Une revue bimestrielle, exigeante et accessible, au croisement entre le monde de la recherche et les associations de terrain.
Quelques mois durant, la France a vécu au rythme des campagnes présidentielles et législatives. Quand on se passionne pour la chose politique et le débat d’idées, quand on pense que la politique est un lieu d’engagement riche pour porter des convictions, alors, ce temps de campagne est particulièrement enthousiasmant.
C’est au QG de campagne de Ségolène Royal, rue de Solférino, que j’ai suivi la campagne 2007 : en direct, dans le feu de l’action ! Ma participation est un peu le fruit du hasard. Sympathisante PS depuis longtemps, l’engagement concret en politique n’était pas forcément évident. En effet, je percevais une sorte de contradiction entre deux postures : d’une part, l’idée selon laquelle la politique est avant tout une affaire de pouvoir et d’hommes puissants ; d’autre part mon envie de faire en sorte que, par mon action, elle soit au service de tous les hommes. Je craignais par ailleurs d’avoir à défendre des propositions que je ne partageais pas. Mais, persuadée qu’un choix politique est plus que le résultat d’un simple comptage des points d’accord et de désaccord entre ses propres convictions et le programme de tel parti ou candidat, j’ai finalement décidé de travailler au Parti socialiste, le temps de la campagne. A 25 ans, c’était aussi l’occasion de concrétiser une passion de longue date pour tout ce qui a trait à la vie politique.
Mon rôle, rue de Solférino, n’était pas stratégique. Outre quelques notes ponctuelles à destination de la candidate sur des sujets urgents, l’essentiel de mon travail a consisté à soutenir la cellule « courrier », qui recevait chaque jour des centaines de messages : courriers d’encouragement, critiques, demandes… J’ai essentiellement répondu aux lettres portant sur les institutions (réforme des institutions, non cumul des mandats, démocratie sociale), la justice (réforme de la justice, accès de tous à la justice) et l’immigration (quelle politique de l’immigration ? Quel lien avec le développement ? Quelle intégration des immigrés à la société française ?)
Certains diront que toutes ces lettres n’ont été qu’un vivier de voix à récupérer. Elles représentent pourtant bien plus. Elles décrivent tout ce que la France peut compter de différences : des gens en grande détresse, dans des situations inimaginables, mais aussi des intellectuels proposant un soutien ; l’expression de la peur de l’avenir, mais aussi d’étonnantes leçons de courage ; des revendications et des pétitions, mais aussi des propositions.
Ces lettres ont cristallisé tout ce que la campagne a représenté pour moi. Une déception, une tristesse d’abord. Celle de voir peu à peu, dans le quotidien de la campagne, se dessiner les contours d’une défaite annoncée. Certes, sur le coup, on espère, on continue, on est sur un nuage. Mais quand même : que penser de cette désorganisation chronique dans le traitement des demandes des associations, souvent proches du Parti socialiste ? Agacées par notre manque de coordination, elles en venaient à douter de la sincérité des propositions de Ségolène Royal. Elles sont pourtant un relais essentiel des propositions de la candidate auprès de leurs membres. Que penser des querelles incessantes entre les différents courants du Parti socialiste pour imposer dans les lettres leurs propres idées en matière de justice, de réforme des institutions ou de revenus minimums ? Tout cela au détriment de l’intérêt général, au détriment d’une réflexion commune sur ce que peut être le socialisme du XXIe siècle. Cela me pose question en tant que citoyenne. En effet, comment discerner dans le chaos ambiant si le projet proposé est cohérent avec ce qu’est la société française aujourd’hui ? Cela me pose également question en tant que chrétienne. Quelle place peut avoir ma foi dans un monde qui semble d’abord tourné vers la puissance individuelle, là où la politique devrait être au service de tous les hommes ? L’engagement chrétien est-il possible dans ce contexte ?
Mais ce sont les lettres elles-mêmes qui m’ont apporté un début de réponse. Elles étaient le miroir d’un formidable élan populaire et citoyen, le même que celui qui a entraîné des dizaines de milliers de personnes à assister aux meetings. Une véritable espérance a attiré toutes ces personnes, l’espérance que la politique peut encore être un vecteur de progrès, de justice sociale. La campagne présidentielle, et notamment toutes les lettres que j’ai pu lire, m’ont permis de comprendre à quel point les gens comptent sur la politique pour vivre mieux. La politique est puissance : elle peut être source d’un monde plus humain et se mettre au service d’un projet de société. Dès lors, l’engagement politique prend tout son sens. S’engager, c’est porter l’espérance que le progrès est possible.
L’intérêt des Français pour la campagne dont témoignaient de nombreuses lettres a été une source de joie. Il m’a incitée à prolonger mon engagement politique. Je suis désormais membre du Parti socialiste. Je souhaite continuer à porter cette espérance que j’ai perçue pendant la campagne. Je souhaite, par ma voix, contribuer à sortir mon parti des querelles de puissants afin qu’il se recentre sur l’utilisation de la puissance politique au profit d’un projet collectif. Ce projet reste à définir. J’ai ma petite idée là-dessus !