien des manières le lent travail de décryptage démocratique. La collusion des intérêts mine lentement l’édifice social, au profit du cynisme et du court terme. Ce qui n’est pas de bon augure pour le discernement éthique nécessaire pour accompagner les nouveaux possibles des biotechnologies. Les « lanceurs d’alertes » et les « faucheurs volontaires », même dans leurs formes caricaturales, ont au moins eu le mérite de rappeler à tous que les technologies ne peuvent pas s’imposer de fait. Ils préparent des formes de contestations démocratiques que le mouvement des Indignés développe à sa manière à travers le monde. On peut en sourire. Ou bien y lire un signe important pour nos temps de crise et de mutations.
Notes
(1) Il faudrait aussi évoquer la présence de pollens OGM dans des produits d’alimentation humaine tels que le miel dont la Cour de justice de l’Union européenne stipulait en effet que du miel contenant de tels pollens ne pouvait être commercialisé sans autorisation.
(2) Une étude récente parue dans la revue Food and Chemical Toxicology (2011) annonçait des résultats définitifs sur la question en faveur des PGM. Une généticienne, Agnès Ricroch, affirmait au terme de cette étude : « Là maintenant, le débat sur les OGM d’un point de vue sanitaire est clos. » Une prise de position pour le coup bien peu scientifique!