Une revue bimestrielle, exigeante et accessible, au croisement entre le monde de la recherche et les associations de terrain.
Accompagner un demandeur d’asile à travers les méandres de l’administration française, participer à un atelier de conversation avec des personnes migrantes. Deux expériences que propose le service jésuite des réfugiés (JRS). Pour un changement de regard riche de surprises. Témoignage.
B. a été accueilli neuf mois dans le programme JRS Welcome au sein de sept familles successives. En tant qu’accompagnateur, je l’ai rencontré une à plusieurs fois par semaine, durant ce parcours. Depuis, nous continuons à nous voir périodiquement.
Pendant les premiers mois, nous n’avons jamais évoqué avec B. les circonstances et les motivations de son exil. Je les rattachais, inconsciemment sans doute, aux drames que vivait son pays d’origine. Nos discussions portaient souvent, en revanche, sur les péripéties de son parcours migratoire, son arrivée en France, nos joies et difficultés quotidiennes et, bien sûr, les matchs du Real Madrid. La veille de son entretien à l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (Ofpra), lors d’un dîner à la maison, B. m’a brusquement tendu un papier sur lequel figurait son récit. Il n’osait me demander mon avis, mais guettait ma réaction. C’était la première fois qu’il me dévoilait son histoire « d’avant ». J’ai accueilli ce geste comme une marque de confiance. M’étais-je « imaginé » sa vie différemment ? Avais-je tenté de conforter la légitimité de mon engagement à ses côtés, en le plaçant dans une certaine catégorie ? Ces questions ont surgi à la lecture de son récit : il était, au sens propre, « incroyable ». Pour tomber dans la bonne case, B. avait menti aux autorités du pays dans lequel il demandait à s’intégrer. Expérience déstabilisante de confrontation entre un récit « imaginaire » et un récit « attendu » (ou « imaginé » ?), mais dont aucun ne permet de dire ce qui est vraiment.
C’est seulement alors qu’il changeait de statut que B. m’a raconté sa situation. Ni guerre, ni persécution n’étaient à l’origine de son parcours migratoire.
B. a obtenu la protection subsidiaire par une décision qui, tout à la fois, relevait les incohérences de son récit mais aussi la situation d’extrême violence dans laquelle étaient plongés son pays et son groupe social d’origine. C’est seulement alors qu’il changeait de statut et de perspectives que B. m’a raconté sa situation personnelle et familiale. Ni guerre, ni persécution n’étaient à l’origine de son parcours migratoire mais, au sortir de l’adolescence, un conflit violent avec son père qui lui semblait vouloir briser son désir de vivre. De migrant, réfugié, exilé, bénéficiaire de la protection, il n’était plus question, au moment d’accueillir l’expression de cette blessure béante. Je mesurais alors le poids de ces qualificatifs, inopérants pour parler de B. Il redevenait ce qu’il aurait toujours dû être à mes yeux : un jeune homme – certes, en exil – avec ses souffrances, ses talents et son extraordinaire désir de vivre.
Lorsque a germé l’idée d’accueillir, au sein d’un gros cabinet d’avocats d’affaires (d’environ 250 personnes), des ateliers de conversation en français avec des personnes migrantes, sur l’heure du déjeuner, l’enthousiasme de certains répondait à la vive opposition des autres. Chimère, provocation ou défi : pourquoi faire se rencontrer des personnes qui, sans cela, ne se rencontreraient pas et que tout semblait opposer ? Avant d’engager les conversations, partisans et opposants des ateliers s’accordaient néanmoins sur un point : il y avait « eux » (les migrants) et « nous » (les membres de l’entreprise).
Sans naïveté, cette expérience démontrait que les catégories dans lesquelles on se situe (ou desquelles on s’exclut) deviennent floues en même temps que naît la relation réciproque.
Après quelques semaines d’essai, la décision de poursuivre les ateliers a été unanime, car il ne s’agissait plus de savoir si « eux » allaient nous apporter beaucoup ou « nous » faire courir des risques majeurs, si « eux » allaient faire fuir nos clients ou permettre de les sensibiliser. Il s’agissait désormais d’un « nous » partagé : « Tu te rends compte, nous avons le même âge ! », « Nous sommes tous les deux Bac +5 », « Nous sommes tous les deux fans de mangas »… Sans naïveté, cette expérience démontrait que les catégories dans lesquelles on se situe (ou desquelles on s’exclut) deviennent floues en même temps que naît la relation réciproque qui jaillit de la conversation. La catégorie informe de « migrants » s’est progressivement évanouie, laissant place à des prénoms et à des personnes et, dans le même temps, l’atelier de conversation avec les migrants est devenu l’atelier de conversation (tout court).
JRS Welcome
Ce programme propose une hospitalité et un hébergement provisoire et gratuit pour une personne dont la demande d’asile est en cours de procédure. Cet accueil peut aller jusqu’à neuf mois, avec un changement de famille toutes les quatre à six semaines pour ne pas créer de dépendance. Il s’accompagne d’un suivi juridique et social individualisé.
La protection subsidiaire
Il s’agit d’une protection internationale fournie à un demandeur d’asile qui ne répond pas aux critères pour devenir réfugié, mais qui serait en danger dans son pays d’origine.