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Ce 25 février, une panne générale d’électricité a touché le Chili, laissant plus de 90 % d’une population de 20 millions d’habitants sans lumière, métro ou réseau téléphonique et Internet. « Nous sommes revenus à l’époque des cavernes », plaisantait une vieille dame devant les embouteillages monstrueux faute de feux de circulation et les cohortes de piétons. Une telle dépendance à un seul canal d’énergie pose question.
Et que dire de la France en regard de son modèle d'agro-business pour son alimentation ? Ou des Allemands découvrant leur dépendance au gaz russe ? Ou de la défense européenne à l'armée des États-Unis ? L’association Terre de liens vient de publier son rapport annuel dénonçant un modèle made in France focalisé sur l’exportation. On y apprend que 44 % des terres cultivables produisent pour l’export, alors que la France importe 33 % des produits qu’elle consomme.
La notion de « souveraineté » revient alors en force, comme si elle allait résoudre nos dépendances. Or les « œufs » chiliens étaient dans un panier chilien ! La question ne porte pas tant sur l’origine de nos moyens que sur la fragilité du maillon faible de nos approvisionnements et, mais c’est un autre débat, sur l’existence même de ces ultra-dépendances qui nous asservissent.
Tous les économistes le savent, sans le clamer trop haut : l’antidote à la dépendance est la diversification des risques et donc des fournisseurs. Or, dans ce monde globalisé, les monopoles – qu’ils soient numériques, industriels, logistiques, bancaires, pharmaceutiques ou culturels – nous rendent de plus en plus dépendants de géants économiques. Tout cela est justifié par la fameuse réduction des coûts due à l’effet d’échelle.
La concentration et le gigantisme des méga entreprises sont encouragés par nos politiques, par souci d’efficacité et de compétitivité. Le principe du « winner takes all » régit les élections présidentielles aux États-Unis : tous les œufs – ces fameux grands électeurs des États fédérés – se retrouvent dans un même panier, démocrate ou républicain. Il nous faudrait pourtant favoriser la diversité des acteurs concernés, en prenant exemple sur l’extraordinaire biodiversité de la nature.
La « solution » consistant à « assurer » les risques liés à l’ultra dépendance n’en est pas une. Peut-on vraiment assurer une forêt californienne face aux incendies, des données personnelles face au hacking ou des populations face au manque de soignants ? Il ne s’agit pas ici de finances, mais d’économie réelle et incarnée. Chacun sait qu’il n’y a pas de risque zéro et que les coûts explosent.
Finalement, la sagesse vient de la vie. Dans les épreuves, c’est la solidité de nos relations diversifiées qui importe. Que ce soit à Mayotte, à Kiev ou à Gaza, fraternité et solidarité sont les deux mamelles de la résistance et de la résilience.