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Dossier : École catholique, école publique ?

Au défi de la fracture scolaire

Sud Etudiant Nantes 2008/©Mathieu Selle/Wikimedia Commons/CC
Sud Etudiant Nantes 2008/©Mathieu Selle/Wikimedia Commons/CC

Si certains vouent aux gémonies ce qui n’est pas estampillé « laïc », si d’autres cultivent la nostalgie d’une France chrétienne dont l’école libre serait le creuset, l’Enseignement catholique a décidé de s’interroger, pour sa part, sur le service qu’il rendait à la société. La démarche, possible tant les manifestations de 1984 paraissent aujourd’hui lointaines, est courageuse. Et bienvenue, en pleine « refondation de l’école de la République », au vu des enjeux : quel rôle pour l’école dans une société fragmentée, en proie au doute et peinant à faire une place aux nouvelles générations ? Quel apport spécifique de l’école catholique, dont relèvent 135 000 enseignants et 2 millions d’élèves ? La Revue Projet investit ce débat sous un prisme simple, énoncé par la loi : « La Nation fixe comme mission première à l’école de faire partager aux élèves les valeurs de la République. »

L’école rend-elle les enfants libres, égaux, fraternels ? Les défis sont largement les mêmes pour le public et le privé. L’apprentissage de la liberté se confronte à une culture, ancrée en France, de transmission verticale de savoirs identiques pour tous, rassurante pour les enseignants mais incapable de se soucier de chaque élève (cf. F. Dubet). De même, au nom de l’« autonomie », on se donne l’illusoire ambition de former des élèves libres de « penser par eux-mêmes », au lieu d’êtres de lien, capables d’assumer leur interdépendance (cf. R. Hétier et P. Usclat).

Là où Waldeck-Rousseau puis Jaurès reprochaient à l’enseignement privé de faire le lit d’une partition des Français, contraire à la « fraternelle justice sociale » (cf. J. Lalouette), il n’est plus grand monde aujourd’hui pour se prévaloir de la fraternité. Or la question se pose de façon aiguë au sein même des salles de classe. Il ne suffit pas de sensibiliser à la misère du monde pour former des frères et sœurs. Comment, en effet, éduquer à l’entraide, à la coopération, quand les élèves sont mis en concurrence par des systèmes de notation toujours plus précoces, et par des diplômes fonctionnant pour les uns comme des rentes, pour les autres comme des « handicaps irréversibles » (cf. F. Dubet) ?

Ces questions sont sérieuses. Mais des réponses sont possibles : faire confiance à l’inventivité et au sens des responsabilités des élèves, impliquer les parents, aménager le temps pour permettre aux enseignants d’échanger, aux classes d’apprendre à vivre ensemble (cf. M. Amiel et P. Lalague). L’école catholique, par sa liberté et selon son caractère propre, dispose d’atouts pour innover. Encore faut-il qu’elle s’en serve, et en partage les bénéfices (Cf. A. Bouvier).

Reste le défi de l’égalité. L’école catholique n’est pas seule en cause : de tous les pays de l’OCDE, la France dispose du système éducatif qui creuse le plus les différences entre élèves ! Mais le constat, s’il ne doit pas masquer la diversité des situations, est bien là : l’école catholique dans son ensemble offre un recours aux parents qui, par crainte de la mixité sociale ou par souci d’offrir les meilleures chances à leur progéniture, cherchent à éviter l’établissement public le plus proche (des stratégies qui concernent la moitié des collégiens !). Pour A. Prost, l’école catholique porte cette fonction dans ses gènes : « La loi du marché condamne l’enseignement privé à entretenir les inégalités. » L’analyse du paysage éducatif marseillais nuance le constat, sans pour autant l’invalider (cf. G. Audren et F. Lorcerie). Or continuer à servir structurellement de catalyseur des inégalités minera à terme la légitimité de l’école catholique (cf. C. Thélot). Pour asseoir cette légitimité, au regard de l’intérêt général comme de « l’option préférentielle pour les pauvres » prônée par les chrétiens, il est une mission lourde à laquelle elle pourrait s’atteler, à l’instar de certains de ses établissements (plusieurs auteurs l’y invitent) : sortir les 15 % d’élèves en grand échec scolaire de l’exclusion sociale qui leur est promise.

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