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Itinéraire : John Hume


C’est en janvier 1988 que John Hume rencontre pour la première fois, en secret, Gerry Adams, président du Sinn Fein. Interrompu entre 1991 et 1993, ce dialogue ouvrira finalement sur la signature de l'accord de paix du vendredi saint, 10 avril 1998. Le prix Nobel de la Paix 1998 est attribué à John Hume ainsi qu'au protestant David Trimble.

La période de gouvernement Thatcher a été très difficile pour l'évolution de l'Irlande du Nord. C'est en janvier 1988 que John Hume rencontre pour la première fois, en secret, Gerry Adams, président du Sinn Fein. Interrompu entre 1991 et 1993, ce dialogue ouvrira finalement sur la signature de l'accord de paix du vendredi saint, 10 avril 1998. Le prix Nobel de la Paix 1998 est attribué à John Hume ainsi qu'au protestant David Trimble.

Projet1 - Vous avez longtemps enseigné le Français. Comment êtes-vous entré en politique ? Quel a été votre itinéraire ?

John Hume - En effet, j’ai longtemps enseigné le Français au lycée. Mais j’étais entré en politique, comme vous dites, bien avant... J’appartiens à la première génération qui a pu recevoir une éducation au lycée, puis à l’université, grâce à l’aide d’une bourse. Mon père était chômeur, et mes camarades de lycée étaient eux aussi de familles pauvres. La situation générale en Irlande du Nord était caractérisée par une discrimination terrible à l’encontre de la population catholique. La ville où je suis né et où je vis toujours, en était le symbole le plus fort : à Derry, gérée par les unionistes qui ne représentaient pourtant que le tiers de la population, la discrimination touchait tous les domaines : le travail, le logement et le droit de vote, bien sûr. C’est ainsi que j’ai adhéré au mouvement pour les droits civiques en Irlande du Nord, qui existait déjà, et ce premier engagement m’a mené directement à la politique. Lorsque je me suis présenté pour la première fois à un mandat électif, j’étais candidat indépendant opposé au chef du Parti nationaliste : ce premier mandat que j’ai recherché et obtenu m’a conduit à créer, avec quelques amis élus en même temps que moi, le parti travailliste et social démocrate, le SDLP. Mais, dès 1969, avec le mouvement pour les droits civiques en Irlande du Nord, nous avions organisé des marches inspirées par l’action de Martin Luther King aux Etats-Unis. Ce modèle nous démontrait l’utilité et la nécessité de cette forme d’action contre la violence traditionnelle en Irlande. Je vous avoue que je suis particulièrement fier d’avoir reçu le prix Martin Luther King le 18 janvier de cette année, des mains mêmes de sa veuve, à Atlanta.

Projet - Vous êtes passé en quelque sorte d’une action de protestation à la voie de la négociation à partir du moment où vous avez été élu...

John Hume - Les deux modes d’action s’entremêlent toujours. En outre, un mandat électif donne bien plus de poids à l’action non-violente pour les droits civiques, car, une fois que vous êtes élu, vous savez qui vous représentez ! Quand un pays est divisé, la victoire d’un camp sur un autre n’est pas une solution – en tout cas pas définitive. Il est essentiel de parvenir à un accord. Car tout n’a pas commencé dans les années 60 en Irlande, la violence était très ancienne et elle était bien répartie entre catholiques et protestants. Depuis trente ans, une personne sur cinq cents a perdu la vie, et une sur cinquante a été blessée ! A tel point qu’on s’était résolu à construire un mur à Belfast pour protéger les deux communautés l’une de l’autre. Ce mur est un défi pour tous : pour la mentalité protestante, que je qualifie d’« afrikaner » car elle consiste à chercher à garder le pouvoir, jusqu’à la discrimination et à l’affrontement ; mais aussi pour la mentalité catholique qui est une mentalité territoriale, alors que c’est le peuple qui est porteur de droit et non la terre. Seul un changement d’état d’esprit dans le peuple peut mener à l’accord. C’est cette pédagogie du changement de mentalité que recherche mon parti depuis trente ans ; c’est elle qui a permis le premier accord du vendredi saint 1998, qui fut un très grand pas vers la paix. Le problème de l’Irlande du Nord se présente comme un triple problème de relations : c’est à la fois le problème des relations internes à l’Ulster, celui des relations entre le Nord et le Sud, et celui des relations entre l’Irlande et la Grande-Bretagne. On ne peut ignorer aucune de ces relations. Un accord a été permis quand nous sommes parvenus à instaurer le dialogue entre les deux gouvernements d’Irlande et du Royaume-Uni, puis avec tous les partis. Il nous reste désormais à continuer de l’alimenter.

