Une revue bimestrielle, exigeante et accessible, au croisement entre le monde de la recherche et les associations de terrain.
On les disait « sauvageons », sans repères, vivant dans l’anomie : certains jeunes des banlieues avaient aux yeux de l’opinion la triste exclusivité de la violence dans une société policée. Ne trouvant pour s’exprimer que le langage de l’agressivité, faute d’une parole qui puisse être entendue, ils n’attiraient l’attention qu’à l’occasion d’explosions dans les quartiers. Ils voyaient alors leur image et leurs difficultés répercutées par les médias, qui les entretenaient dans l’idée qu’ils tenaient le seul moyen d’exister sur la scène publique. Mais cela signifiait qu’un dialogue préalable n’avait pas été noué. Qu’une autre parole n’avait pu naître, fût-elle raboteuse, et que les mots de la société, ceux des autorités en particulier, ne les concernaient pas.
La violence est toujours le signe qu’un espace est resté fermé. Parler suppose d’entrer dans une relation, fût-elle contradictoire. Les jeunes ne sont pas les seuls convaincus de ne pas être entendus. La parole dans nos sociétés est monopolisée par ceux qui savent, qui sont en position de savoir ce qui est bon (économiquement, socialement, culturellement, politiquement) pour tous ; dialogue unilatéral qui peine à reconnaître les différences et signes de fragilités. La parole n’ouvre pas la recherche d’un bien vraiment commun, plus malaisé à construire dans un univers de concurrence qui bouscule les références personnelles, professionnelles et communautaires.
Les discours sont ceux de « plaignants », attendant qu’on leur fasse droit. Ou bien ils préfèrent recourir au vocabulaire de la violence. Celui-ci ne se justifie-t-il pas par ses résultats ? La violence n’a-t-elle pas permis aux nationalistes corses d’être entendus ? La menace ne fut-elle pas le recours, cet été, de salariés laissés pour compte de la reprise ? Les ouvriers de Cellatex ont utilisé le chantage à la catastrophe écologique. A Adelshoffen, à Forgeval, à Nogent-sur-Seine, d’autres ont retenu la leçon. Leur colère traduisait leur isolement : la négociation impossible, les syndicats trop faibles, des patrons lointains... La parole laissait place au défi lancé de faire mal à la société !
Les compromis qui ont été trouvés ou amorcés, pour répondre aux revendications, ne seront pas des compromissions s’ils permettent un dialogue, avec ses règles : une écoute, une parole réciproque qui engage, et non un faux-semblant. Certes, « les compromis sont faibles » (P. Ricoeur), car les principes qui s’opposent sont forts : la paix sociale, la sécurité contre le désir d’avoir un avenir, l’unité du corps social contre l’affirmation d’une identité. Mais ils ouvrent la voie pour la recherche de principes plus vastes, partagés...