Une revue bimestrielle, exigeante et accessible, au croisement entre le monde de la recherche et les associations de terrain.
Pouvez-vous présenter la ville la plus peuplée de Seine-Saint-Denis ?
Saint-Denis, qui compte 110 000 habitants, est une ville marquée par la pauvreté : dans certains quartiers, le taux de chômage est supérieur à 40 %. On trouve aussi de nombreux retraités sous le seuil de pauvreté. Elle est considérée comme la troisième ville la plus pauvre en France métropolitaine, après Aubervilliers et Roubaix. Mais Saint-Denis est également une « ville monde » où se côtoient au quotidien plus de 130 nationalités. La population est très jeune : 45 % des habitants ont moins de trente ans. C’est enfin une ville solidaire et résistante : on dénombre plus de 1 500 associations sur la ville. Chaque jour, je suis témoin de la force de l’engagement bénévole, de celui des femmes en particulier.
Êtes-vous adhérente au Parti communiste, dans une ville où celui-ci est au pouvoir depuis plus de soixante ans ?
Si je partage des valeurs avec les communistes, notamment au sujet de l’accueil des migrants, je n’ai pas pris ma carte. Je travaille de façon étroite avec eux, mais je me sens très libre. C’est pour moi un vrai choix que de rester au niveau de la société civile. C’est aussi un enjeu important : très souvent, lorsque l’on n’est pas d’accord, on ne travaille pas ensemble. On crée sa propre équipe, on se présente contre telle personne, tel parti… Je trouve cela regrettable. Si on n’est pas en capacité de travailler ensemble malgré nos différences, on va droit dans le mur. C’est justement dans ces débats contradictoires que de nouvelles choses peuvent se construire. Après l’avoir appris lors de ma formation en ethnopsychiatrie à l’Université de Paris 8, je l’expérimente aujourd’hui sur le terrain. Aussi surprenant que cela puisse paraître, cette discipline m’a aidée jusque dans le domaine politique. N’ayons pas peur des débats contradictoires, n’ayons pas peur des gens qui ne pensent pas comme nous
C’est pour moi un vrai choix que de rester au niveau de la société civile.
Vous ne dissimulez pas vos convictions catholiques…
Je n’en parle pas systématiquement. Mais je dois reconnaître qu’au début ma position était parfois difficile, y compris avec mes collègues communistes ; on ne vous prend pas toujours au sérieux. Ce qui me paraît important, c’est d’accorder le « dire » et le « faire ». Cela suppose pour moi d’être en proximité avec le maire pour assurer les arbitrages et tenir nos engagements sans paternalisme. Un jour, un collègue m’a dit : « Merci, avec toi on a appris à dire non. » Quand c’est possible de faire quelque chose pour faciliter la vie des gens, je m’investis comme élue avec joie. Lorsque ça n’est pas le cas, je dis non en expliquant au mieux les raisons. Il y a tellement d’élus qui n’agissent qu’en vue des prochaines élections, au détriment de la qualité de la relation avec les habitants.
Foi et politique cohabitent donc sans difficulté majeure ?
On ne peut pas considérer la foi comme un obstacle en politique, mais on n’est jamais à l’abri de rien : il y a des sujets sur lesquels on peut se faire attaquer. Par exemple, lors du conseil municipal de mars dernier, le Parti socialiste – parti d’opposition à Saint-Denis – a voulu émettre un vœu (une prise de position) évoquant la menace qui pèse sur le droit à l’interruption volontaire de grossesse (IVG) en France. Personnellement, je ne remets absolument pas en question ce droit. Mais, selon moi, un tel vœu n’était à ce moment-là justifié par aucune actualité particulière, et je me suis abstenue lors du vote. Le lendemain, une collègue de l’opposition a évoqué mon abstention sur Facebook, ce qui n’a pas manqué de faire des vagues : « Comment se fait-il que la première adjointe ose s’abstenir ? Elle est d’extrême droite, elle est catholique, elle fait passer ses convictions religieuses avant son mandat d’élue… » Dans ce type de situation, je laisse passer un moment, puis je m’explique.
