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Dossier : Réinventer la ville - La Plaine Saint-Denis

Redéploiement du politique


Projet - Comment êtes-vous parvenu à faire travailler ensemble des collectivités locales, la communauté d’agglomération, le Conseil général et l’Etat ? Comment feriez-vous l’histoire de vos apprentissages successifs ?

Patrick Braouezec - Il est difficile de distinguer les échelons de cet apprentissage. Au point de départ, c’est vrai, il y a le territoire de La Plaine. Ne pouvant pas empêcher les fermetures successives d’usines, nous avons voulu penser son devenir. Ne voulant pas le faire isolément du côté de Saint-Denis, nous avons proposé à Aubervilliers, Saint-Ouen et au Conseil général de réfléchir à un projet de territoire en intercommunalité. Au début des années 90, des démarches ont été entreprises pour impliquer l’Etat. Vu la situation stratégique de La Plaine dans la région Ile-de-France, nous étions prêts à rechercher un co-pilotage pour définir son domaine. Mais quand nous parlions de syndicat paritaire ou de syndicat mixte, l’Etat envisageait un établissement public du même type que ceux mis en place pour les villes nouvelles ou La Défense, et au sein duquel nous aurions été dessaisis des décisions. Cela n’était pas acceptable pour nous.

La publication du projet urbain de La Plaine a été l’occasion de signaler à la Région l’intérêt du site, la richesse de son potentiel ainsi que sa pauvreté, ses difficultés, et ses inégalités flagrantes. L’arrivée du stade sur le territoire a marqué un tournant de son développement. Le dynamisme économique était lancé. Nous avons proposé aux autres villes de l’arrondissement de rédiger une Charte d’aménagement et de développement. Participant à son élaboration, elles pourraient rejoindre ensuite la démarche, même si elles préféraient rester, au départ, en retrait. Ce travail d’une année aboutit à la signature par dix villes de la Charte d’aménagement, en 1999, et à la constitution d’une communauté de communes au 1er janvier 2000 avec cinq d’entre elles. Deux autres puis une troisième se sont ralliées à la Communauté d’agglomération constituée l’année suivante.

Nous avons ainsi acquis une culture nourrie par des regards partagés, à différentes échelles (villes limitrophes, département, région, Etat), sur l’aménagement et le développement du site. L’implantation du Stade de France a permis d’impliquer l’Etat. La création, par la suite, de l’Etablissement public Plaine de France (Epa) a été un prolongement de ce travail. De La Plaine-Saint-Denis à Plaine Commune, on trouve donc tout un cheminement de réflexion et d’action, sans doute unique en Ile-de-France, où les intercommunalités recherchent plus un entre soi que des projets communs.

Projet - Quels sont les atouts de la communauté d’agglomération ? Toutes les communes y trouvent-elles leur compte ?

Patrick Braouezec - La force vient du nombre. Plusieurs dossiers ont été défendus d’une même voix par tous les membres de la communauté d’agglomération. Les Archives nationales s’installent à Pierrefitte pour une part parce que nous pouvions inscrire ce projet dans une démarche globale. Nous faisions le pari que le développement au sud du territoire allait se diffuser et que le retour sur investissement serait profitable pour tout le monde. Quand Saint-Denis et Aubervilliers mettaient en commun la taxe professionnelle de leurs villes, elles espéraient en même temps un retour sur investissement partout où les friches industrielles seraient reconverties. Il ne s’agissait donc pas de simple philanthropie. Ce retour était calculé sur la base de la proportion de taxe mise en commun au moment de la constitution de Plaine Commune. Les ratios depuis ont évolué, et il faudra sans doute procéder à un nouvel aménagement pour une plus grande équité.

Projet - Par rapport à la loi sur les communautés d’agglomération, n’avez-vous pas pris des positions particulières, notamment dans la façon de prendre des décisions, en respectant l’autorité municipale ?

Patrick Braouezec - Nous avons respecté les contraintes de la loi, mais nous voulions garantir à chaque ville qu’aucune décision la concernant ne serait prise contre son gré, y compris pour les compétences transférées. Nous ne voulons pas nous substituer à l’autorité municipale.

Si nous étions élus directement par la population sur des objectifs très précis, par exemple pour construire du logement social partout, nous aurions la légitimité de l’imposer à telle ville qui refuse d’en faire aujourd’hui. Mais nous sommes élus au second degré, pour gouverner la communauté d’agglomération sur des compétences transférées. Nous ne pouvons donc rien imposer. Mais nous pouvons contribuer à dessiner une orientation pour l’ensemble du territoire. Le Schéma de cohérence territoriale décidé par la communauté d’agglomération donne des objectifs quant au nombre, au type et à la qualité des logements. Il pose des cadres pour l’action municipale. De la même façon, le Schéma directeur de l’Ile de France, négocié à l’échelon de la région, élabore certaines directives qui concernent les villes de la communauté. Il y a ainsi un maillage d’échelons qu’il importe d’articuler au mieux. Le tout se fait dans le dialogue : nous désirons convaincre plutôt que contraindre, en respectant les élus locaux.

