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Transition écologique : Former pour transformer

Le Campus de la transition a porté le projet du Manuel de la grande transition. © Campus de la transition
Le Campus de la transition a porté le projet du Manuel de la grande transition. © Campus de la transition

Et si l’inertie face à la crise environnementale se logeait dans nos manuels scolaires ? Pour la première fois, un collectif d’étudiants, d’enseignants et de professionnels a repensé les fondements d’une formation pluridisciplinaire autour de la transition écologique. Entretien avec Rémi Beau, l’un des coordinateurs du Manuel de la grande transition.


En 2019, le Campus de la transition1 a été soutenu par le ministère de l’Enseignement supérieur pour rédiger un guide pratique sur « l’enseignement supérieur à l’heure de la transition écologique et sociale ». Quelle est la genèse de ce projet ?

Il y a trois ans, plus de 30 000 étudiants de plus de 400 établissements signaient le manifeste étudiant pour un réveil écologique. Insatisfaits, ces jeunes estimaient être bien mal formés sur les transformations qu’appelait la transition écologique et exigeaient une évolution des enseignements actuels, où les sujets environnementaux restent marginaux, cantonnés dans des cours optionnels ou des spécialisations. Cécile Renouard, présidente du Campus de la transition, a rencontré la ministre de l’Enseignement supérieur, de la Recherche et de l’Innovation, Frédérique Vidal. En a résulté ce projet de livre blanc, le Manuel de la grande transition, pour penser l’évolution concrète de l’enseignement supérieur… Avec une très grande liberté quant à la vision, la méthodologie et les contenus !

Sans dresser un état des lieux de ce qui pouvait se faire en bien ou en mal dans l’enseignement supérieur, il s’agissait avant tout d’être force de proposition. Le lien entre connaissance et action a été au cœur de la rédaction de ce livre blanc, pensé comme un outil pour donner aux étudiants de quoi forger leur esprit critique, se positionner et se mettre en transition à la fin de leurs études.

Comment s’attelle-t-on à un projet aussi vaste ?

Premièrement, en construisant un collectif. Nous ne pouvions pas le réaliser seuls. Nous avons donc créé le collectif Fortes : soixante-dix enseignants-chercheurs de tous les horizons disciplinaires, des étudiants et quelques acteurs de l’entreprise et de la société civile. Répartis en groupes de travail, ils se sont interrogés sur les savoirs que devraient maîtriser des étudiants, quelle que soit leur filière, pour se forger un avis critique sur la transition écologique et sociale. Parallèlement, nous avons fait appel à des personnes ressources ayant un regard transversal sur ces enjeux (Jean Jouzel – climatologue –, Dominique Bourg et Catherine Larrère – philosophes –, Marc Dufumier – agronome –, Alain Grandjean et Jean-Paul Maréchal – économistes –, etc.).

Quels savoirs des étudiants devraient-ils maîtriser, quelle que soit leur filière, pour se forger un avis critique sur la transition écologique et sociale ?

Ce premier travail a abouti à la rédaction d’un socle commun de connaissances et de compétences, destiné à tous les étudiants de l’enseignement supérieur. C’est ce socle qui constitue la matière du Manuel de la grande transition. Un deuxième étage de la fusée nous a semblé ensuite nécessaire : treize chapitres « pour aller plus loin » viennent compléter le manuel. Ils creusent des enjeux spécifiques à chaque discipline : si l’on est étudiant physicien, que doit-on savoir de plus ?

Quels sont les éléments clés à retenir de ce guide pratique ?

Nous avons travaillé à partir de « six portes d’entrée sur la transition » : Oïkos, Éthos, Nomos, Logos, Praxis et Dynamis. Cette grille de travail se voulait un opérateur d’interdisciplinarité : elle obligeait à dépasser son seul point de vue disciplinaire. Par exemple, l’Oïkos renvoie au diagnostic scientifique de la crise que l’on traverse. On y trouve donc des aspects sur le climat, la dégradation du vivant, la géopolitique… Pour l’Éthos, qui fait écho aux enjeux éthiques de la transition, on y retrouve la responsabilité, les injustices environnementales, etc. Ces six portes sont autant de façons d’entrer dans la réflexion. L’objectif est de relier ces différents savoirs pour que les formations qui s’inspirent de ce manuel soient pensées comme des parcours entre ces six points.

Dans le livre, on entre par la porte du diagnostic (Oïkos), puis on passe par la réflexion éthique (Éthos). Ensuite, on s’interroge sur comment gouverner, mesurer, repenser les indicateurs (Nomos). La réflexion se poursuit en questionnant les rationalités par lesquelles on essaie de comprendre ce qui se joue et par l’écriture de nouveaux récits (Logos). On se penche ensuite sur la question de la mise en application de la transition (Praxis), pour finir sur la nécessité de se reconnecter à la nature et au monde et les diverses manières pour le faire, en articulant les dimensions individuelle et collective (Dynamis). C’est un parcours proposé, mais on peut aussi très bien commencer par la pratique !

