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Fusions, restructurations, réorganisations, suppressions d’activités, mobilité géographique ou fonctionnelle, réductions d’effectifs… C’est en ces termes que se résume pour de nombreux agents publics la transformation de l’État opérée dans le cadre de la révision générale des politiques publiques (RGPP). Parallèlement, les usagers ne perçoivent pas clairement les résultats concrets de la réforme.
Dans ce contexte pourtant, et alors qu’il s’apprête à lancer une deuxième vague de mesures, le gouvernement dresse un premier bilan des réformes engagées. Dans une communication récente, le ministre du Budget François Baroin a annoncé que 78 % des mesures décidées lors des précédents conseils de modernisation des politiques publiques avaient atteint leurs objectifs ; dans 4 % des cas seulement elles étaient « dans le rouge »1, contre 15 % deux ans auparavant.
Ce bilan optimiste interroge cependant. Il relève davantage d’une logique comptable (nombre de mesures mises en œuvre, état d’avancement) que d’une véritable évaluation de la réforme au regard des objectifs fixés. Les objectifs d’amélioration de la qualité des services publics, de rationalisation de la dépense publique et de valorisation du travail des fonctionnaires qui constituaient, il y a trois ans, le leitmotiv du gouvernement, ont-ils vraiment été atteints ? Comment les agents concernés perçoivent-ils la réforme ? Quelle appréciation les usagers font-ils de cette première vague de la RGPP ? Or la réponse à ces questions est décisive pour que la seconde vague soit un succès.
La première vague de la révision générale des politiques publiques a produit des premiers résultats significatifs. De nombreuses mesures ont été réellement mises en œuvre, pour une simplification des démarches administratives, pour une rationalisation et une modernisation du fonctionnement de l’État.
Ainsi, des guichets uniques ont été mis en place pour permettre aux usagers d’effectuer leurs démarches en un même lieu et dans un temps réduit. La fusion de l’Anpe et des Assedic, avec la création de Pôle Emploi, s’est traduite par l’ouverture de 910 agences de proximité sur l’ensemble du territoire pour les demandeurs d’emploi. Les premiers services des impôts des particuliers, guichets fiscaux uniques, ont été mis en place pour les contribuables. Du côté des entreprises, la création de 22 directions régionales des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l’emploi (Direccte), ont réduit le nombre des interlocuteurs régionaux des entreprises de neuf services à un seul, auprès duquel elles peuvent obtenir des informations portant sur le respect de la réglementation du travail, de la concurrence mais aussi sur le régime des aides.
Dans les administrations centrales comme dans les services déconcentrés, l’organisation et l’action de l’État ont été décloisonnés, favorisant les réductions de dépenses publiques. Ainsi, au ministère de la Culture et de la Communication, le nombre des directions centrales a été ramené de dix à trois. Au niveau déconcentré, la création des Agences régionales de Santé (ARS) doit garantir un meilleur pilotage de la politique de santé dans toutes ses composantes : prévention, offre de soins, coordination entre la médecine de ville, l’hôpital et le secteur médico-social.
Enfin, un véritable mouvement a été engagé de mutualisation et de professionnalisation des fonctions supports. La création de l’Opérateur national de Paye permettra à un opérateur unique de payer l’ensemble des agents de l’État à l’horizon 2016, sur la base d’un système d’information adapté aux enjeux métier et d’une refonte globale de l’organisation de la chaîne paye… une opération unique au monde.
Cette première vague de la révision générale des politiques publiques est bien le signe d’une volonté de réussir la rationalisation. On ne peut que souligner la volonté de mettre en œuvre une démarche globale, n’épargnant aucun pan de l’action de l’État.
Pour autant, l’ambition d’une remise à plat de l’ensemble du fonctionnement de l’État semble être aussi la principale faiblesse de la réforme.
Car, en l’absence de priorités claires et de direction précise, la mise en place des différentes mesures s’est faite selon le principe de la course individuelle au « feu vert ». Les réflexions nécessaires pour une coordination des services dans la préparation de mesures adjacentes ont manqué. Les suppressions de services ou les réductions d’effectifs ont été conduites sans véritable analyse des missions à prendre en charge par l’État.
