Une revue bimestrielle, exigeante et accessible, au croisement entre le monde de la recherche et les associations de terrain.
Une poignée d’élèves, une quinzaine de parents, une dizaine d’enseignants, des militants associatifs se pressent autour d’un thé à la menthe et de petits gâteaux. On pousse les tables et on installe les chaises en cercle. La Principale a accepté d’accueillir la première réunion de la nouvelle association dans les murs de son collège. Ici, comme dans toute la Seine-Saint-Denis, on sort tout juste des trois semaines de casse qui ont suivi la mort par électrocution de deux jeunes fuyant un contrôle de police, à quelques communes de là. Bilan pour ce collège situé en Zep : un gymnase incendié, et des élèves « encore plus difficiles à tenir, expliquent les membres de la direction, parce qu’ils ont vu des jeunes défier les autorités ».
« Nous sommes tous bouleversés par ces événements dramatiques. Comment en sortir ? » interpelle le tract d’invitation à la réunion distribué sur le marché quelques jours plus tôt. « Comment aider les jeunes à sortir de la rancœur et à construire leur avenir dans ce pays qui est le leur ? En se rassemblant ». Avec le directeur de la section d’enseignement adapté (qui ici compte une centaine d’élèves), ce sont des parents qui ont eu l’idée de créer une « association culturelle » réunissant profs et familles. Pourquoi ne pas proposer du soutien scolaire aux élèves, des cours de français à leurs parents, mais aussi des conférences ou des films ? « Au collège, explique un des parents organisateurs de la réunion, il y a des enfants d’origines diverses. Ils sont français mais ils ne se reconnaissent pas comme tels. Quel avenir auront-ils donc si nous ne faisons rien ? ». « Il n’y a pas « assez de langage » entre les parents et les profs du collège, poursuit un autre parent animateur. Il y a un trou à remplir entre la famille et l’école. Des parents isolés, humiliés, n’osent plus rien dire. Il faut chercher ceux qui ne viennent jamais au collège, aider les parents qui ne comprennent pas ce qui est écrit dans le carnet de correspondance».
L’échange s’engage. Comment « redonner des limites aux adolescents », comment « rendre l’autorité aux parents » ? « Il faut retrouver le respect lié à la dignité humaine », répond un père de famille. « Des parents se comportent mal et mènent leurs enfants à la dérive », estime une maman. « Les enseignants sont écœurés. Les élèves en profitent. Les parents désertent l’école, poursuit quelqu’un. C’est un cercle vicieux, tout le monde est dedans ». Une idée est lancée : mettre en place une permanence pour les parents. Pas pour doubler le travail de l’assistante sociale du collège, mais pour que « des parents aident d’autres parents ». Il sera utile d’aller voir comment fonctionnent les « maisons des parents » des communes voisines.
Association de travailleurs tunisiens, association de quartier… prennent la parole tour à tour. Une association interreligieuse se dit prête à faire le lien avec des représentants des religions afin d’organiser des conférences ; une autre, liée à un village de Kabylie, propose de dispenser des cours de berbère en utilisant les émissions de radio et de télévision qu’elle produit là-bas ; une autre pratique déjà le soutien scolaire et est disposée à aider au démarrage de cette activité. Des enseignants venus d’un collège voisin souhaitent que la nouvelle association ne se limite pas à un seul quartier : « Quelle ouverture ? Quelle mise en réseau ? » Mais l’établissement scolaire est « un bon lieu pour rejoindre les familles ». Une mère engagée à la FCPE raconte : « Derrière chaque échec scolaire, on trouve un problème de logement. Ce dont ont besoin les familles, c’est d’être accompagnées là où elles vivent ». L’association pourrait retransmettre les besoins aux élus ou à d’autres associations. Mais comment toucher les parents tout en préservant la confidentialité ? Pas question de mélanger les genres et de solliciter l’assistante sociale du collège pour identifier les besoins.
L’heure tourne. « Ras le bol des réunions dont on sort impuissant, s’inquiète quelqu’un. Il faut faire des choses concrètes ! » Comment mettre en place des structures qui durent ? Quels objectifs se donner ? Et une association peut-elle seulement répondre à tous les besoins énumérés pendant la réunion ? D’ailleurs, « pourquoi la Mairie ne fait-elle pas tout cela ? », intervient un syndicaliste : « Je suis postier et je ne demande pas aux gens de distribuer le courrier à ma place ! ». Une enseignante répond : « Pour moi, le rôle d’une association comme celle-ci serait de mettre les gens en réseau, en lien les uns avec les autres ; il existe beaucoup d’aides mais il manque souvent les petits liens humains ». « Souvent les systèmes d’aide ne sont pas visibles, pas lisibles pour les parents », renchérit une travailleuse sociale. L’équipe organisatrice tire les conclusions en faisant le point sur la première finalité de l’association « de fait » créée ce soir là : à travers des activités culturelles et éducatives, « créer une entraide » entre parents et enseignants du collège, mais plus largement encore. Rendez-vous est pris dans quelques semaines pour valider les statuts de l’association. Et pour faire une fête… de Noël, même si, au collège, les deux tiers des enfants appartiennent à des familles musulmanes : « C’est quelque chose de commun à tout le monde ! ».
Anne Furst