Une revue bimestrielle, exigeante et accessible, au croisement entre le monde de la recherche et les associations de terrain.
Ils sont trois, debout dans le hall de gare le long d’une rangée de cabines de photomatons. Des policiers les enserrent. Rangers, treillis bleu nuit. Plus loin, pas loin, la foule est pressée, chargée des paquets des fêtes qui approchent. Les guirlandes de Noël clignotent et les passants passent. Ils sont trois. Une jeune femme bien coiffée en manteau chic et foulard élégant. Un monsieur aux cheveux argentés, chapeau et lunettes, quotidien du soir à la main. Un homme en costume - cravate, ordinateur en bandoulière. Fouille au corps. Mains qui glissent le long des jambes, dans le dos, autour de la taille. Inspection des poches, toutes les poches. Sous le couvre-chef aussi. Veste et gilet ouverts, soulevés. Contenu d’un sac vidé sur le siège du photomaton. Portefeuilles effeuillés. Une photo, un briquet, une lettre. Vérification d’identité. A haute voix. Nom épelé : O comme oscar, R comme Raoul.
Ils ne bronchent pas. Répondent aux questions. Ravalent leur humiliation ? Ne protestent pas ? N’interrogent pas :« pourquoi » ? La jeune femme chic, le monsieur avec son journal, l’homme à l’ordinateur ? Scénario impensable ! Et vous avez raison. En fait, ils étaient trois. Mais un noir et deux arabes. Vingt ans, plus ou moins. Baskets, casquettes, portables. Ils n’ont pas bronché. Mais ils ont la haine. Des jeunes. Qui traversaient cette gare reliant leur banlieue à la ville. « Vos papiers ». Banal. Normal. RAS. Joyeux Noël.
Anne Furst