Dès lors, rien d’étonnant à ce que, selon un sondage Ifop2 , 43% des fonctionnaires interrogés aient le sentiment que globalement la fonction publique a évolué plutôt en mal au cours des dernières années (37 % jugent qu’elle a évolué plutôt en bien, 20 % qu’elle n’a pas évolué). Les agents ont été les premiers à souffrir du manque de communication sur la mise en œuvre des réformes. Peu accompagnés dans les réorganisations de leurs services, ils se disent en très grande majorité mal informés (89 % des fonctionnaires). Dans ce même sondage, une très large majorité des personnes interrogées se dit inquiète (70 %) ou indifférente (11 %) face à la réforme. 9 % se disent hostiles à la RGPP, contre 7 % qui se déclarent confiants et 3 % enthousiastes.
La révision générale des politiques publiques devait valoriser le travail des fonctionnaires, or une majorité a aujourd’hui le sentiment que l’intérêt de son travail au quotidien s’est détérioré : moins de responsabilités, moins d’autonomie, impact de la réforme sur les rémunérations, possibilités d’évolutions professionnelles réduites, charge de travail accrue… Pourquoi ce sentiment ?
D’abord, le pouvoir politique n’a pas pris la mesure de la nécessité d’accompagner au plus près les personnels dans l’évolution de leurs situations individuelles, parallèle à l’évolution des services. D’où le sentiment de frustration qui en ressort. Les difficultés rencontrées sur le terrain dans les nouvelles Directions départementales interministérielles (DDI) en sont un exemple significatif. Dans ces services, la juxtaposition des statuts, des rémunérations, des cultures de travail, subsiste, au détriment d’une réelle cohésion des agents appelés désormais à travailler ensemble. En fonction de leur ministère d’origine et de leurs corps d’appartenance, des agents exerçant les mêmes fonctions ne possèdent pas les mêmes droits de carrière ou perçoivent une rémunération différente. Il arrive même qu’un chef de service gagne moins que son subordonné. Au quotidien, ces différences constituent une réelle épine dans le pied des préfets : démotivation des équipes, difficultés à travailler ensemble. Ce manque d’anticipation et d’accompagnement conduit à des problèmes d’organisation du service. À minima, une communication plus ciblée sur les objectifs et les modalités de la réforme eut été souhaitable. Une véritable réflexion sur la convergence des situations individuelles et les moyens de créer des cultures d’entreprise au sein des nouveaux services était souhaitable.
Par ailleurs, le manque de formation des agents aux nouveaux métiers qu’ils doivent exercer dans le cadre de cette refonte constitue une autre raison des difficultés rencontrées. À Pôle Emploi, quelques heures de formation seulement ont été accordées à des agents jusqu’ici chargés de l’indemnisation, pour qu’ils soient en mesure de réaliser le placement des milliers de demandeurs d’emploi, clients de l’établissement. Comment sauraient-ils être en mesure de proposer des offres vraiment adaptées ?
Enfin, alors qu’une des promesses de la réforme était de responsabiliser davantage les agents et de leur confier des activités plus stimulantes, la RGPP semble au contraire leur avoir retiré du pouvoir. Non seulement ils n’ont pas été associés à la définition des objectifs de la réforme, mais, ils ne détiennent que bien peu de marges dans sa mise en œuvre. Ce sont les cabinets ministériels et quelques services d’inspection de l’administration, appuyés de cabinets consultants, qui ont conduit la réflexion stratégique, le plus souvent en fonction de critères budgétaires et politiques (l’objectif du non-remplacement d’un fonctionnaire sur deux partant à la retraite a été vanté indifféremment dans toutes les sphères de l’État, sans réflexion préalable sur les missions qu’il fallait renforcer et celles qui devaient être peu à peu abandonnées), plutôt qu’avec la volonté de redonner aux agents les moyens de mener à bien leurs missions. Du coup, dans la mise en œuvre, les objectifs tombent d’en haut, avec l’injonction de faire du reporting sur les résultats, et les agents n’ont guère de latitude dans la façon d’utiliser les moyens budgétaires et humains à disposition. Engagée dans une réforme comparable, la Suède avait, à l’inverse, renforcé le pouvoir des responsables des différents services pour gérer des budgets qui avaient été réduits. Le résultat en France de ce manque de responsabilisation : le sentiment d’impuissance face aux ambitions affichées et l’impossibilité d’œuvrer dans sa conduite… un sentiment d’inutilité.
