Une revue bimestrielle, exigeante et accessible, au croisement entre le monde de la recherche et les associations de terrain.
Pour faire valoir sa liberté de parole et d’action, l’association Genepi s’est dressée face à la Direction de l’administration pénitentiaire. Un rapport de forces sans concession qui a mené à une reconfiguration des actions de l’association.
Fin 2016, au ministère de la Justice. Les membres du bureau national du Genepi sont inquiets. Ils se rendent à leur convocation pour rencontrer le directeur de la Direction de l’administration pénitentiaire (Dap). En jeu, la subvention annuelle de l’association. Le Genepi est dans le collimateur à cause de ses positions publiques incisives sur les conditions d’enfermement et ses slogans comme « La prison nuit gravement à la société ». La rencontre est peu cordiale : les responsables du Genepi se voient reprocher de « mordre la main qui les nourrit ». La sanction tombe : en mars 2017, la Dap signifie au Genepi que sa subvention sera abaissée à 30 000 € au lieu de 50 000 €. « Les prises de position [du Genepi] constituent une opposition trop marquée et ne sont plus compatibles avec la mission de service public pénitentiaire ». Le Genepi entame alors une première action de plaidoyer qui conduira le ministre de la Justice à désavouer son administration.
C’était sans compter sur la force du réseau : « Genepistes » d’hier et d’aujourd’hui se lancent à nouveau dans une action de plaidoyer exemplaire.
Mais, un an plus tard, la Dap décide de ne pas renouveler la convention triennale autorisant le Genepi à entrer dans les prisons, à intervenir auprès des personnes détenues, à s’exprimer librement et à agir conformément à ses statuts. La fin de la convention signifie aussi celle des subventions. La décision est présentée comme « définitive et irréversible » en septembre 2018. C’était sans compter sur la force du réseau : « Genepistes » d’hier et d’aujourd’hui se lancent à nouveau dans une action de plaidoyer exemplaire. Mi-octobre, après trois semaines de patiente préparation, l’association envoie un courrier circonstancié à la garde des Sceaux, Mme Belloubet. Vingt autres associations intervenant en prison co-signent un courrier privé pour la ministre : « Le Genepi aujourd’hui, qui sera la prochaine association visée ? » Le 29 octobre, jour où Le Monde publie un premier article sur cette crise, le dossier passe de la Dap au cabinet de la ministre, devenu l’interlocuteur du bureau du Genepi. Une campagne médias est déclenchée : entre le 29 octobre et le 14 novembre 2018, on compte 35 articles dans la presse, des interviews radiophoniques, des apparitions sur les chaînes TV nationales et régionales… Des personnalités influentes contactent la ministre, lui demandant de remettre en place une convention triennale. Des questions lui sont posées à l’Assemblée nationale. La pression monte encore avec une lettre ouverte à la garde des Sceaux diffusée sur Mediapart et signée par 56 organisations, et la publication d’un article dans Le Canard enchaîné. Finalement, le 15 novembre 2018, la ministre décide de renouveler la convention du Genepi. Elle sera signée en février 2019, mais sans subvention.
Le Genepi ne se battra pas pour récupérer la subvention, devenant ainsi moins dépendant et vulnérable aux pressions de l’administration. De plus, malgré ce renouvellement, les membres du Genepi décideront courant 2019 de ne plus intervenir en détention. « Notre choix, controversé, n’est pas né d’un découragement orchestré par la Dap mais d’une volonté politique émise par les militant.e.s du Genepi, affirme Éloïse Broc’h, chargée de communication au Genepi. L’association souhaite demeurer un contre-pouvoir critique fort face au système prison-justice, en toute cohérence : la main que nous mordons ne nous nourrit plus. » Elle ajoute : « Face à la Dap, l’association a su, avec l’aide de VoxPublic, faire naître un rapport de forces et le tenir. Les militant.e.s ont tenté de ne pas se focaliser uniquement sur l’idée d’une restriction des libertés associatives, en rappelant dès que cela était possible les conditions carcérales vécues par les prisonnièr.e.s, leur isolement, et le grand silence dans lequel la machine étatique répressive souhaitait (et souhaite encore) les abandonner. »
Le Genepi, à l’instar de l’Observatoire international des prisons, est un caillou dans la chaussure de la Dap, un contre-pouvoir militant qui empêche l’administration d’agir comme elle l’entend.
Dans ce combat de David contre Goliath, le Genepi a démontré sa capacité à renverser une décision initialement considérée comme irréversible. Les ingrédients de ce succès sont clairs : solidarité inter-associative, capacité à fournir aux médias un narratif porté par des étudiants pour une visibilité sur tout le territoire, mobilisation de personnalités, connaissance du fonctionnement du ministère de la Justice, mobilisation de parlementaires. Il est rare que tous ces ingrédients soient réunis sur un laps de temps aussi court – deux mois. Le Genepi, à l’instar de l’Observatoire international des prisons, est un caillou dans la chaussure de la Dap, un contre-pouvoir militant qui empêche l’administration d’agir comme elle l’entend – même si le Genepi a choisi d’inscrire ce rapport de forces dans une nouvelle configuration.
Le Genepi
Recréer du lien entre la société et les personnes incarcérées : le Genepi œuvre pour la circulation des savoirs et des témoignages entre personnes enfermées, bénévoles et société civile. Fondée en 1976 par Lionel Stoléru, alors conseiller à l’Élysée, l’association fédère des bénévoles, étudiant.e.s ou non. Engagé et militant, le Genepi est très critique de la politique carcérale gouvernementale.
Voxpublic
L’association VoxPublic soutient des organisations dans leur interpellation des décideurs publics. Elle a accompagné le Genepi en 2017 et 2018.