Une revue bimestrielle, exigeante et accessible, au croisement entre le monde de la recherche et les associations de terrain.
Toujours, les récits mythiques ou les contes de fées ont permis aux hommes d’affronter leurs angoisses. Tel l’enfant imaginant des monstres dans le placard ou le Romain rêvant des champs Élyséens face à la mort, nous sommes à la merci de notre imaginaire lorsque nous nous retrouvons seul, dans la peur, le noir ou le silence. Face à l’inconnu, à l’inimaginable, seule l’imagination est possible. L’homme a besoin d’exprimer ce qu’il ressent alors que les mots lui manquent, que ce soit par un mythe, un conte, une histoire, un dessin. Mais, pour que le récit soit bienfaisant, il doit être radical – il doit aller à la racine de nos angoisses et de nos résiliences – et être charnel – toucher nos sens que sont la vue, l’ouïe, l’odorat, le goût et le toucher. On ne combat pas les peurs viscérales par de la théorie éthérée. Non, la peur transpire, le silence assourdit, la vie parfume.
En ce temps d’épidémie, de nombreuses paraboles circulent sur les réseaux, depuis l’image d’une planète en douleurs d’enfantement jusqu’à celle d’hommes-poules sans tête courant dans tous les sens. Toutes disent notre angoisse du lendemain et certaines notre soulagement que s’arrête un mode de vie insoutenable. Peu font droit à la confusion de nos émotions, positives, négatives, irrationnelles…
Les informations objectives, les statistiques sont nécessaires, mais elles ne rassurent pas celui qui a peur du noir.
Je vous propose de laisser votre imaginaire prendre le gouvernail. D’imaginer ces temps sous forme de récits, d’histoires, de dessins. Afin d’exprimer l’insaisissable. Ces sentiments totalement personnels ne sont communicables à vos proches que sous la forme analogique : « C’est comme si… » Le totem, figure du sacré, relie les croyances et les peurs les plus profondes de chacun. Il doit être visible et palpable, hideux et attirant. Dans le quartier Front-populaire de Saint-Denis (93), les enfants de l’école maternelle ont imaginé un géant, à la fois figure de yéti et du grand frère, pour exprimer leur crainte du « non semblable », de l’étranger et leur désir de vivre avec lui une relation d’amitié. La statue en face de l’école en dit plus que de nombreux discours. Les informations objectives, les statistiques sont nécessaires, mais elles ne rassurent pas celui qui a peur du noir. Un gros monstre en peluche à longs poils, étonnamment, oui. Et votre gentil monstre à vous, comment se débrouille-t-il en ce moment ?
Je suis mathématicien. Abandonnez un temps le monde des réels et des chiffres pour entrer dans le monde des (nombres) imaginaires. Depuis des siècles, les scientifiques savent que la multiplication des imaginaires est un outil pour comprendre le côté négatif des choses, l’autre côté du miroir.