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Au Cèdre, tout faire pour garder le lien avec les exilés

Capture d'écran de la page Facebook mise en place par le Cèdre pendant la crise du Covid-19.
Capture d'écran de la page Facebook mise en place par le Cèdre pendant la crise du Covid-19.

Le Cèdre (Centre entraide pour les demandeurs d’asile et les réfugiés), structure rattachée au Secours catholique, accueille plusieurs centaines d’exilés chaque jour pour les informer sur leurs droits et les accompagner dans leurs démarches. Mais en temps de confinement, ces liens précieux et fragiles sont mis à mal. Comment s’adapter pour continuer à défendre les personnes les plus exclus ? Entretien avec Aurélie Radisson, directrice.


Comment avez-vous accueilli le confinement au Cèdre ? Cela a-t-il remis en question votre activité ?

Nous avions beaucoup d'interrogations dans l'équipe. Rompre un lien construit depuis longtemps avec les personnes accueillies était vécu comme une vraie difficulté. Et nous étions aussi très inquiets de ne plus pouvoir jouer notre rôle habituel : le Cèdre est ouvert à tous, c'est un relai d'informations pour des personnes exilées qui n'ont pas toutes les clés de compréhension de notre société.

À l’annonce du confinement, c'est tout une fourmilière qui s'est mise en place, en respectant les distances de sécurité : il fallait préparer puis imprimer des documents sur les gestes barrière, expliquer les raisons de la fermeture du Cèdre, comment les gens pouvaient nous joindre... le tout en 23 langues ! Cela demandait de grosses recherches pour trouver le vocabulaire en tamoul, en turc, en farsi... Au Cèdre, plus de 50% des bénévoles ont un parcours d'exil. Nous les sollicitons généralement assez peu sur la traduction de document écrit. Exceptionnellement, beaucoup se sont mobilisés pour donner un coup de main.

Tout a été affiché sur les grilles du jardin car nous savions que certains exilés passeraient le lundi, le mardi et le jeudi matin, les jours d’ouverture. Habituellement, on compte entre 40 et 60 personnes à l'ouverture de nos grilles et jusqu'à 200 personnes tout au long de la matinée. Même ceux qui n'auraient pas compris l'interdiction de circuler ou qui auraient une urgence pourraient trouver une information compréhensible.

Les bénévoles des cours de français se sont aussi mis en action tout de suite. Ils ont envoyé des exercices aux apprenants, des petites vidéos à suivre seuls... Ils ont même mis en place des classes virtuelles : tout le groupe se donne rendez-vous une fois par semaine par visioconférence pour les cours. Pour les apprenants, ce n'est pas toujours évident de se connecter ou d'avoir suffisamment de batterie. À Calais, par exemple, les maraudes ont repris pour organiser la recharge des téléphones. Et pour garantir une bonne connexion, nous sommes en lien avec d'autres associations comme Emmaüs connect pour mettre des téléphones ou des forfaits à disposition.

Nous pouvons utiliser une compétence qu'ont certains bénévoles : le réseau communautaire.

Enfin, une petite équipe a créé une page Facebook : le Covid a fait basculer le Cèdre dans l'ère des réseaux sociaux ! Nous nous en étions toujours tenus un peu à distance par peur que certains ne puissent pas suivre le rythme des publications ou que nous ne puissions pas voir tout de suite les questions... Avec le confinement, c'était le moyen le plus simple pour informer le plus largement possible, sans passer tous les jours sur place. C'est une page Facebook multilingues. L'organisation s'est mise en place au fur et à mesure. Tous les jours, à 11h, on publie une actualité essentielle pour les personnes exilées : où trouver les points d'eau gratuits et les sanitaires ouvertes dans Paris, comment faire pour les personnes sous procédure Dublin, comment réagir face aux violences domestiques... Derrière ces posts, il y a toute une équipe pour animer la page, préparer la rédaction et les traductions, imaginer la mise en forme...

