Une revue bimestrielle, exigeante et accessible, au croisement entre le monde de la recherche et les associations de terrain.
Un réenchantement nous viendrait-il d’ailleurs ? Après l’effroyable catastrophe en Asie, un élan de solidarité sans précédent traverse les frontières ; après des années de stagnation et de marasme, de manipulations et de malversations, le peuple ukrainien prend le rythme démocratique et impose son choix ; et dernièrement, malgré plusieurs mois d’attentats, les Irakiens vont voter ; après des mois d’affrontements et de diatribes, les responsables israéliens et palestiniens amorcent un dialogue. Avec naïveté, alors que les alternatives géopolitiques peinent à se dessiner, nous pourrions être tentés de passer à l’euphorie : la « démocratie progresse ».
Ne nous trompons pas. Aucune de ces étapes ne traduit un chamboulement définitif. Les motifs d’hésiter sont encore là, qui nous retiennent de trop vite nous réjouir, invitant à différer une appréciation de crainte de désillusions. Aucun de ces sursauts n’est pleinement décisif. L’arrivée de l’aide en Asie est certes massive, mais les écueils sont nombreux, dans les faiblesses d’un dispositif monté à la hâte, dans les détournements possibles. Le rebond démocratique en Ukraine demande d’être poursuivi, et la société elle-même, carrefour entre Est et Ouest, est trop complexe pour que s’y dessine d’un seul trait une nouvelle orientation. Le choix des Irakiens de se rendre aux urnes ne fait pas oublier les clivages communautaires et le pari, nécessaire mais instable, de s’appuyer sur la majorité chiite longtemps réduite au silence ne suffira pas pour qu’émerge un équilibre. Les divisions israéliennes et palestiniennes soulignent la fragilité du camp de la paix.
Il est pourtant de notre responsabilité de « vouloir nous réjouir ». Une direction est donnée aux événements, et elle ne tiendra que si elle est souhaitée et maintenue. Des pistes nouvelles s’ouvrent, et elles ne pourront être suivies jusqu’au bout que si des hommes font le pari de s’y engager. Manifester aujourd’hui ces orientations et les soutenir, c’est permettre de croire dans l’avenir qu’elles promettent et les rendre possibles.