On comprend bien que les savoirs à acquérir ne passent pas seulement par l’intellect mais aussi par le ressenti. Que peut-on dire sur les autres manières d’enseigner, les autres pédagogies ?

La reconnexion à la nature évoquée concerne à la fois l’esprit et le corps. La volonté d’enseigner par la pratique, de sortir des classes et des amphis est une spécificité du Campus de la transition, via la permaculture et l’agroécologie notamment.

La volonté d’enseigner par la pratique, de sortir des classes et des amphis est une spécificité du Campus de la transition.

Dans le livre, grâce à la contribution d’une étudiante en service civique, nous avons proposé une série d’exercices pédagogiques qui contribuent à une appropriation des savoirs du socle commun. L’objectif n’est pas de construire des cours à la place des enseignants, mais de rassembler des ressources théoriques et de suggérer des parcours pédagogiques. Nous défendons des positionnements assez forts dans le socle commun, mais mettons en évidence une façon d’enseigner la transition que les enseignants peuvent s’approprier sans nécessairement être d’accord avec tout.

Quel est ce positionnement ? D’ailleurs, pourquoi avoir choisi d’enseigner la transition plutôt que la crise écologique ?

Le développement durable s’est transformé en une notion un peu floue, jugée, à raison, comme bien trop molle pour être directrice au regard de la transformation à accomplir. La transition pose les mêmes questions, mais nous avons tenu au titre de « grande transition » pour faire écho, d’abord, à La grande transformation (1944) de l’économiste Karl Polanyi, qui souligne l’ampleur de la tâche à accomplir, une réaction semblable à celle qui fut nécessaire face au choc que fut la construction des sociétés de marché. Le titre fait aussi référence à la grande accélération, cette augmentation vertigineuse des flux de matière et d’énergie qui advient dans la seconde moitié du XXe siècle. En parlant de « grande » transition, on sort le terme de transition de sa tiédeur. On montre qu’il faut des transformations radicales, mais non marginales : une radicalité de positionnement mais qui essaye d’engager le plus d’acteurs dans cette transition.

La relation enseignant-étudiant a-t-elle été questionnée ?

Les principes d’horizontalité, des classes inversées, des échanges, sont détaillés dans le chapitre sur les pédagogies. Mais cette préoccupation de l’horizontalité nous a accompagnés tout au long du projet. Les journées de travail étaient pilotées par des facilitateurs qui cherchaient à sortir d’une approche trop verticale, en évitant particulièrement la conférence de sachant, validée par ceux qui y participeraient. On a essayé de faire en sorte que chacun puisse faire entendre sa voix avec une diversité de perspectives.

Toute une série de nouveaux métiers sont à inventer. D’autres pourraient disparaître, ceux notamment que l’anthropologue David Graeber qualifiait de « bullshit jobs ».

Quels sont les métiers de demain vers lesquels mène ce livre blanc ?

Ce sont les métiers d’une société compatible avec la diminution extrêmement forte des émissions carbonées, pour ne pas trop s’écarter d’une hausse de 2 °C en 2050 – sachant toutes les difficultés d’un tel objectif. Ce sont donc des métiers qui existent pour partie aujourd’hui mais qui doivent être transformés en profondeur pour respecter les limites planétaires avec une exigence de justice sociale forte. Toute une série de nouveaux métiers sont aussi à inventer dans les domaines de la production, de la réparation et du recyclage. D’autres, enfin, pourraient disparaître, ceux notamment que l’anthropologue récemment disparu David Graeber qualifiait de « bullshit jobs ». Cela implique également de repenser l’organisation sociale du travail, d’avoir des indicateurs de qualité centrés sur le relationnel plutôt que sur la productivité. Il s’agit de replacer la dimension objective du travail (ce qu’il produit) comme critère d’évaluation secondaire par rapport à la qualité relationnelle et à l’épanouissement subjectif qu’il procure. Le livre présente donc une réflexion générale sur le travail et une réflexion spécifique sur chacun des métiers et chacune des compétences à développer pour former les étudiants au travail de demain.

Face aux modes de transformation que vous plébiscitez, n’est-il pas paradoxal de proposer un livre blanc ? Envisagez-vous d’autres moyens ?

Au début du projet, tout le monde s’est demandé : « À quoi bon un énième livre blanc ? » C’est d’ailleurs pour cela que nous nous sommes très vite affranchis du modèle classique. « Livre blanc », ce n’est qu’une appellation ; notre objectif était bien de créer un socle de compétences et de connaissances à mettre en œuvre. Et nous voyons déjà des retombées concrètes : des universités qui, à partir de la méthodologie proposée et accompagnées par le Campus de la transition, entament une transformation.

Propos recueillis par Marie Drique

Cécile Renouard, Rémi Beau, Christophe Goupil et Christian Koenig (dir.), Manuel de la grande transition. Former pour transformer, Les liens qui libèrent, 2020.

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1 Situé dans le domaine de Forges (Seine-et-Marne), le Campus de la transition est un lieu d’enseignement, de recherche et d’expérimentation, créé en 2018 par un collectif d’enseignants-chercheurs, d’entrepreneurs et d’étudiants.


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