Dans quelle mesure votre foi vous aide-t-elle dans votre engagement politique ?
La foi m’aide à relativiser. Quand, par exemple, je vois qu’on part déjà dans tous les sens avec la campagne municipale, elle m’aide à me dire : « Tu fais de ton mieux. » En ce qui me concerne, il s’agit de chercher la justesse. Lorsque je prends une décision politique, j’essaie de me dire dans la prière : « Est-ce juste devant Dieu ? » Les gens ont le droit de dire ou de penser ce qu’ils veulent. Je ne veux pas perdre mon amitié avec Dieu.
Je ne veux pas perdre mon amitié avec Dieu.
Comment faites-vous pour garder cette exigence personnelle dans la durée ?
Je prends le temps de la prière et des moments de relecture. J’appartiens à une équipe de l’Action catholique ouvrière, qui se retrouve une fois par mois. Il y a aussi l’eucharistie du dimanche et j’ai la chance de partager un temps de prière le matin avec mon mari, diacre par ailleurs. Il m’aide beaucoup : lorsqu’il voit que je suis un peu agitée, que l’agenda est trop chargé, il a toujours une parole rassurante et cela me fait du bien.
Et inversement, votre engagement politique nourrit-il votre foi ?
Oui. Ce matin par exemple, j’ai reçu une femme vulnérable, seule et menacée par de jeunes garçons de sa cité. Sa détresse m’a touchée, je vais la porter dans ma prière ce soir. Cette situation est révélatrice : elle nous renvoie l’image d’une société d’isolement et potentiellement violente.
Les scandales sexuels de l’Église influent-ils sur votre engagement ?
Je suis allée voir le film de François Ozon, Grâce à Dieu, qui m’a beaucoup touchée. C’est triste, c’est dur, et, en même temps, c’est un moment de vérité qui nous conduit à mettre le doigt sur de réels problèmes. Je pense que le message du pape François, que nous avons pris le temps de lire entre chrétiens, nous aide à avancer. Il s’agit à présent de prendre des mesures concrètes dans l’Église. Ces scandales ont permis de libérer la parole de beaucoup de personnes. Espérons le même effet dans tous les corps de métier. Plus largement, c’est aussi la question de l’autoritarisme au sein de l’institution qui est posée : on voit bien que certains prêtres ont du mal à partager le pouvoir et à fonctionner sur un mode plus horizontal et participatif.
C’est triste, c’est dur, et en même temps, c’est un moment de vérité qui nous conduit à mettre le doigt sur de réels problèmes.
Élue en charge des questions sociales, les positions du pape François vous aident-elles ?
Je lis beaucoup ses textes. Et puis j’ai une autre casquette : je suis responsable de la pastorale des migrants au niveau du diocèse de Saint-Denis. À ce titre, je mesure comment, sous l’impulsion du pape, l’Église catholique évolue. Dans le passé, cette pastorale était considérée comme l’affaire des « gauchistes de l’Église catholique ». Il ne fallait pas trop en parler dans la sphère publique. Aujourd’hui, de la Conférence des évêques jusqu’aux paroisses, on sent un engagement plus conséquent et plus concret.
Comme le souligne le pape, se nourrir de la foi nous oblige à travailler la question du service auprès des plus vulnérables, mais aussi une conception singulière du pouvoir et de la responsabilité. Il s’agit de se mettre au service de la cité avec une pluralité d’acteurs pour relever des défis communs, et non de chercher le pouvoir pour le pouvoir. Depuis que je suis élue et dans le prolongement de ma foi, j’envisage ce service comme un « appel ». Ce n’est pas moi qui ai demandé à figurer sur la liste : Didier Paillard, maire de Saint-Denis à l’époque, m’a expliqué que, même s’il n’y avait pas de quota, il était attentif au fait d’avoir un ou deux catholiques sur la liste. Un signe que les chrétiens ont leur pierre à apporter à la vie politique.