Parallèlement, la simplification des démarches administratives et la volonté d’améliorer la qualité du service se sont fondées surtout sur la dématérialisation des démarches administratives. Les citoyens peuvent ainsi effectuer en ligne leur demande d’inscription sur les listes électorales et ne sont plus obligés de fournir des copies d’actes d’état civil pour les demandes de passeport. La création du site mon.servicepublic.fr donne la possibilité à chaque utilisateur de réaliser ses démarches et d’accéder à des informations personnalisées ainsi qu’à un espace confidentiel de stockage de pièces justificatives ou de documents administratifs.
Pour autant, d’après deux enquêtes par sondage3 de février 2010, la perception d’une amélioration sensible grâce aux services en ligne ne doit pas cacher des attentes très fortes concernant la qualité de la réponse de l’administration. Si les Français reconnaissent nettement les progrès accomplis pour la mise en place des services en ligne (63 %) et, dans une moindre mesure, pour faciliter l’accès aux informations utiles, ils ont au contraire un jugement très négatif sur les évolutions en matière d’identification de leur interlocuteur, de délais de traitement et de temps d’attente à l’accueil.
Ce sentiment d’abandon des usagers est conforté par le discours sur la réduction des effectifs et sur la fermeture de plusieurs services administratifs. Là encore, le principal défaut de la réforme n’est pas tant le résultat obtenu (finalement, le mouvement amorcé est indispensable), que l’absence de pédagogie. A-t-on communiqué de manière individualisée sur les changements opérés ? A-t-on indiqué clairement où chacun pouvait trouver ses nouveaux interlocuteurs ? En bref, a-t-on vraiment favorisé l’appropriation des changements par chacun ?
Le constat de l’échec de l’accompagnement de la réforme, auprès des agents de l’administration comme des usagers du service public, conduit à s’interroger sur la manière de contourner les difficultés à affronter lors d’une seconde vague de mesures. La seule volonté politique ou stratégique ne suffit pas pour mener à son terme une transformation aussi ambitieuse que celle envisagée pour l’État. Dès lors, quelques questions peuvent être posées sur les facteurs qui feront le succès de la seconde vague de la révision générale des politiques publiques.
En premier lieu, comment s’assurer que tous, politiques, administrations, citoyens, organisations syndicales partagent le « sens » de la réforme ? Les bons objectifs de la RGPP sont-ils réellement ceux qui ont été affichés, à savoir économies, qualité de service et valorisation des agents ? Est-ce là ce qu’on attend de l’État ? Mais qu’est-ce que l’État ? Les collectivités territoriales, les établissements publics font-ils aussi partie de cet État ? Et à ce titre, quel rôle doivent-ils jouer dans la modernisation ? La seconde vague de la révision est l’occasion de réinterroger l’État et de se demander ce qu’on veut qu’il soit demain, de dessiner avec tous les acteurs en présence ses contours et, ses missions, avec la volonté de mieux définir les domaines d’intervention dans lesquels l’État est légitime et les structures qui doivent appuyer son action. L’État doit jouer sur la complémentarité des structures (État central versus déconcentré, collectivités, établissements), celles des compétences, des financements d’investissement, en supprimant les doublons, les incohérences, les interventions multiples et désordonnées, la réussite de la RGPP, c’est peut-être moins de mesures, mais plus de vision.
