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Le défi d'une crise nucléaire durable

©gadl/Flickr/CC
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Du 11 mars au 29 avril 2011, le centre technique de crise de l’Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN), à Fontenay-aux-Roses (Hauts-de-Seine), a suivi heure par heure les événements sidérants qui se déroulaient, à 10000 km de là, à Fukushima. Une mobilisation sans précédent de plus de 200 personnes pour décrypter les informations partielles reçues de l’exploitant et de l’agence japonaise et avancer des modèles d’interprétation et de prévision. L’IRSN a ainsi pu proposer un modèle de l’évolution du panache radioactif émis par la centrale qui fut repris par certaines autorités japonaises elles-mêmes. Cette importante mobilisation témoigne que vingt-cinq ans après Tchernobyl, la culture du « mensonge » n’est plus partout à l’ordre du jour. Pour autant, la crise japonaise se poursuit.

Sur d’autres plans également, « il y a clairement un avant et un après Fukushima, confirme un ingénieur travaillant dans une centrale française. Jusque-là, le nucléaire japonais était censé être le dernier endroit où un tel accident pouvait survenir. Imaginez le choc… » Des témoignages racontent que pour certains de ces ouvriers de la première heure de la technologie nucléaire, cette catastrophe fut accueillie comme une révélation. « Il est temps désormais de passer à autre chose… »

Penser autrement la sécurité

Mais avant que le paquebot de l’énergie en France ne change de cap, il faudra sans doute encore bien d’autres prises de conscience. Jacques Repussard, le directeur général de l’IRSN, rappelle combien Fukushima entraîne une rupture épistémologique. « L’accident a montré, pour la première fois, qu’un événement naturel extrême, engendrant des contraintes très supérieures à celles retenues lors de la conception d’une centrale nucléaire, pouvait conduire à un accident de fusion du cœur. » Et d’en tirer les conséquences : il s’agit de changer rapidement de paradigme dans la prise en compte du danger au sein de la filière des installations nucléaires françaises. On ne peut plus se contenter de « marges de sûreté », que l’impossible tsunami, pourtant bien réel, a balayées avec lui1. Il s’agit de repenser la préservation globale des fonctions vitales de sûreté des installations, « en toutes circonstances d’agression environnementale physiquement possible ». Cela passerait par la mise en place d’un « noyau dur » constitué d’équipements permettant de gérer les situations extrêmes auxquelles eux-mêmes auront dû résister. Prévoir ainsi la gestion de l’accident, pensé auparavant comme improbable, représente une révolution psychologique dans le nucléaire français2. Les évaluations complémentaires de sûreté, en cours dans les centrales françaises, vont objectiver le travail qui reste à faire pour arriver à mettre en place de tels noyaux durs. La mobilisation des commissions locales d’information [dont l’association nationale a mis en place un groupe permanent « Post-accident et territoires »] est aussi significative. Le 14 septembre dernier, une cinquantaine de leurs membres, réunis à Paris, ont demandé des éclaircissements techniques aux instances françaises sur la gestion d’événements tels que séismes, inondations, perte de source froide, perte de source électrique ou autres événements graves. Le droit de regard et d’information du grand public serait-il en train de reprendre du poil de la bête?

L’autre « noyau dur »

Mais la conversion n’est pas que dans la réponse classique du monde de l’ingénierie (une réponse technique à des questions techniques), comme l’a souligné la gestion de Fukushima. Car le facteur humain doit être pris en compte au sein de ces installations complexes hypersécurisées. 80 % des incidents survenus l’année passée dans les centrales françaises sont ainsi liés à ce facteur humain, du fait de procédures à améliorer ou d’actions inappropriées. Ce noyau dur là sera difficile à renforcer. D’autant que le contexte économique pousse au recours à la sous-traitance industrielle jusque dans les installations, avec la perte de savoir-faire et de remontée d’expériences que cela entraîne. Sans parler de la faiblesse criante de surveillance des opérations ordinaires au sein des centrales. Au point qu’un décret paru au Journal officiel le mois dernier rappelle ce qui aurait dû être une évidence pour tous : « La surveillance de l’exécution des activités importantes pour la protection réalisées par un intervenant extérieur doit être exercée par l’exploitant, qui ne peut la confier à un prestataire » (art 2.2.3).

Gérer l’accident dans la durée

Un accident de cette ampleur bouscule aussi tous les schémas classiques de la gestion des catastrophes. Les nouvelles qui continuent d’arriver de Fukushima, un an plus tard, par des canaux bien peu relayés dans les grands médias, soulignent l’ampleur de la tâche. La gestion d’un site surcontaminé s’avère incroyablement complexe : on l’envisage aujourd’hui sur une échelle de trente ans au moins. Les régions contaminées pâtissent aussi d’effets incontrôlables et souvent inattendus : « L’accident a eu un impact sans précédent sur le milieu marin, soulignant nos lacunes en expertise de crise. (...) Quelles espèces marines vont être le plus touchées? La baignade peut-elle être autorisée? », s’interroge Didier Champion qui travaille à l’IRSN sur l’organisation de crise en cas d’accident nucléaire en France. Même la zone terrestre contaminée ne s’est pas laissée enfermer dans les cercles concentriques qui devaient délimiter les zones à risque autour de la centrale : au lieu des 20 ou 30 km habituels, on préfère aujourd’hui envisager plutôt 50 km, suite à Fukushima. Devant le défi de l’évacuation des populations autour du site, les autorités ont été obligées de modifier les seuils de contamination acceptables pour limiter le nombre de personnes concernées. Pourtant, un avis de l’IRSN émis en avril 2011 montrait déjà que 70000 Japonais vivant jusqu’à 80 km de la centrale étaient susceptibles de recevoir des doses supérieures à 10 millisieverts (mSv) dans l’année à venir3. Les mesures ont établi que dans certains secteurs (représentant près de 2000 personnes), les doses atteignaient entre 100 et 500 mSv par an.

Alors que la vie continue au Japon, le mois de mars est aussi celui de l’ouverture de la pêche en rivière. La saison des pollens s’annonce d’ici quelques semaines. Plusieurs mesures attestent dans ces différents cas de la présence de contaminations élevées, souvent bien au-delà des régions proches de Fukushima. Le Japon n’a pas fini d’en découdre avec ce danger diffus. Il serait bon qu’en France aussi, on en tire les conséquences.

Notes

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(1) L’inondation survenue en 1999 à la centrale du Blayais avait pourtant déjà montré que le cumul des agressions climatiques ou naturelles était aussi une possibilité en France.

(2) Notons que l’Autorité de sûreté nucléaire a développé depuis cinq ans une approche post-accidentelle (au sein du Comité directeur gestion de phase post-accidentelle).

(3) Le sievert est l’« unité utilisée pour donner une évaluation de l’impact des rayonnements sur l’homme » (lexique du Commissariat à l’énergie atomique et aux énergies alternatives). En France, la dose autorisée est d’un millisievert par an…


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