Projet - Quelles sont les instances de débat ?

Patrick Braouezec - Nous avons récemment organisé des conférences communales où j’ai pu rencontrer l’ensemble des conseillers municipaux de chaque ville pour bien voir ce que l’intercommunalité avait apporté et les difficultés qui subsistaient. Les élus locaux organisaient eux-mêmes le débat, certaines villes ont ouvert le conseil à la population, ou même choisi de lui donner la parole. On pourrait considérer qu’il n’est pas tout à fait naturel pour une ville aujourd’hui gérée par une majorité Ump/Udf de se retrouver dans une communauté d’agglomération dominée par la gauche et d’en partager les principes et les objectifs. Pourtant, au cours des débats, des élus de droite ont reconnu ce que la Communauté d’agglomération avait apporté au développement de leur ville.

L’unanimité, certes, n’existe pas pour autant en politique. Et l’existence de la communauté se heurte à deux difficultés majeures. La première est la tendance à se démettre des responsabilités. Au standard des mairies quelques appels ont reçu la réponse : « ce n’est plus nous, c’est Plaine Commune ! » Or, si le service en question dépend bien de Plaine Commune, il est toujours localisé sur le territoire communal. La deuxième tentation est de reporter la cause des difficultés financières que connaît la ville, au niveau de Plaine Commune. A Aubervilliers par exemple, les recettes de la taxe professionnelle progressent enfin mais on n’en voit pas forcément tous les retours. La progression se fait sur le long terme. Depuis la création de la Communauté d’agglomération, une ville a, en moyenne, 2,1 à 2,2 fois la capacité d’investissement dont elle disposait à elle seule auparavant. Ce taux est multiplié par 5 pour des petites villes, qui n’avaient pas beaucoup de possibilité d’investir ; par 1,3 sur Saint-Denis. Au bout du compte, aucune des villes n’est perdante.

Projet - Qu’en est-il des débats sur l’aménagement lui-même, entre les centres villes, et les zones moins denses ?

Patrick Braouezec - Nous avons des débats de fond sur la densification, sur l’accroissement et la diversité des populations résidant sur un espace de vie. Plutôt que densification, nous avons préféré le terme d’«  intensification », qui heurte moins la sensibilité de certains élus verts. Une ville dense est pourtant plus écologique : l’étalement urbain consomme du sol, de l’énergie, des transports, des équipements publics. Plaine Commune a plutôt intérêt aujourd’hui à densifier autour de lieux centraux, structurants, qui bénéficient déjà des transports en commun, d’autant que l’agglomération est trois fois moins dense que Paris, 4 à 5 fois moins que des quartiers qui semblent paisibles. Mais cela soulève, au-delà, bien d’autres questions : la manière d’atteindre cet objectif, la part de logements sociaux, le type de développement économique, etc.

Ce qui est passionnant dans la gouvernance de la Communauté d’agglomération, c’est que l’on travaille souvent sur des projets nouveaux qui engagent de vrais débats sur la mise en perspective du territoire, même si le transfert des compétences du quotidien (la propreté, les espaces publics, les espaces verts) nous ramène aussi au concret. Nous n’avons pas voulu d’une Communauté d’agglomération qui ne soit que la tête, les villes restant les jambes. Nous avons tous les mains dans le cambouis.

Projet - Du Sdrif de 1994 au Sdrif actuel, vous avez toujours défendu le polycentrisme des pôles d’activité en Ile-de-France. Ceci est-il toujours d’actualité ?

Patrick Braouezec - Nous défendons l’idée d’un polycentrisme, face à une vision monocentrique de l’organisation de la région Ile-de-France, qui est relancée par le débat sur le « Grand Paris ». Celui-ci sera-t-il constitué en absorbant les 29 communes limitrophes ? Voire en englobant les trois départements limitrophes ? Ou bien en inventant quelque chose de neuf : une gouvernance partagée entre Paris, dont tout le monde a besoin, et des pôles structurants déjà émergents, en créant des intercommunalités fortes sur les territoires, en redonnant du souffle aux villes nouvelles ? Nous sommes ici dans un pôle structurant qui nécessite un investissement public important pour se consolider. Il n’est pas normal que la Région et l’Etat continuent de subventionner à la même hauteur des équipements publics, indépendamment de leur implantation. Subventionner toutes les villes à la même hauteur ne fait qu’accroître les inégalités. Toutes les études (Insee, Iaurif …) qui ont travaillé sur l’évolution de la région Ile-de-France ont relevé une accélération des inégalités entre 1990 et aujourd’hui, L’aggravation s’est faite plus forte depuis 1999. On sait ce que cela signifie en termes de désordres et de violence potentiels, ce qui pénalise d’ailleurs l’ensemble de l’attractivité régionale.