Ensuite, comment faire partager le « sens » de la réforme ? Le rôle du management dans sa conduite ne saurait être négligé. Là où il a été considéré jusqu’alors par le pouvoir politique comme un soldat obéissant, il peut devenir un metteur en scène créatif, pour motiver et permettre l’adhésion de ses équipes, comme pour embarquer les citoyens dans le mouvement. Sa responsabilité serait claire dans la réforme s’il disposait des moyens adaptés : une transformation sans investissement est vouée à l’échec. Le manager pourra-t-il jouer sur les rémunérations de ses agents, évaluer leurs réalisations au regard des objectifs fixés, à partir des moyens humains et financiers dont il a besoin pour mener à bien la RGPP, utilisant ceux-ci de manière autonome ? Le pari gagnant est celui de la subsidiarité, en estimant que les administrateurs sont de meilleurs gestionnaires avec des budgets plus limités que leurs décideurs.
L’adaptation des modes de fonctionnement des services de l’État à leurs nouvelles modalités d’action suppose aussi de savoir anticiper. L’État pêche souvent par défaut de préparation ou par précipitation. N’est-ce pas ce qui s’est passé pour les DDI ou pour Pôle Emploi ? L’État a-t-il mesuré les changements de métier, de culture, d’outil et d’organisation des services induits par la réforme ? Cela risque d’être à nouveau le cas pour les futurs services fusionnés. Anticiper c’est mesurer les impacts : une nouvelle mission, c’est souvent un nouveau métier. Indemniser ou placer, ce n’est pas le même métier. Faire les deux en parallèle encore moins : l’organisation du travail implique des compétences nouvelles, des outils adaptés, un changement de culture. Comprendre ces évolutions, c’est comprendre les nouveaux besoins des services, des agents et des usagers. C’est faire un pas vers de meilleures réponses aux attentes de chacun. Après vient le temps des évolutions nécessaires : formation des agents, adaptation des fiches de poste, évolution des modes de management, ajustement des organisations (du service et de l’immobilier). Dans une réforme, il ne faut pas brûler d’étapes, même si le temps est compté.
En guise de conclusion, on rappellera qu’au moment de lancer une deuxième vague, l’évaluation de la pertinence des premières mesures mérite plus d’attention. A-t-on, par exemple, réellement « expérimenté » la réussite des guichets uniques avant d’en généraliser le concept ? La personnalisation du service et la segmentation des offres en fonction des besoins et des attentes de chaque citoyen n’a-t-elle pas parfois sa place ? N’est-ce pas ce que pratiquent les sociétés de téléphonie du marché : loin de constituer un coût supplémentaire, la multiplicité des canaux d’accès en fonction des situations propres de chaque client font le succès des politiques commerciales de ces entreprises. L’État, au contraire, standardise, industrialise, sous prétexte de réduire ses dépenses, et avec en vue la nécessité de résultats déjà visibles à échéance électorale, ce qui est court pour des réformes de grande ampleur : le guichet unique a été considéré comme la manière de réformer ! Tester sur des lieux pilotes, mesurer la satisfaction des agents et des usagers, avant de généraliser, aurait sans doute permis d’adapter les solutions à chaque situation : un guichet unique pour les entreprises peut-être, un guichet unique pour les demandeurs d’emploi, pourquoi pas, mais pas dans les conditions dans lesquelles cela a été fait…
Hélène Moutel
1 / . Le gouvernement a mis en place un système de suivi basé sur un feu tricolore. Les mesures sont « au vert », lorsque leur mise en œuvre suit le calendrier prévu. En cas de retard, elles sont « à l’orange » et « au rouge ».
2 / Sondage réalisé pour Accenture/Les Echos en novembre 2008 auprès d’un échantillon de 813 fonctionnaires, représentatif des agents de la fonction publique d’État et territoriale.
1 / http://www.lesechos.fr/medias/2008/1202//300313152.pdf
4 / . Enquête Ipsos réalisée pour la DGME dans le cadre de la mission par téléphone auprès d’un échantillon de 1000 usagers des services publics, représentatif de la population et enquête Opinion Way réalisée auprès d’un échantillon de 1 032 personnes , représentatif de la popul ation française âgée de 18 ans et plus, interrogé en ligne sur système CAWI.