Une revue bimestrielle, exigeante et accessible, au croisement entre le monde de la recherche et les associations de terrain.
« Mon avenir, je ne l’aurais pas cru… Il y a plein de choses à faire… Quand le bonheur se présentera, sois présent à l’appel »
Les vers « slamés » d’une lycéenne d’Aubervilliers nous ont été offerts pour ouvrir chacune des séquences de ce dossier consacré aux jeunesses d’ici : « l’avenir au présent ». Ils nous donnent une des clés pour lire les analyses et les récits qui vont suivre. Dans leur diversité, celle des personnalités, des héritages, des contraintes et des rêves, ils se veulent porteurs d’un avenir, confronté aux incertitudes et aux mobilités qu’impose le présent.
La jeunesse n’est pas une catégorie uniforme – entre l’adolescence et l’installation dans la société. Elle est riche d’une multitude de figures déjà légitimes pour entrer en dialogue et ne pas seulement subir les transitions qui lui sont imposées – de plus en plus longues. Pour les vivre comme des périodes d’expériences, personnelles et avec d’autres, des parcours de construction et de négociation. Car leur entrée dans la vie sociale se passe à un moment où les règles du jeu ne sont plus claires, où eux-mêmes ne sont pas en mesure de les faire évoluer. Les jeunes révèlent des changements dont ils sont les premiers affectés 1. Mais nos sociétés ne leur laissent pas facilement ouvertes les voies d’une recherche. Elles leur demandent d’abord de faire leurs preuves.
Epreuves de passage
« Même si j’ai créé des fleuves, Ça ne m’a pas empêchée d’affronter les épreuves… N’aie pas peur de rompre ta carapace, De montrer de quoi t’es capable ! »
La comparaison des trajectoires des jeunes dans plusieurs sociétés européennes est éclairante. Comment reconnaître et légitimer ce temps d’exploration qui peut comporter bien des allers-retours ? Si, comme en France, tout se joue en termes d’orientation, de compétition, l’absence d’un droit à l’erreur peut s’avérer dramatique. Car les épreuves passées paraissent aux jeunes encore plus aléatoires que celles demandées à tous. Ils servent de « variable d’ajustement » de notre économie.
Leur investissement dans une scolarité prolongée est autant source de désillusions que d’espoirs. La transmission familiale ne leur ouvre plus nécessairement un avenir… Les jeunes demandent que soient reconnues leurs singularités. Car les anciens mécanismes de reconnaissance (solidarités de travail, actions collectives, appartenances…) se sont effrités. Et les jeunes ne cessent de passer des épreuves, qui appelleraient des règles de passage. Or les critères d’appréciation ne leur sont pas donnés 2.
Pourtant, quand l’occasion est saisie de s’approprier ce passage, il revêt une importance symbolique. L'apprentissage, des expériences de volontariat..., ce temps de moratoire permet d'engager des choix non prématurés, ouvrant une trajectoire qui casse « les carapaces ».
Les voies d'un engagement
« La routine nous pousse à bout… (mais) un jour, mes rêves me prendront dans les bras… La vie nous appartient, donc le futur est entre nos mains ».
Héritiers, en un sens, du bouleversement des années 60, les jeunes ont fait irruption dans les débats communs pour porter les transformations culturelles de la société. Mais ils n’y bénéficient plus de la même présomption de légitimité. Leurs revendications d’autonomie se voient « retournées » par les nouvelles normes de compétitivité, qui font fi d’un cadre préservant des risques de la fragilité. Les institutions du vivre ensemble permettent-elles de construire d’autres formes d’engagements solidaires ? Au travers des rêves individuels des jeunes, comment appréhender l’émergence d’aventures collectives, des projets qui dessinent de nouvelles légitimités culturelles, sociales, politiques… ?
Quand ils trouvent des espaces qui leur permettent de prendre la parole – alors que la fatalité, les pressions, l’évitement plus ou moins forcé, les renvoient dans l’apathie, voire dans des rêves « les yeux fermés » –, alors ils rêvent les yeux ouverts, jouant l’invention et appelés à un engagement 3. Ils peuvent contribuer à dégeler la réalité dans leur cité ou leur village, pour leur orientation, leur santé… Leurs rêves partagés en font les premiers adhérents d’un contrat social, pour changer les choses, de façon pragmatique mais avec ténacité.
Prendre sa place
« On vise le haut, au lieu de grimper pas à pas… On cède le passage aux apparences, (Pourtant) la vie est à nous, elle nous appartient ».
Comment les jeunes peuvent-ils prendre leur place, sans se contenter de celle qui leur est assignée dans notre univers de consommation, ni se réfugier dans la facilité des apparences et des modes ? Prendre place en refusant d’être « défigurés » par une image stéréotypée ou d’être tenus à distance. Car il est vrai qu’ils dérangent souvent, par leurs questions, leurs attentes ou leurs refus – qu’ils l’expriment avec violence ou non. Dès lors, ils sont trop souvent renvoyés hors du débat !
Leur faire place ne se fera pas en ignorant leur parole – fût-elle conflictuelle –, en renvoyant les problèmes qu’ils posent dans la sphère des responsabilités individuelles. Faute de quoi la complainte, la protestation ou l’apathie seront les seules voies ouvertes, confortant une représentation fréquente d'« incivilité ».
Prendre place ne signifie pas forcément s’inscrire dans des rapports verticaux, d’identification ou de rupture, mais ouvrir un dialogue donnant part à l’invention malgré les incertitudes partagées. Les jeunes attendent des autres générations la possibilité d’affronter ensemble un avenir. Ils attendent d’être considérés comme des acteurs de celui-ci et non comme les cibles de dispositifs. Ils attendent qu’on leur ouvre des espaces où ils forgeront leur contribution aux questions de tous.
Dans des lieux d’accueil ou d’initiatives, ils savent inventer d’autres pratiques de création. Ils ne créent pas une anti-société, mais de réelles organisations avec leur savoir-faire propre. Ils y apprennent à monter des projets, à mettre en œuvre des capacités. A les écouter, à observer leurs stratégies d’adaptation aux situations nouvelles, à voir leur persévérance à gérer les contraintes, on pressent qu’ils sont aussi porteurs d’avenir 4.
1 / Bertrand Cassaigne, «18-30 ans, Les aventures de la mobilité », Projet n°251.
2 / Bernard Eme, « L'existence bafouée des jeunes précaires », Projet n° 289 .
3 / Cf. Yves Pedrazzini et al., Avant-propos du livre Jeunes en révolte et changement social> , L’Harmattan 1994.
4 / Cf. Chantal Nicole-Drancourt, in Projet n° 251 .