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Dossier : Etats-Unis : la démocratie troublée

Arnold au pays des merveilles


Débarquant à Hollywood, le voyageur européen est souvent déçu. Au lieu de croiser des vedettes, il voit surtout des Latinos vendant des oranges à la sauvette, des épiciers coréens qui parlent à peine l’anglais, des gens stressés par les trajets sur des autoroutes surencombrées… Pourtant, cet homme là qui fait le plein de sa BMW toute neuve, n’est-ce pas Wesley Snipes ? On ne sait jamais à Hollywood, où l’apparence remplace la réalité.

L’élection d’Arnold Schwarzenegger le prouve. Dans un film de 1972, Robert Redford joue le rôle d’un clone de Kennedy, qui possède plus de prestance que de courage, et se voit projeté par son équipe pour représenter la Californie au Sénat. Tous les artifices sont utilisés pour cette campagne : « Dis aux gens ce qu’ils veulent entendre. Joue bien le rôle ». Lors d’une mémorable séquence finale, le candidat bien intentionné, qui a enfin gagné, demande à ses conseillers : « Qu’est-ce qu’on fait maintenant ? » Et eux, de hausser les épaules, comme pour dire, « notre boulot, c’était de te faire élire. Gouverner, on n’en sait rien ». Trente ans plus tard, un immigré autrichien ingénu a repris le rôle du candidat : il traverse l’écran, passant de l’imaginaire à la réalité. A moins qu’Arnold ait amené ses électeurs « à travers le miroir », dans un monde virtuel à la Lewis Carroll.

Gouverneur élu, Schwarzenegger hérite d’une situation politique et financière compliquée. Avec une économie qui pèse autant que celle de la France, une population dynamique de 34,5 millions (environ 47 % de Blancs, 33 % de Latinos, 11 % d’Asiatiques et 6,5 % de Noirs), un sol riche et un climat modéré, la Californie donne de loin l’impression d’un paradis. Mais de près, on voit bien le serpent dans l’herbe. L’industrie des divertissements est toujours florissante, comme pendant la crise des années 30, quand l’exotisme était aussi en vogue. Grâce à l’industrie des armements, et à l’appétit de Washington pour les bombes toujours plus performantes, la région de Los Angeles est en meilleur état financier que celle de San Francisco et que la Silicon Valley, où le capital-risque vient tout juste de recommencer à circuler. Mais partout, on est frappé par le gouffre entre riches et pauvres : ces derniers demeurent dans une misère très liée à la couleur de la peau et au temps écoulé depuis leur immigration. A quelques exceptions près, les vieilles habitudes persistent : les nouveaux riches paient des Mexicaines 7 $ de l’heure pour faire le ménage, sans protection sociale ni aucune considération quant aux coûts du logement.

Le gouverneur sortant a été vilipendé, étiqueté bureaucrate incurable. Ce qui n’était pas faux : depuis son service militaire au Vietnam et ses études de droit, il a occupé plusieurs fonctions publiques. Mais quelles qualifications présente Schwarzenegger pour son nouveau job ? Un parcours éducatif réduit, des années de musculation (pour laquelle il faut des haltères, des stéroïdes et des miroirs partout) et de travail d’acteur (genre héros de film d’action). Son admiration pour R. Reagan (autre acteur devenu politicien) et son entrée par mariage dans le clan Kennedy permettent à Arnold, comme Atlas, de se tenir debout un pied sur chacune des deux rives de la politique américaine. Tout cela représente peut-être une bonne préparation pour une campagne mais pas pour la lourde tâche de gouverner.

Pourquoi 48 % des électeurs l’ont-ils choisi ? Comme la plupart des Américains, les Californiens sont des rêveurs. Immigrés ou fils d’immigrés, ils jubilent comme Arnold : « Je suis arrivé avec rien ; la Californie m’a tout donné ! ». Le révolutionnaire américain Edward Rutledge le disait : « Les Américains préféreraient protéger la possibilité de devenir riche que de faire face à la réalité d’être pauvre. » Or les pauvres sont aptes à rester pauvres dans l’économie néolibérale, mais les gens ne payeront pas pour voir un film documentaire. L’usine de rêves fabrique des « happy endings » : le Terminator triomphe des méchants et remet les choses en ordre. Mais le nouveau rôle d’Arnold sera difficile : sauver le Golden State en résolvant ses problèmes insolubles, ou du moins faire semblant…


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