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« Compétitivité et attractivité de la France ». « Solidarité et mérite : un enjeu, un débat ». « Réforme des institutions : quelle République, quelle Europe ? ». Autour de ces trois thématiques, 270 étudiants et jeunes professionnels se sont retrouvés le samedi 17 mars à l’initiative de l’association « Politique une bonne nouvelle » afin de se préparer aux différents scrutins de ce printemps 2007. Après une matinée de travail au Centre Sèvres sur les programmes des candidats à l’élection présidentielle (lectures, échanges, conférences), un long débat s’est tenu l’après-midi au Palais du Luxembourg entre l’assistance et trois personnalités politiques engagées dans la campagne électorale : Jean Arthuis (UDF), Jean-Louis Bianco (PS) et Jean-François Copé (UMP). Patrick Viveret, philosophe, a ensuite remis en perspective les échanges et confrontations de cette journée à l’aune des défis posés à l’humanité, développant l’intuition que la capacité de cette dernière à « traiter la barbarie interhumaine » conditionnera la possibilité de « se construire en sujet positif de sa propre histoire ». Nous donnons quelques extraits de cette conférence finale. Et, afin de prolonger notre réflexion sur ce printemps électoral, nous interrogeons la place croissante de l’élection présidentielle dans la vie politique et le système institutionnel français. Avant d’ouvrir sur les législatives à venir avec trois appels à donner sa voix « autrement ».
Extraits de la conférence du 17 mars au Sénat 1 .
« Les questions essentielles auxquelles l’humanité est aujourd’hui confrontée – celle de l’avenir de la planète ou celle de la place du travail dans nos vies – sont simultanément des questions structurelles et des questions personnelles. En ce qui concerne les problèmes de dérèglement climatique, on ne peut pas se contenter de changements personnels, aussi généreux, aussi radicaux soient-ils, s’ils ne sont pas accompagnés par des changements structurels qui concernent l’énergie, l’habitat, l’urbanisme ou les transports !
Prenons un autre exemple, dans une perspective mondiale, à propos d’un problème politique par excellence, celui de la défense. Que signifierait une gouvernance mondiale sur la défense, que signifierait un ministère de la Défense de l’humanité ? Un ministère de la Défense définit son objet par rapport à des menaces. Or, justement, les menaces qui pèsent sur l’humanité, en dehors de quelques chutes d’astéroïdes, ne sont pas des menaces qui viennent de l’extérieur. Elles viennent de la barbarie interhumaine : l’humanité est menacée par sa propre inhumanité. Ainsi, la fonction de gouvernance sur la question centrale de défense de l’humanité porterait sur des problèmes tels que ceux-ci : comment empêcher une guerre des civilisations ? Comment empêcher que le cocktail explosif de l’humiliation et de la misère, couplé avec la disponibilité d’armes de destruction massive, ne facilite la prolifération nucléaire, au niveau des Etats mais aussi au niveau de groupes terroristes ? Ces questions illustrent le changement de nature du politique lui-même. La politique ne se construit plus en déchargeant la barbarie vers l’extérieur, mais sa mission – son ministère, son métier – devient effectivement le traitement de la barbarie interhumaine. Et cette question-là ne pourra pas être traitée si elle n’est pas abordée simultanément dans l’ordre de la transformation personnelle et dans l’ordre de la transformation structurelle. La nécessité absolue de penser conjointement les deux est un élément fondamental de la période. Elle doit conduire le politique lui-même à muter dans l’ordre de la qualité démocratique.
On ne peut plus considérer simplement que le politique est l’espace où s’affrontent des rapports de force dans un commun désir de volonté de puissance. La nature même de la puissance fait problème. Se contenter des logiques de rapports de force ne permet pas de sortir du cycle de la violence. Traiter à la racine lamaltraitance de l’humanité aussi bien à l’égard des autres espèces qu’à son propre égard est dès lors le problème central. Et la question de la sagesse devient pleinement politique, une sagesse dont le cœur réside dans la capacité de vivre « à la bonne heure », la capacité à vivre debout et intensément cette brève aventure, consciente, dans l’histoire de l’humanité. Cette capacité à faire de la sagesse une question politique peut nous amener à revisiter en profondeur la plupart des grands débats qui sont au cœur des enjeux politiques dont nous parlons aujourd’hui. »
Patrick Viveret, 17 mars 2007.
Réforme du quinquennat et superposition des scrutins présidentiels et législatifs ; calendrier électoral plaçant la désignation du Président de la République en toile de fond de la constitution des alliances pour les mandats législatifs ; impératif de vote utile amplifié par le score de Jean-Marie Le Pen au premier tour des élections de 2002 : la conjugaison de ces trois évolutions récentes semble bien avoir renforcé l’enjeu présidentiel dans la vie politique française. C’est en tout cas ce qui apparaît au moment où nous écrivons ces lignes, à quelques jours du premier tour des élections présidentielles. Accentuation « naturelle » de la fonction présidentielle, venant confirmer et comme accomplir la personnalité constitutionnelle de la Cinquième République ? Ou jeu de circonstances qui, conduisant à un excès de présidentialisation, révèlerait les contradictions et les limites mêmes de notre régime politique ? Le Cahier a recueilli le point de vue de deux juristes, Didier Maus et Dominique Rousseau.
Didier Maus, Conseiller d’Etat, Président émérite de l’Association française de Droit constitutionnel.