Projet - Le point de départ vient de votre initiative pour renouer le dialogue avec Gerry Adams et le Sinn Fein. Cette décision n’était-elle pas très risquée ? Et avez-vous été soutenu dans cette ouverture ?

John Hume - C’est pour arrêter la violence que j’ai pris une initiative, à laquelle beaucoup étaient très opposés... Pour ma défense, j’ai rappelé que si 20 000 soldats britanniques ne réussissaient pas à mettre fin à la violence, et si j’avais une petite chance d’y arriver par le dialogue, il était de mon devoir de le faire. Gerry Adams et moi avons tout de suite affirmé que le but de notre dialogue était bien de faire cesser la violence, pour pouvoir engager un dialogue avec les partis et les gouvernements, et de le faire avec l’assentiment loyal des deux communautés. Pour ce qui est de l’aide, je crois qu’on ne saurait négliger le rôle de la communauté irlandaise des Etats-Unis, notamment par des occasions comme le dîner de la Saint-Patrick. Et finalement, notre dialogue a porté ses fruits.

Projet - Vous avez parlé des deux mentalités nationaliste et unioniste. Les facteurs religieux sont-ils les seuls à jouer, et comment les faire évoluer ? Votre propre foi chrétienne ne détermine-t-elle pas votre attitude politique ?

John Hume - Bien des gens dans le monde pensent que le problème de l’Irlande du Nord se limite à une querelle religieuse. C’est faux, ou plutôt la question est beaucoup plus profonde que cela. Il s’agit d’abord d’une querelle de nationalités, car les protestants se croient britanniques et les catholiques se croient irlandais. Lorsque l’Irlande a cherché à prendre son indépendance au début de ce siècle, les protestants du nord ont craint de se trouver minoritaires dans une Irlande indépendante ; pour résoudre le problème, la Grande-Bretagne a alors tracé une « frontière » sur une carte, ce qui a entraîné une discrimination envers les catholiques, c’est-à-dire un tiers de la population du nord.

Pour réconcilier ces deux mentalités, ces deux mémoires qui s’affrontent, il est nécessaire d’oublier le passé et de laisser l’histoire le juger. Seule cette acceptation permettra un nouveau commencement. Concrètement, il nous faut nous rappeler trois principes :

– Respecter les différences : reconnaître que la différence est un accident de naissance, que personne ne choisit de naître protestant ou catholique. La différence fait la richesse du monde, il ne faut pas la combattre.

– Créer des institutions qui respectent cette diversité : nous avons maintenant une assemblée élue à la proportionnelle qui assure la représentation de tous. Cette assemblée vient d’élire les membres de notre gouvernement.

– Travailler ensemble sur la terre commune : ouvrir ainsi un processus de guérison, le vrai début de solution apportée par la sueur et non par le sang.

Vous vous interrogez sur le rôle que joue ma foi chrétienne dans mon action ; je vous répondrai tout simplement que les trois principes politiques que je viens d’énoncer ne sont que l’application du « Aimez-vous les uns les autres ». Mais on doit bien comprendre qu’il faudra encore une génération entière pour que nous parvenions à la nouvelle Irlande. En ressassant le passé, on ne fait que prolonger le problème. Le slogan de notre dernier congrès du SDLP, début novembre, était « Nouveau siècle, nouveau commencement ». Après trois siècles de conflit, notre tâche est de créer cette nouvelle Irlande.

Projet - Vous semblez optimiste. Pourtant, depuis des années, bien des accords ont avorté et bien des négociations ont été interrompues, y compris depuis l’accord du 10 avril 1998. Cela aurait dû vous décourager...

John Hume - Oui, je suis très optimiste : personne n’aurait prévu, il y a quelques années, l’accord auquel nous sommes parvenus. Le signe le plus important de cette confiance était de proposer que le peuple ratifie cet accord. Et les deux référendums ont eu lieu le même jour, l’un au nord et l’autre au sud. Désormais, ceux qui s’opposent à une démarche approuvée par le peuple sont clairement ceux qui s’opposent à la démocratie. Vous parlez d’accords avortés, mais jamais ils n’étaient allés aussi loin que celui du vendredi saint de l’an dernier, jamais aucun accord n’avait été confirmé par référendum !