Au tout début, ce sont surtout les réseaux associatifs qui s'abonnaient. Maintenant la page est de plus en plus suivie par des personnes directement concernées. Nous avons compris que nos 50 bénévoles, eux-mêmes migrants, pouvaient aussi nous introduire auprès d'autres personnes exilées, du moins nous faire connaître. Et cela change beaucoup de choses pour nous : jusque-là, nous étions attentifs à ce que tous les bénévoles, quelle que soit leur situation, soient considérés de la même façon. Nous voulions éviter tout risque de hiérarchisation ou de catégorisation liée au statut administratif car chacun a son mot à dire et fait partie de l'équipe à part entière. Avec l'épidémie, nous pouvons utiliser une compétence qu'ont certains bénévoles : le réseau communautaire. Au final, chacun, dans son expérience de vie, peut apporter une contribution particulière et singulière.

Comment garder le lien à distance ?

Notre travail consiste beaucoup à rassurer les personnes, ce qui est très compliqué avec le confinement. L'équipe a décidé de mettre en place un accueil téléphonique, joignable en semaine de 9h à 17h. Beaucoup de celles et ceux qui appellent ont besoin de réponses précises : comment gérer un rendez-vous à la préfecture prévu en avril, comment lire et comprendre un courrier...

Outre cet aspect pratique, beaucoup ont aussi besoin de discuter. Via leurs bénévoles, toutes les associations offrent aux personnes du temps. Même lorsqu'il s'agit de comprendre un document administratif, il y a un véritable enjeu à prendre ce temps car on offre peu cette disponibilité-là ailleurs aux personnes qui s'adressent au Cèdre.

Malgré des conditions de vie différentes, cette expérience de vie commune nous relie en humanité.

Comme d'autres lieux du Secours catholique, nous avons aussi mis en place un relai d'échanges téléphoniques. On se rend visite par téléphone, sur rendez-vous. Et cela fonctionne très bien ! Les bénévoles, habitués ou non du Cèdre, se sont tout de suite mobilisés. Tous nous ont dit qu'ils se sentaient inutiles alors que d'autres personnes étaient en souffrance. Des étudiants de l'Inalco, du master H2M (Hospitalité, médiations, migrations), ont aussi rejoint l'équipe. Ces quinze bénévoles rendent visite virtuellement à cinquante et une personnes migrantes isolées qui ont demandé à être dans la boucle.

Les bénévoles racontent que les premiers appels ne sont pas les plus simples. Il faut entrer en relation, expliquer la raison de l'appel... c'est un peu timide au départ. Lorsqu'on est dans une association et que l'on rencontre quelqu'un, on ne met pas tout de suite en avant nos expériences communes, surtout lorsque l'un des deux vient demander de l'aide. Ces codes-là ne sont pas faciles à casser. Mais aujourd'hui, les appelants et les appelés vivent la même chose : ils peuvent se demander mutuellement comment chacun vit les choses. Malgré des conditions de vie différentes, cette expérience de vie commune nous relie en humanité.

Une fois le confinement passé, ces nouvelles habitudes pourraient-elles réinterroger les façons de faire du Cèdre ?

Je ne sais si ce que nous vivons changera ou non les choses. Mais j'en perçois le potentiel. Si cette période peut être une opportunité formidable de changement, de réinvention des modes collaboration avec les bénévoles et des relations avec les personnes accueillies, un gros travail de relecture de tout ce vécu sera nécessaire pour que cela infuse réellement. Malheureusement, je ne suis pas persuadée que nous ne retomberons pas dans ce que nous connaissions avant — et tout n'était pas mauvais.

C'est la même chose à l'échelle de la société. Cette crise pourrait très bien nous faire prendre conscience que nous devons changer de modèle de société et être plus attentifs à l'ensemble du corps social. On sent le potentiel mais il faudra un gros effort derrière pour que cela se concrétise. 