« La campagne électorale que nous vivons actuellement nous rappelle le caractère majeur de l’élection présidentielle. Au regard de l’extraordinaire moment d’ouverture du débat qu’elle permet, il me semblerait absurde de vouloir aujourd’hui modifier ce système. Certes, il y a un vrai débat, légitime, sur la question de savoir s’il faut garder la prépondérance du Président de la République. L’institution du quinquennat, auquel s’ajoutent des élections législatives convoquées dans la foulée de l’élection présidentielle, a incontestablement renforcé la concentration de pouvoirs au profit du Président de la République. Telle était bien la volonté de la réforme du quinquennat en 2000. Je n’y étais personnellement pas favorable car mon souhait profond reste de reparlementariser le régime. Mais, plus que jamais, l’élection présidentielle est l’élément le plus structurant de la vie politique française, toutes les stratégies individuelles et collectives s’organisent autour d’elle.
Avec cette extraordinaire focalisation autour du Président de la République, comment aboutir à un système davantage parlementaire ? Bien sûr, d’un point de vue purement intellectuel, on peut considérer qu’il faudrait revenir à un système plus classique : un Président moins actif, un gouvernement plus actif (ce qui conduirait à accepter des périodes de cohabitation). Mais cela correspond-il au désir profond des acteurs politiques ? Il est très difficile pour des candidats à la présidence de la République de postuler à la fonction tout en prétendant l’affaiblir ! Quand à souhaiter, comme certains, revenir aux origines de la Constitution, avec un Président plus arbitre qu’animateur, il me semble impossible de faire marche arrière. La personnalisation de la fonction s’est organisée entre le pays et le président élu, et l’exception constitutionnelle française me parait devoir subsister. »
Dominique Rousseau, professeur de Droit constitutionnel à l’Université de Montpellier 1.
« Face à la concentration des pouvoirs entre les mains du Président de la République, une simple redistribution entre l’exécutif et le législatif ne suffira pas. Il faut inventer une nouvelle théorie de la séparation des pouvoirs en faisant du pouvoir du juge, du pouvoir du citoyen, du pouvoir de la presse, de véritables contre-pouvoirs ayant autorité constitutionnelle. La Ve République a fonctionné sur un lien d’allégeance directe entre le Président et les députés. Les seuls moments sans présidentialisation ont été ceux où ce lien direct n’existait pas : sous Giscard ou pendant les périodes de cohabitation. Le quinquennat et l’inversion du calendrier des scrutins présidentiel et législatif voulue par Lionel Jospin en 2002 visaient à proroger la présidentialisation maintenue par François Mitterrand en 1981 : en prononçant la dissolution de l’Assemblée nationale, ce dernier a fait élire sur son nom une majorité de députés fidèles.
Cette concentration des pouvoirs entre les mains d’une coalition gagnante à laquelle on donne le mandat de faire les lois et de les appliquer n’est pas nécessairement mauvaise et vaut bien mieux que l’instabilité de la IVe République. Elle n’est d’ailleurs pas propre à la France : plus aucun régime politique européen, qu’il soit primo-ministériel ou présidentiel, ne fonctionne sur la séparation des pouvoirs législatif et exécutif. Restaurer le pouvoir du Parlement ? Les députés espagnols, allemands ou anglais n’ont pas plus de pouvoirs que les députés français ! S’il faut une réforme, la seule importante est celle qui interdirait aux parlementaires de cumuler un autre mandat électif : il faut des législateurs à temps plein.
Mais surtout, puisque le législatif n’est plus un contrepoids au pouvoir exécutif, il faut travailler à inventer d’autres contre-pouvoirs. Il conviendrait en particulier d’instituer une autonomie constitutionnelle du pouvoir judiciaire. Je propose pour ma part que le poste de ministre de la Justice soit supprimé au profit d’un « Conseil supérieur de la Justice » composé de magistrats et de non-magistrats, ces derniers étant majoritaires et désignés par le Parlement à une majorité des trois cinquièmes. Ce Conseil serait chargé de l’organisation et de la protection de l’indépendance judiciaire. D’un point de vue démocratique, l’essentiel aujourd’hui est bien de retrouver la balance des pouvoirs et contre-pouvoirs. »
La campagne électorale ne s’arrête pas avec les présidentielles. Les réflexions et les mobilisations qu’elles ont suscitées peuvent avoir une seconde vie alors qu’approche l’heure d’élire la représentation nationale. Justice, solidarité, voix des sans voix dans notre société ? Comment le Parlement futur prendra-t-il en compte ces exigences comme de véritables critères d’avenir pour la société française ? Le Cahier a choisi de se faire l’écho de trois appels qui portent ces préoccupations.
« Avant de donner votre voix, écoutez celle des plus pauvres » : c’est ce que propose la campagne menée par le Secours catholique, Amnesty international et le mouvement ATD Quart Monde. Logement, emploi, école, mobilisation citoyenne… : un site internet ouvre ses pages à celles et ceux que l’on n’entend jamais. http:// www. secours-catholique. org/ parolesdesansvoix/ intro. htm
A l’initiative de sociologues, une pétition en ligne interpelle les candidats à l’élection présidentielle sur la faible place du thème de la solidarité – trop souvent supplanté par celui de la sécurité – dans les débats actuels. Les premiers signataires ont contribué à l’ouvrage Repenser la solidarité. L’apport des sciences sociales, sous la direction de Serge Paugam (Puf, 2007). http:// www. parlonssolidarite. com/
Les Semaines sociales de France ont soumis aux candidats douze propositions de réformes pour une société plus juste. Celles-ci ont été élaborées dans le cadre de la rencontre « Vers une société plus juste » en novembre 2006. http:// www. une-societe-plus-juste. org/ unesocieteplusjuste