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À l'école de nos cicatrices

L'homme blessé, Gustave Courbet
L'homme blessé, Gustave Courbet

Le corps, notre corps, est fragile, vulnérable. Tout accident de la vie s’y imprime en tant que blessure, visible ou intérieure. Ces blessures peuvent devenir des plaies mortelles, comme l’a écrit Rimbaud : « Il dort dans le soleil, la main sur sa poitrine, tranquille. Il a deux trous rouges au côté droit. » Le vivant, et c’est un de ses privilèges, a le pouvoir de cicatrisation.

Des ressources insoupçonnées sont mobilisées pour retisser la chair, pour combattre le mal. Alors que la plaie purulente montre la puissance de la mort, la cicatrice clame haut et fort la victoire du vivant. Mais cela a un prix. La cicatrice n’oublie rien du combat, elle continue à nous démanger, à nous « défigurer ». Elle écrit, au scalpel, notre histoire personnelle sur notre peau.
Étonnant livre d’histoire(s) que cette chair que nous emmenons partout avec nous. Comme si elle ne conservait, au gré des cicatrices, que la trace des combats gagnés, des épreuves traversées. N’y aurait-il que les histoires douloureuses à être ainsi tatouées sur notre corps ? Comme si le bonheur glissait, imperturbable, sur notre épiderme. Peut-être est-ce parce que le bonheur ne blesse pas, ne marque pas, tout comme ces bonnes nouvelles qui ne font jamais la Une.

Avec Darwin, on pourrait considérer nos cicatrices comme un système ancestral de défense et de survie, chacune nous rappelant un danger à éviter. Une ancienne brûlure nous rendra prudents face au feu, tout comme un doigt sectionné nous rendra méfiants de la tronçonneuse. Les cicatrices sont une mémoire vivante, elles qui nous redisent combien nous sommes vulnérables.
La question, pour un disciple de Darwin, est de savoir pourquoi l’espèce humaine ne possède pas un tel système d’autodéfense. Les peuples et les nations se sont si souvent brûlés aux feux guerriers, s’estropiant et s’amputant de tant de membres. Les cicatrices collectives se comptent par milliers. Pourquoi sont-elles si vite oubliées et ne jouent-elles plus leur rôle de rappel à la prudence ? Pourquoi la mémoire des peuples est-elle si évanescente ?

À Mayotte, un cyclone semblable à ceux qui, auparavant, avaient ravagé la Nouvelle Orléans ou les Philippines, a tout détruit. Saïd Saïd Hachim, géographe mahorais, assurait, à France Info, avoir tout fait pour alerter les autorités et les habitants avant l’arrivée du cyclone. Mais les gens n’y croyaient pas. Le géographe dit s’être heurté à la nonchalance et l’insouciance des gens. Les cicatrices d’autres régions dévastées ne leur parlaient pas. Ou peut-être portaient-ils en eux-mêmes d’autres cicatrices plus douloureuses, telles que la faim ou l’errance.
Une même incompréhension naît à propos de la lenteur des secours venant de la métropole. L’État et les ONG d’urgence, par ailleurs très efficaces, connaissaient les besoins et les procédures. Pourquoi n’avoir, semble-t-il, réagi qu’a posteriori ? Pourquoi n’avoir pas retenu les leçons de la Louisiane, des Philippines ou d’ailleurs ?

Espérons qu’en 2025, on se mette davantage à l’école de nos cicatrices, les nôtres et celles des autres. Afin d’éviter le pire.

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