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Haïti Long règne des gangs

Le groupe armé ‹‹ G-9 an fanmi e Alye›› sévit dans quasiment tous les quartiers défavorisés autour de Port-au-Prince. Il a pour chef de file un ancien policier de l’Unité départementale au maintien de l’ordre. ©P.F/ Image 7
Le groupe armé ‹‹ G-9 an fanmi e Alye›› sévit dans quasiment tous les quartiers défavorisés autour de Port-au-Prince. Il a pour chef de file un ancien policier de l’Unité départementale au maintien de l’ordre. ©P.F/ Image 7

Chaos et inexistence de l’État ont cours en Haïti, livré au joug des bandes criminelles. Or, le gangstérisme s’inscrit depuis l’origine dans l’histoire du pays. 


Parler d’insécurité en Haïti rend-il réellement compte de la situation du pays ? Autrefois colonie française de Saint-Domingue, Haïti a toujours été un théâtre d’instabilité sociale et politique. Après son indépendance en 1804, les crises n’ont jamais cessé, au point de devenir une caractéristique inhérente et structurelle du pays.

La mobilisation populaire qui a mis fin à la dictature des Duvalier père et fils (1957-1986) annonçait également une série de troubles politiques rendant encore plus précaire l’ordre social haïtien. C’est à la faveur de ces troubles que sont apparus le FRAPH, les « attachés », les zenglendos, les Chimères et autres gangs1. L’exploration de l’insécurité alarmante que ne cesse d’endurer le pays mérite de revenir aux sources de son histoire.

Depuis l’assassinat du père de la patrie haïtienne Jean-Jacques Dessalines, en 1806, la violence para-étatique s’est imposée comme un véritable modèle. Elle n’est pas la conséquence de la faiblesse de l’État, au contraire. Dès lors que les institutions ne remplissent pas leurs fonctions et que les règles de droit apparaissent davantage comme des rituels que comme des normes, l’État a-t-il intérêt à se départir d’une action parallèle à la police ?

Cacos et Macoutes

En Haïti, néanmoins, la violence para-étatique n’opère pas dans les mêmes conditions selon les périodes2. Les sociétés secrètes apparues durant la période coloniale resurgissent sous forme de milices durant les gouvernements d’Henri Christophe (1806-1820), Jean-Pierre Boyer (1820-1843) et Faustin Soulouque (1847-1859). Au début du XXe siècle, entre 1918 et 1921, la guérilla des Cacos se dresse contre l’occupation américaine.

Sous le régime des Duvalier naissent les Volontaires de la sécurité nationale, plus connus sous le nom de Tontons Macoutes. À compter de 1988, on commence à parler de zenglendos. De 1991 à 1994 se déploient différentes organisations parallèles. En 2004, on dénombrait en Haïti trente-quatre groupes armés. En 2019, la Mission des Nations unies pour l’appui à la justice en Haïti (Minujusth) en recensait au moins cent soixante-deux sur le territoire, dont plus de 50 % dans l’aire métropolitaine de Port-au-Prince.

Depuis les années 2000, l’incapacité de la classe dirigeante haïtienne à garantir à l’État le monopole de la violence légitime a rendu possible l’instauration de l’actuelle ère des gangs. L’assassinat du président Jovenel Moïse, le 7 juillet 2021, en constitue le point culminant. Ce contexte d’insécurité permanente devient de plus en plus hors de contrôle. Face à une telle situation, les habitants ont dû fuir leur quartier de résidence.

Un demi-million d’enfants déscolarisés valent autant de potentielles recrues pour des bandes criminelles.

S’emparant de la question de l’insécurité en Haïti, plusieurs intellectuels soulignent son caractère multidimensionnel. Sous la présidence des Duvalier prédomine ce que l’ancien président Leslie Manigat (1930-2014) nommait le « banditisme politique ». Or la pauvreté et les inégalités ont largement nourri le développement d’une autre forme de banditisme, social celui-là3.

Comme tant d’autres secteurs de la vie nationale, le domaine éducatif est totalement paralysé par le phénomène d’insécurité. Au cours de ces dernières années, des élèves âgés de 5 à 13 ans ont perdu la vie et d’autres, ainsi que leurs parents, ont été victimes d’enlèvements.

Selon le ministère de l’Éducation nationale et de la formation professionnelle, plus de 70 % des écoles de Port-au-Prince ont été fermées. Autrement dit, plus d’un demi-million d’enfants n’ont pas pu commencer ou poursuivre leurs études, un enfant déscolarisé devenant une potentielle recrue pour des bandes criminelles.

Depuis environ deux ans, Haïti connaît une crise institutionnelle sans précédent. Faute d’élections organisées en cinq ans, le pays ne compte plus aucun élu au niveau national depuis le 9 janvier 2023. Il est devenu impossible de répondre aux besoins dits de première nécessité de la population, tels que l’alimentation, l’éducation, la santé, les loisirs et la sécurité. Face à la prolifération des gangs dans chaque recoin du pays, les Haïtiens sont pris en otages. Comment espérer sortir de cet engrenage infernal ?

Impératif électoral

Devant l’urgence, trois pistes d’action semblent s’imposer. La première consisterait en une campagne de sensibilisation contre la violence, par l’organisation de journées de formation civique et d’éducation à la citoyenneté dans les dix départements du pays. La deuxième ne peut passer que par la formation de think tanks et enfin d’un soft power haïtien.

Pour autant, aucun pays ne peut fonctionner en l’absence d’institutions établies et reconnues dans leurs fonctions. La caducité du Parlement haïtien donne désormais lieu à un gouvernement qui n’a de compte à rendre à personne, au mépris des principes constitutionnels fondamentaux.

C’est pourquoi l’organisation d’élections constitue le troisième objectif – et le plus nécessaire. Dire qu’il est impossible d’organiser des élections est un discours facile, dans la mesure où certains protagonistes de la crise se satisfont de l’absence de scrutin pour conserver leurs avantages politiques.

Seules des élections pourvoiront à l’investiture de pouvoirs légitimes et permettront à la justice de remplir à nouveau son rôle.

Comme l’a récemment rappelé le professeur Jean-Antoine Mathias Lauréus au sujet de ces derniers : « Il n’est pas dans leur intérêt que le problème soit résolu rapidement afin qu’on entre dans une dynamique électorale pour remettre le pouvoir à des autorités légitimement élues. »

Seules des élections pourvoiront à l’investiture d’un président légitime et de son gouvernement, d’un parlement fonctionnel doté de tous ses membres, et permettront à la justice de remplir à nouveau son rôle.

C’est à cette condition que des actions concrètes peuvent être entreprises face à la dynamique des gangs, lesquelles appelleront de nouvelles coopérations avec l’international, mais différentes de celles que Haïti a jusqu’alors pris l’habitude de négocier.

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1 Le FRAPH (pour Front révolutionnaire armé pour le progrès de Haïti) était une organisation paramilitaire ciblant des partisans du président Aristide. Les Chimères étaient des bandes armées liées au même président. Les termes « attaché » et zenglendo qualifient les marginaux, voleurs et criminels professionnels.

2 André Corten, « Paroxysme haïtien : violences et droits par le bas », Chemins critiques, vol. 5, n° 2, 2004 [en ligne].

3 Thomas Lalime, « L’insécurité en Haïti, de François Duvalier à Jovenel Moïse », Le Devoir, Montréal, 12 juillet 2021 [en ligne].


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