L'après-confinement est aussi un défi. Les personnes que nous suivons vont recevoir des tonnes de courrier pour renouveler leur adhésion à la sécurité sociale, retourner à la préfecture dans des conditions sans doute dégradées... il y a un vrai risque de retomber dans cette machine infernale qui broie les personnes et nous empêche d'être pleinement disponibles. C'est très frustrant : il y avait, déjà, trop de monde avec trop de problèmes à régler !

Quelles sont vos relations avec les pouvoirs publics ? Avez-vous constaté des manquements ?

On ne peut pas dire que la situation des personnes exilées soit bien prise en compte. Des choses intéressantes ont rapidement été mises en place pour le renouvellement et la prolongation de documents de séjour ou de droits à la santé.

La situation reste catastrophique et montre à quel point les pouvoirs publics changent peu de position vis-à-vis des personnes migrantes.

Mais la situation reste catastrophique et montre à quel point les pouvoirs publics changent peu de position vis-à-vis des personnes migrantes. Les demandeurs d'asile n'ont pas le droit de travailler alors que les textes internationaux et européens précisent bien que nous sommes censés les accueillir dignement. Certains d'entre eux reçoivent l'Ada (allocation pour les demandeurs d'asile), délivrée sur une carte depuis octobre dernier. Cette carte permet de faire des achats dans certains magasins mais pas de retirer de l’argent – sauf en cashback en supermarché. Les puces de ces cartes toutes distribuées en même temps à l'automne ont une date de fin de validité. En l’occurrence, avril ! Autrement dit, plus de 80 000 demandeurs d'asile vont devoir se présenter à la direction territoriale de l'Ofii pour récupérer une nouvelle carte (elle n'est délivrée que contre signature du titulaire) alors qu'il devient de plus en plus compliqué de se déplacer. C'est complètement contraire à la logique du confinement. Et malgré les annonces officielles, la plupart des directions territoriales sont fermées. Certains se déplaceront donc pour rien et d'autres ne seront même pas mis au courant : certains lieux où ils reçoivent habituellement leur courrier ne fonctionnent plus ou très peu. Toutes ces personnes n'auront plus la capacité de survivre et ne pourront plus s'acheter à manger jusqu’à ce qu’ils arrivent à récupérer leur nouvelle carte...

Parmi les situations non prises en compte par l’État, il faut penser aux personnes sans-papier. Aucune des aides mises en place pour soutenir les personnes précaires en cette période ne leur sont attribuées, alors qu'elles n'ont plus aucune ressource. Elles vont se retrouver dans des situations de survie dramatique.

Nous avons aussi demandé l'arrêt des obligations de quitter le territoire et des placements en centres de rétention mais nous n'avons pas été entendus. Les arrestations et les mises en détention continuent malgré l'absence de vols vers l'étranger. En Île-de-France, on compte déjà plusieurs cas de Covid au centre du Mesnil-Amelot (77) et de Vincennes (94). Cela signifie que toutes les personnes présentes sur notre territoire ne sont pas prises en compte ni protégées !

Le Cèdre est-il toujours fermé ?

Nous avons décidé d'ouvrir à nouveau pour deux actions. La distribution du courrier car certains commençaient à être bloqués dans leurs démarches administratives. La distribution aura lieu pendant trois jours, sur rendez-vous. Et la distribution de chèques services. Dès le début du confinement, pour répondre à l’urgence sociale, le Secours catholique en a commandé à hauteur de 2,5 millions d’euros. L'objectif était double : éviter les colis alimentaires pour permettre aux personnes de choisir réellement ce qu'elles mangent et limiter les manipulations d'aliments qui présentent aussi un risque. Le Cèdre participe à cette distribution en portant ces chèques services au domicile des personnes pour limiter les déplacements.

Propos recueillis par Anne de Mullenheim et Martin Monti-Lalaubie

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