Projet - L’Europe peut-elle jouer un rôle dans ce processus ?

John Hume - L’Europe a déjà joué et jouera encore un grand rôle. Ma propre expérience de député européen m’a beaucoup servi. L’union de l’Europe est le meilleur exemple dans l’histoire du monde de la résolution de conflits. La première moitié de ce siècle fut une des périodes les plus sombres, avec deux guerres mondiales ! Qui aurait imaginé que la seconde moitié du siècle verrait l’Europe unie, les Allemands restant allemands et les Français restant français. Comment ont-ils fait ? A l’analyse, on constate qu’ils ont obéi à nos trois principes : respecter la diversité (l’autonomie de chacun), créer des institutions qui respectent cette diversité (Conseil des ministres, Commission de Bruxelles, et Parlement de Strasbourg), et travailler ensemble sur la terre commune (verser la sueur et non le sang !). En Irlande du Nord, nous en sommes encore au début de la mise en œuvre de ces principes, puisque nous commençons à créer les institutions (élection du gouvernement). Mais dans ma ville, Derry, où le SDLP est majoritaire, et où nous pourrions garder le pouvoir, nous avons mis en route depuis longtemps déjà un système de représentation de la diversité : tous les ans, nous changeons de maire, un an un catholique, un an un protestant ; de même, la présidence des commissions municipales est donnée à chacun des partis politiques à tour de rôle. Ainsi se constitue une équipe qui respecte la diversité et qui travaille ensemble.

Projet - Dans le processus en cours d’installation d’un gouvernement autonome, quelle place prend le SDLP ? Avez-vous l’ambition de jouer un rôle important dans les institutions à venir ?

John Hume - Lors des élections à l’Assemblée locale, mon parti a obtenu un très bon score. Le premier gouvernement de l’Irlande du Nord vient d’être élu par cette Assemblée et il est dirigé par le protestant David Trimble, co-lauréat avec moi du prix Nobel de la Paix. Pour la première fois dans notre histoire, ce gouvernement réunit toutes les composantes de notre peuple. Parmi les dix membres de l’équipe gouvernementale, cinq ministres sont Unionistes (dont deux du DUP de Ian Paisley), deux appartiennent au Sinn Fein et trois au SDLP (dont le vice-Premier ministre, Seamus Mallon). Nous sommes donc en position favorable et je m’en réjouis, car maintenant va pouvoir commencer le vrai travail politique en commun avec les autres partis ; notre but est de travailler en particulier à améliorer la situation économique de notre province.

Projet - Quand vous regardez le chemin parcouru depuis trente ans, qu’est ce qui vous apparaît le plus important ?

John Hume - C’est d’abord, bien sûr, la fin de la violence, avec l’accord qui a permis le dialogue entre les gouvernements britannique et irlandais. Mais le plus important est cet accord ait été approuvé par le peuple ; pour la première fois de notre histoire, les peuples ont décidé de vivre ensemble et toute personne qui se veut ou se dit démocrate ne peut s’y opposer.

Projet - Reste une question importante : le refus de certains membres de l’Ira de renoncer totalement à la violence. Comment les amener à sortir de cet engrenage et à accepter un désarmement ?

John Hume - Les raisons qui provoquaient traditionnellement la violence de l’Ira n’existent plus. Elles tenaient, tout d’abord, à la présence des Britanniques qui défendaient leurs intérêts par la force ; aujourd’hui, les Britanniques n’ont plus d’intérêts à défendre en Irlande du Nord, et le problème n’est plus que celui des rapports entre les deux communautés irlandaises. La seconde raison de la violence de l’Ira était la revendication pour le peuple irlandais du droit à s’autodéterminer. Mais comment faire lorsque le peuple est divisé, sinon en recherchant un accord ? A l’issue de notre travail de négociation, le gouvernement britannique a déclaré solennellement qu’il n’avait pas d’intérêts à défendre et que c’était aux Irlandais de résoudre seuls leurs différences internes. Je suis persuadé que l’Ira, qui a pris conscience de la volonté du peuple, a renoncé définitivement à la violence. Son désarmement, auquel elle s’est engagée, doit être complet d’ici le printemps 2000, et il conditionne le bon fonctionnement de notre nouveau gouvernement.



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1 Ndlr. Entretien relu par John Hume en janvier 2000, avant que le gouvernement nord-irlandais ne soit suspendu.


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