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Des droits pour les peuples, des règles pour les multinationales Contre-pouvoirs

Action du CCFD-Terre solidaire devant le Palais Brongniart à Paris le 14 octobre 2019 lors du lancement de la semaine de négociations du traité à l'ONU. © Pascal Montary / CCFD-Terre solidaire
Action du CCFD-Terre solidaire devant le Palais Brongniart à Paris le 14 octobre 2019 lors du lancement de la semaine de négociations du traité à l'ONU. © Pascal Montary / CCFD-Terre solidaire

La Revue Projet met en lumière des actions de plaidoyer portées par la société civile, où se créent de nouveaux contre-pouvoirs. Premier volet : à quand un rapport de force équitable entre la société civile et les grandes entreprises ? Face au système de justice parallèle dont bénéficient ces dernières, le CCFD-Terre Solidaire se mobilise. Écho d’une année de campagne.


Aucun traité international ne contraint aujourd’hui les multinationales à respecter les droits humains et l’environnement. À l’inverse, plus de 3 000 accords de commerce et d’investissement leur garantissent l’accès à une justice d’exception.

Face à cette aberration, une coalition de plus de 200 organisations de la société civile européenne a lancé une pétition exigeant que les institutions et les États européens garantissent « des droits pour les peuples, des règles pour les multinationales ». Plus de 675 000 citoyens européens ont rejoint cet appel, signifiant leur refus d’un tel déséquilibre. Pourtant, la diplomatie européenne multiplie les stratégies de diversion lorsque les mouvements sociaux, les syndicats et les associations évoquent les négociations qui ont lieu à l’Organisation des Nations unies (Onu) pour adopter un traité relatif aux multinationales et aux droits humains. L’Union européenne (UE) préfère négocier secrètement des accords de commerce et d’investissement permettant aux multinationales d’attaquer les États devant des tribunaux d’arbitrage. Au cours des vingt dernières années, ce sont 88 milliards de dollars que les États ont ainsi dû payer à des multinationales. En ce moment, par exemple, un fournisseur d’électricité et de gaz suédois, Vattenfall, réclame 4,7 milliards de dollars à l’Allemagne, au motif que celle-ci a décidé de sortir du nucléaire et de fermer deux de ses centrales nucléaires à la suite de la catastrophe de Fukushima. De même, une cour d’arbitrage hébergée par la Banque mondiale vient de condamner le Pakistan à verser 5,8 milliards de dollars pour avoir refusé une concession et des permis d’exploration à l’entreprise minière canadienne Barrick Gold, alors que cette entreprise n’avait investi que 220 millions de dollars dans le projet contesté.

Grâce à leur éclatement en filiales, les multinationales se dédouanent de toute responsabilité.

Si ces chiffres interrogent, les difficultés rencontrées par toutes celles et ceux qui, face à des violations commises par des multinationales, tentent de faire valoir leurs droits en justice interpellent. Grâce à leur éclatement en filiales et au recours à des mécanismes de contractualisation complexes, les multinationales se dédouanent de toute responsabilité. Ainsi, au Nigeria, lorsque les victimes de Shell ont tenté d’obtenir réparation pour destruction d’un écosystème (écocide) dans le delta du Niger devant les juridictions britanniques, les juges leur ont opposé une fin de non-recevoir car Shell Nigeria, bien que détenue à 100 % par Shell UK, était une « personnalité juridique » distincte…

Pour mettre un terme à cette aberration, la France s’est dotée en mars 2017 d’une loi pionnière : la loi sur le devoir de vigilance des sociétés mères et des entreprises donneuses d’ordre. Les grandes entreprises françaises doivent désormais répondre devant les tribunaux français des violations aux droits humains et à l’environnement commises tout au long de la chaîne de valeur. Plusieurs pays européens travaillent à l’adoption de lois similaires, mais la route est encore longue face aux lobbies qui y voient une menace pour la « compétitivité » du Vieux continent. Et la diplomatie européenne prend prétexte de l’absence de position commune des États membres de l’UE pour se désengager des négociations aux Nations unies pour un traité.

Dans ce combat de David contre Goliath, la société civile s’efforce de mettre les États face à leurs responsabilités.

Dans ce combat de David contre Goliath, la société civile s’efforce de mettre les États face à leurs responsabilités. L’enjeu est de rendre intelligibles des processus européens et internationaux que les États entendent présenter comme d’abord « techniques », relevant avant tout d’un débat d’experts. Mais rien n’est plus politique que de savoir si les accords de commerce doivent, ou non, reconnaître la primauté des droits humains et de l’environnement sur les intérêts des investisseurs.

Avec des organisations partenaires européennes et internationales, le CCFD-Terre solidaire porte ce contre-discours dans les médias, auprès des parlementaires et des administrations. En France, un cercle parlementaire transpartisan a été créé. Ce lieu de débat et de réflexion permet aux députés intéressés de rencontrer des défenseurs des droits, des rapporteurs de l’Onu, des universitaires.

De même, à Bruxelles, une coalition d’associations a fondé un bureau dédié à la régulation des multinationales, afin que les eurodéputés entendent un autre son de cloche que celui des milieux économiques. Et une coalition internationale intervient auprès des missions diplomatiques des 196 États membres des Nations unies pour porter nos positions concernant le traité en cours de négociation.

Ce travail de mise en relation, de coalition, de mise à l’agenda et de construction d’un nouvel imaginaire politique est plus que nécessaire. Car le déséquilibre est criant par rapport à la place accordée aux associations patronales.

C’est un travail de fourmi que de mener une bataille culturelle et politique, remettant en question un dogme aussi bien ancré que celui de la croissance et de la compétitivité. Certaines victoires, cependant, certaines prises de conscience, tracent des lignes d’espérance. Ainsi, lors de l’adoption de la loi sur le devoir de vigilance, lorsqu’une bataille est remportée ici ou là contre un projet destructeur ou encore lorsqu’un tribunal renverse une jurisprudence et autorise des personnes à faire valoir leurs droits, l’espérance de renverser un modèle économique à bout de souffle se ravive.

 

Dates clés

27 mars 2017 – La France adopte la loi relative au devoir de vigilance des sociétés mères et des entreprises donneuses d’ordre.

16 juillet 2018 – Un projet de traité relatif aux entreprises multinationales et aux droits humains est proposé à la négociation, une première dans l’histoire des Nations unies.

22 janvier 2019 – Lancement de la pétition européenne « Des droits pour les peuples, des règles pour les multinationales » sur le site Internet reprenonslepouvoir.org

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