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« Toute personne a un prix, l’important est de savoir lequel », disait cyniquement le narcotrafiquant Pablo Escobar. Le marché peut-il tout monétiser ? Le marché peut-il tout vendre et tout acheter ? Étonnamment, la réponse est positive à la première question et négative à la seconde. Et c’est souvent parce qu’on ne distingue pas ces deux questions qu’on se perd dans un labyrinthe sans sortie. L’achat ou la vente de certains biens, tels que la vie humaine, en modifie la nature.
D’êtres libres, l’homme ou la femme marchandisés deviennent esclaves. « Un homme donnerait-il toutes les richesses de sa maison pour acheter l’amour, il ne recueillerait que mépris » (Cantique des cantiques). N’empêche que la valorisation monétaire est partout et s’étend à toute réalité : les objets, les êtres vivants, la planète, l’air, la pollution, l’art, etc. Récemment, lors du procès du Mediator, les victimes réclamaient un milliard d’euros, soit environ 150 000 euros par partie civile. Elles n’ont obtenu que 180 millions, cinq fois moins. Que faut-il en penser ? Le labyrinthe n’est pas loin.
En France, la valeur « statistique » d’une vie a été évaluée à 3 millions d’euros.
En France, la valeur « statistique » d’une vie était évaluée à 3 millions d’euros en 2013, alors que celle d’un Américain tournait autour de 9 millions de dollars et celle d’un Bangladeshi était estimée à environ 5 000 dollars1. Très grossièrement, on peut chiffrer approximativement la valeur d’une Française ou d’un Français à quelque 35 000 euros par année qu’il lui reste, statistiquement parlant, à vivre. Le prix d’une vie est une notion bien définie : la vie d’un jeune vaut plus que celle d’un âgé.
La pandémie actuelle a remis cette question au premier plan. Le « quoi qu’il en coûte » a été analysé en coûts-bénéfices2. N’a-t-on pas trop (ou trop peu) dépensé pour sauver des vies ? En France, le coût cumulé des traitements hospitaliers représentait, en avril 2021, environ 8 milliards d’euros. Sachant que près de 400 000 personnes ont été soignées, on obtient un coût moyen de 20 000 euros par individu. Les mesures de confinement auraient coûté à l’État plus de 200 milliards d’euros, soit 3 000 euros par personne, mais pour combien de vies sauvées ? Impossible à dire. Il suffit de considérer un pays tel que le Brésil pour se rendre compte que l’inaction a un coût exponentiel en vies humaines.
De toute façon, les sommes dépensées sont loin de la valeur statistique des personnes les plus touchées, celles de plus de soixante-dix ans. Comme quoi, l’argent n’est pas le meilleur indicateur pour décider d’une politique. Le gouvernement se serait-il endetté cent fois plus, le résultat aurait sûrement été similaire car les contraintes n’étaient pas d’abord financières, mais structurelles : trop peu de ressources humaines, trop peu d’infrastructures, trop peu d’anticipation, etc. Des biens qui, s’ils peuvent être estimés, ne peuvent être achetés.