Mais le polycentrisme n’aura de sens qu’à condition de spécifier les compétences proposées à chaque lieu. Car il y a une vraie compétition : des sites comme la Défense ne voient pas d’un très bon œil que d’autres sites veuillent se développer. Et le risque inverse existe, celui d’une mono-activité, dont on sait la fragilité. Alors, comment parvenir à une forme de complémentarité ? En raisonnant en termes de dominantes, pour soutenir les secteurs en voie de développement. L’Etat et la Région doivent jouer ici leur rôle d’orientation, sans laisser le marché ou les égoïsmes locaux agir de manière isolée.

Projet - Le Grand Paris peut-il être une réponse ou est-ce une façon d’accélérer le partage entre zone dense et zone moins dense ?

Patrick Braouezec - Si on reproduit ce qui s’est passé au cours des siècles avec l’extension concentrique de Paris, on continuera de chasser encore plus loin les populations les plus en difficulté. On règlera peut-être les inégalités territoriales (ce territoire devenant l’équivalent d’un arrondissement) mais pas les inégalités sociales. Si on envisage des pôles structurants dans lesquels on retrouve toutes les fonctions (emploi, logement diversifié, pôles de formation, équipements publics…) on crée les conditions pour que la population ne se sente pas mise au ban mais incluse dans une centralité. Si l’on considère que chaque ville de la région Ile-de-France peut appartenir à une intercommunalité considérée comme une centralité à part entière, on renverse les choses. Etre participant d’un pôle structurant cela change le regard et le rapport aux institutions.

A la dernière conférence métropolitaine, dont l’objet était le développement économique, j’ai voulu être provocateur en affirmant que celui-ci n’était pas une fin en soi. Le développement économique doit se traduire par du développement social et du développement local. Il doit être un élément de la vie de la cité et non accentuer les inégalités. Ici, avant qu’une entreprise ne s’implante, Plaine Commune a pris des contacts. Cela surprend parfois les chefs d’entreprise qu’un maire ou un député communiste veuille les rencontrer. Mais nous tenons à ce qu’ils soient de vrais partenaires de la ville et de l’environnement. Ne peuvent-ils pas participer à la vie culturelle, sportive… au travers du mécénat, du sponsoring, du partenariat, ou de la vie du quartier (fête du quartier), etc. ? Ces relations permettent de rapprocher des mondes très hermétiques.

Projet - Dans le territoire où vous travaillez depuis 17 ans, y a-t-il un ou plusieurs centres ? Ne faut-il pas parler plutôt de réseau urbain ?

Patrick Braouezec - Le centre ville de Saint-Denis est un lieu de centralité objectif : pour les transports (métro, tramway…), avec le marché qui y joue un rôle important dans la vie économique, grâce à sa dimension historique qui attire les touristes. Les centres de chaque ville sont aussi des pôles de référence. Un nouvel espace se constitue, en un sens, autour de La Plaine. Il est plus diffus mais il joue ce rôle à différents moments de l’année. L’arrivée des Archives à Pierrefitte contribuera aussi à restructurer un espace. Et ce que nous préconisons au niveau de la Région Ile-de-France est cohérent avec nos choix sur le terrain. Les centralités s’inscrivent dans un maillage modulé. Je ne peux contester la centralité plus forte de Paris, nous avons vraiment besoin de l’attractivité qu’elle procure.

Projet - La gouvernance que vous avez mise en place à Plaine Commune n’est-elle pas avant tout une gouvernance en réseaux à l’image même de l’organisation spatiale et économique du territoire ?

Patrick Braouezec - De la fin du xixe siècle jusqu’à la fin du siècle dernier, le monde économique et politique était structuré de manière pyramidale. Avec les évolutions technologiques, cet ancien mode subsiste, mais d’autres formes d’organisation en réseaux apparaissent. La façon dont nous gouvernons Plaine Commune en tient compte, toute organisation centralisante serait vouée à l’échec. Une vraie démarche participative permet de redonner toute leur place aux citoyens qui risqueraient d’être assignés à un bout de la chaîne. Si on considère que un = un – (et la mise en réseau permet cette égalité) –, on se met dans un autre rapport de pouvoir. Il y a là, à mes yeux, un véritable enjeu démocratique, qui a son pendant avec l’organisation de démarches participatives. Une telle approche suscite une multiplicité d’associations, entre les personnes et les groupes les plus divers. Si l’on refuse d’en rester à un système pyramidal, il faut inventer un mode de gouvernance cohérent avec tous les nœuds du maillage dont on attend qu’il se tisse entre les habitants, les entreprises, les associations, les collectivités et les pouvoirs publics ; et entre les différentes instances locales, régionales et nationales. Il s’agit d’un changement à la fois institutionnel et culturel, qui doit modifier en profondeur la pratique politique.

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